Du coin de l’œil, il vit qu’ils galopaient sous l’étendard de l’Arafel.
D’autres portails s’ouvrirent. Un, deux, trois… dix. Chacun apparaissant selon un ordre stratégique, tous permirent à des cavaliers, lances brandies, de s’intégrer à la formation du Malkier. Lan reconnut les étendards du Shienar, du Saldaea et du Kandor. En quelques secondes, la charge désespérée de six mille hommes était devenue l’assaut massif d’une centaine de milliers.
Dans les premières lignes de Trollocs, certains crièrent de terreur et d’autres s’immobilisèrent, lance dressée pour éventrer les chevaux de leurs agresseurs. Derrière ces monstres, ceux qui ne pouvaient pas voir ce qui venait d’arriver déboulèrent tels des déments, épées et haches au poing.
Les lanciers immobiles furent balayés par cette charge.
Quelque part derrière Lan, des Asha’man lancèrent des tissages qui éventrèrent le sol, juste devant les monstres. Complètement désorganisées, les Créatures des Ténèbres moururent par centaines. Du coup, les rangs du milieu, soudain exposés, encaissèrent de plein fouet la charge des humains.
Poussant Mandarb au milieu des monstres, Lan frappa de toutes ses forces. À côté de lui, Andere éclata de rire.
— Recule, crétin ! lui cria Lan en décapitant un Trolloc. Conduis les Asha’man jusqu’à nos blessés. Qu’ils protègent le camp !
— Je veux voir ton sourire, Lan ! cria Andere, qui s’accrochait à sa selle. Pour une fois, sois plus démonstratif qu’une pierre. C’est l’occasion ou jamais, non ?
Lan jeta un coup d’œil à la bataille qu’il n’aurait jamais espéré gagner. Un baroud d’honneur qui allait se transformer en triomphe. Alors, il ne put pas se retenir. Au lieu de sourire, il éclata de rire.
Ravi, Andere lui obéit et fila organiser les guérisons et la défense de l’arrière.
— Jophil, lève bien haut mon étendard ! Aujourd’hui, le Malkier est vivant !
7
Le vif du sujet…
La réunion terminée, Elayne sortit du pavillon… et se retrouva dans un bosquet d’une bonne dizaine d’arbres. Et pas n’importe lesquels : des vénérables très hauts, resplendissants de santé, magnifiques, avec des branches incroyables. Oui, des géants de cent pieds ou plus dotés de troncs énormes.
La réaction de la souveraine – se pétrifier, bouche bée – aurait été embarrassante si tout le monde n’avait pas eu la même. Du coin de l’œil, Elayne regarda Egwene, qui n’avait pas l’air plus fin qu’elle. Dans le ciel, le soleil brillait toujours, mais ses rayons peinaient à percer la frondaison. Voilà pourquoi la lumière avait baissé…
— Ces arbres…, fit Perrin.
Il avança et posa une main sur l’épaisse écorce d’un tronc.
— J’ai vu des Grands Arbres semblables. Dans un Sanctuaire.
Elayne s’unit à la Source. L’aura du saidar l’enveloppa, et elle se gorgea de Pouvoir. Puis, amusée, elle constata que la plupart des femmes capables de canaliser avaient fait comme elle dès que le mot « Sanctuaire » était sorti des lèvres de Perrin.
— Quoi que soit devenu Rand, dit Egwene en croisant les bras, il ne peut pas faire apparaître un Sanctuaire.
Une idée qui semblait la réconforter…
— Où est-il passé ? demanda Elayne.
— Il est parti par là, fit Perrin avec un geste de la main, et il a disparu.
Des soldats de tous les camps marchaient entre les arbres, les yeux levés. Elayne entendit un brave du Shienar souffler au seigneur Agelmar :
— Nous les avons vus pousser, seigneur. Ils ont jailli de la terre, et il a fallu moins de cinq minutes pour qu’ils atteignent cette taille. Je jure que c’est vrai ! Qu’on m’interdise de dégainer ma lame si je mens.
— Bon, dit Elayne après s’être coupée de la Source, si on commençait ? Des pays sont en feu ! Des cartes, il nous faut des cartes !
Les autres dirigeants se tournèrent vers la jeune reine. Pendant la réunion, en présence du Dragon Réincarné, peu d’entre eux avaient protesté contre sa nomination. Dans le cercle de Rand, les choses se passaient ainsi, car il décidait de tout. Et sur le coup, ça semblait si logique…
À présent, plusieurs monarques semblaient mécontents qu’une jeune femme les commande. Mieux valait ne pas leur laisser le loisir de s’appesantir sur le sujet.
— Dyelin, où est maître Norry ? demanda Elayne. Aurait-il… ?
— J’ai des cartes, Majesté, annonça Gareth Bryne en sortant du pavillon, Siuan à ses côtés.
En pantalon noir et veste blanche, la Flamme de Tar Valon sur la poitrine, le général semblait avoir pris un coup de vieux. Face à Elayne, il s’inclina mais n’approcha pas trop. Comme la main protectrice de Siuan, sur son bras, son uniforme annonçait clairement où allait sa loyauté.
Elayne se souvint de l’avoir vu se tenir derrière Morgase avec la même expression. Toujours sur le qui-vive, pour protéger la reine. Puis cette même reine l’avait éjecté comme un malpropre. Elayne n’y était pour rien, mais elle voyait très bien la méfiance, sur le visage du militaire.
Incapable de changer le passé, elle devait se concentrer sur l’avenir.
— Si tu as des cartes de cette région, seigneur Bryne, avec les champs de bataille potentiels, nous aimerions les voir. Il faudrait aussi des cartes de tout ce qui s’étend entre ici et Caemlyn. Puis une du Kandor, très détaillée, et des autres Terres Frontalières.
Se tournant vers ses pairs, elle continua.
— Réunissez vos officiers et vos conseillers. Nous devons rencontrer les autres grands capitaines pour débattre de notre plan.
Malgré la pagaille inévitable quand une vingtaine de participants travaillaient à la même tâche, les choses furent vite mises en place. Alors que des domestiques relevaient les côtés du pavillon, Elayne ordonna à Sumeko de rameuter toutes les femmes de la Famille. Puis elle chargea des gardes d’aller chercher des tables et des sièges dans son camp – via un portail, bien entendu.
Elle demanda aussi qu’on lui apporte des rapports sur les événements de la brèche de Tarwin, où Rand avait envoyé le gros des troupes frontalières soutenir et secourir Lan.
Préparatifs obligent, les monarques et les grands capitaines n’y étaient pas allés.
En compagnie d’Egwene, Elayne consulta les cartes de Bryne, déjà déroulées sur quatre tables. Se tenant à l’écart, les dirigeants laissaient les militaires converser entre eux.
— Du bon travail, dit le seigneur Agelmar.
Originaire du Shienar, ce héros était l’un des quatre grands capitaines. Les deux derniers – Bashere et Ituralde – se tenaient côte à côte devant une autre table. Ensemble, ils apportaient des corrections à une carte de la partie occidentale des Terres Frontalières. Des poches sous les yeux, Ituralde tremblait parfois un peu. D’après ce qu’avait entendu Elayne, il était sorti vivant, mais à peine, du désastre de Maradon. Un drame qui ne remontait pas à longtemps. À dire vrai, elle n’aurait pas cru le voir ici…
— Bien, nous devons nous battre, récapitula la jeune reine à l’intention de ses pairs. Mais comment ? Et où ?
— Les Créatures des Ténèbres ont déferlé sur Caemlyn, sur le Kandor et sur la brèche de Tarwin. Si nos armées parviennent à aider Lan Mandragoran à tenir la position, il ne faudra surtout pas abandonner la brèche. Notre attaque a probablement forcé les Trollocs à se replier dans le canyon. Pour les empêcher d’en ressortir, la cavalerie du Malkier n’est pas assez puissante. Devons-nous la renforcer avec plusieurs compagnies de piquiers ? Si la brèche tient, nous pourrons envoyer le gros de nos forces combattre en Andor et au Kandor.
Agelmar approuva du chef.
— Oui, c’est jouable, si nous accordons à Dai Shan un soutien suffisant. Mais nous ne pouvons pas permettre que le Shienar subisse le même sort que le Kandor. Si les Trollocs sortent de la brèche…