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— Eh bien… Je viens de m’apercevoir de quelque chose. Les Aiels sont comme les outils.

— Très bien, mais…

— Et les outils non utilisés se rouillent.

— C’est pour ça qu’ils s’écharpent, oui, fit Rand en portant sa main indemne à sa tempe. Pour rester aiguisés, en somme. C’est pour cette raison que je les avais exemptés. Perrin, ça tourne au désastre. Si nous les incluons dans ce pacte…

— J’ai peur que tu n’aies pas le choix. Si les Aiels n’en sont pas, les autres refuseront de signer.

— J’ignore s’ils signeront de toute façon… (Rand regarda tristement son document, sur la table.) C’était un si beau rêve, Perrin. Un avenir radieux pour l’humanité. Je croyais les tenir. Jusqu’à ce qu’Egwene paie pour voir mon jeu, mon bluff était gagnant.

Perrin se félicita que personne d’autre ici ne puisse sentir les émotions de Rand. Sinon, tout le monde aurait su qu’il ne se déroberait jamais face au Ténébreux. Il n’en montrait rien sur son visage, mais à l’intérieur, Perrin le savait, il était aussi nerveux qu’un gamin avant sa première tonte.

— Rand, tu ne vois donc pas ? La solution !

Le Dragon plissa le front.

— Les Aiels ! Les outils qui ont besoin d’être utilisés. Et un pacte qui doit être étayé…

Rand hésita, puis il sourit de toutes ses dents.

— Tu es un génie, Perrin.

— Quand il s’agit de métallurgie, j’avoue que j’en connais un bout.

— Mais… ça n’a rien à voir avec la métallurgie.

— Bien sûr que si !

Comment Rand pouvait-il ne pas le comprendre ?

Le Dragon se détourna et relâcha sans doute son tissage. Puis il gagna la table, saisit le document et le brandit à l’intention d’un de ses assistants, debout au fond du pavillon.

— Je veux qu’on ajoute deux articles. Primo, ce pacte sera nul et non avenu si la Fille des Neuf Lunes ou l’Impératrice ne le signe pas aussi. Secundo, les Aiels – à l’exception des Shaido – doivent être inclus dans le traité avec le statut de défenseurs de la paix et de médiateurs des querelles. Toute nation pourra faire appel à eux si elle est en danger. Alors, les Aiels, et non des armées rivales, se chargeront de régler le conflit. Ils auront le droit de traquer les criminels en franchissant toutes les frontières. Quand ils résideront dans un royaume, ils devront en respecter les lois, mais ils ne seront pas soumis à leurs hôtes.

Rand se tourna vers Elayne :

— Voilà l’amélioration que tu demandais, Elayne. Des régulateurs qui empêcheront les explosions.

— Les Aiels ? demanda la jeune reine, sceptique.

— Rhuarc, tu serais d’accord sur ce point ? Et vous, Bael, Jheran et les autres ? Vous vous plaignez de n’avoir plus de raison de vivre et Perrin vous voit comme des outils qui exigent d’être utilisés. Accepterez-vous cette mission ? Prévenir les guerres et punir ceux qui les fomentent ? Travailler avec les monarques afin que la justice triomphe ?

— La justice telle que nous la voyons ? demanda Rhuarc. Ou la leur ?

— Le critère de base, ce sera la conscience des Aiels. Ceux qui feront appel à vous sauront qu’ils s’en remettront à votre justice. Si vous deveniez de simples pions, ça ne fonctionnerait pas. Votre autonomie sera gage d’efficacité.

Gregorin et Darlin voulurent se plaindre, mais Rand les réduisit au silence d’un seul regard.

Perrin hocha la tête. Les deux hommes n’avaient plus leur conviction du début. D’ailleurs, presque tous les monarques étaient pensifs.

Ils voient cette affaire comme une aubaine, pensa Perrin. Pour eux, les Aiels sont des sauvages, et, quand Rand ne sera plus là, ils seront faciles à manipuler.

— C’est très soudain, dit Rhuarc.

— Bienvenue au banquet ! lança Elayne, qui foudroyait toujours Rand du regard. Surtout, essayez la soupe.

Bizarrement la jeune reine semblait fière. Une étrange femme.

— Je te préviens, Rhuarc, dit Rand, vous devrez changer vos habitudes. Dans ce contexte, les Aiels seront obligés de travailler ensemble. Pour prendre les décisions, les chefs et les Matriarches se consulteront officiellement. Aucune tribu ne pourra livrer une bataille dans un camp alors que les autres seront dans celui d’en face.

— Nous en parlerons, fit Rhuarc avec un hochement de tête pour les autres chefs. Pour nous, ces changements seront radicaux.

— Au début, en tout cas.

Les chefs et les Matriarches se rassemblèrent dans un coin du pavillon et murmurèrent entre eux. Aviendha resta avec Rand, qui semblait de plus en plus nerveux.

Perrin entendit des phrases dont il comprit seulement des bribes.

— … ton rêve, à présent… quand tu te réveilleras de cette vie, nous ne serons plus très nombreux…

Les assistants de Rand, puant la précipitation, accouraient déjà pour établir la nouvelle version du texte. L’air fermé, Cadsuane regardait les gens s’agiter.

À son odeur, elle débordait de fierté.

— Ajoutez une mesure, dit Rand. S’ils s’estiment trop peu nombreux, les Aiels pourront faire appel aux autres nations non impliquées dans l’affaire en cours. Il faut aussi définir selon quel protocole – et avec quel matériel – les royaumes demanderont la médiation des guerriers du désert.

Les assistants acquiescèrent sans interrompre leur tâche en cours.

— Tu te comportes comme si c’était joué, dit sèchement Egwene.

— Pourtant, c’est loin de l’être, intervint Moiraine. Rand, j’ai quelques mots à te dire.

— Des propos qui me plairont ?

— J’ai peur que non. Dis-moi, pourquoi veux-tu être le commandant en chef ? Quand tu te dirigeras vers le mont Shayol Ghul, tu ne pourras plus contacter personne…

— Il faut que quelqu’un commande, Moiraine.

— Sur ce point, personne ne te contredira.

Main et moignon dans le dos, Rand parut troublé.

— Moiraine, j’ai pris des responsabilités pour ces combattants. Je veux m’assurer qu’on les ménagera autant que possible, même pendant les combats.

— Une très mauvaise raison pour être chef de guerre, dit la sœur. On ne se bat pas pour protéger ses troupes mais pour gagner. Tu ne dois pas commander, Rand. Il ne faut pas…

— Je ne veux pas que cette bataille tourne à la mêlée sanglante, dit Rand. Si vous aviez vu les erreurs que nous avons faites, la dernière fois. Quand tout le monde pense commander, la confusion règne partout ! La guerre est synonyme de chaos, mais il faut quand même qu’un chef décide, afin de maintenir une certaine cohésion.

— Et pourquoi pas la Tour Blanche ? demanda Romanda en se frayant un chemin jusqu’à Egwene. Les Aes Sedai ont les moyens d’aller d’un champ de bataille à l’autre. Très calmes dans les pires tempêtes, elles ont la confiance de toutes les nations.

Entendant cette dernière affirmation, Darlin arqua un sourcil.

— Seigneur Dragon, dit Tenobia, la Tour Blanche semble le meilleur choix.

— Non, répondit Rand. La Chaire d’Amyrlin est capable de bien des choses, mais pas de mener une guerre. Ce serait un choix irréfléchi.

Bizarrement, Egwene ne dit rien. Perrin l’étudia, perplexe. Il aurait cru qu’elle sauterait sur l’occasion de diriger les opérations.

— Ce doit être l’un d’entre nous, dit Darlin. Choisi parmi ceux qui iront vraiment se battre.

— Une bonne idée, je suppose…, concéda Rand. Si vous vous mettez d’accord sur un nom, je céderai sur ce point. Pas sur mes autres exigences, cependant.

— Tu veux toujours briser les sceaux ? fit Egwene.

— Ne t’inquiète pas, lui dit Moiraine. Il ne les brisera pas.

Rand se rembrunit et Egwene sourit.

— Parce que c’est toi, Chaire d’Amyrlin, qui les briseras.