— Nous sommes prêts à une bataille à grande échelle, dit le roi Easar. La résistance du Kandor et celle de Lan, devant la brèche, nous gagnent le temps dont nous avons besoin. Mes forces se replient dans nos forteresses. Même si la brèche tombe, nous résisterons.
— De vaillants propos, Majesté, dit Gareth Bryne. Mais j’aimerais mieux que nous n’ayons pas à mettre à l’épreuve ainsi la bravoure du Shienar. Prévoyons plutôt de tenir la brèche en lui affectant les forces requises.
— Et Caemlyn ? demanda Elayne.
Ituralde hocha pensivement la tête.
— Une armée ennemie derrière nos lignes, avec une issue des Chemins pour faire venir des renforts… C’est un gros problème.
— Les rapports de ce matin, annonça Elayne, signalent que les monstres ne bougent pas. Ils ont incendié plusieurs quartiers, mais en ont épargné d’autres. Et maintenant que la ville est à eux, ils éteignent les feux…
— Ils devront partir, tôt ou tard, rappela Bryne. Mais il vaudrait mieux qu’on les éjecte le plus tôt possible.
— Pourquoi ne pas envisager un siège ? proposa Agelmar. Selon moi, le gros de nos forces devrait aller au Kandor. Pas question que le Trône des Nuages et les Trois Halls du Commerce tombent comme les Sept Tours.
— Le Kandor est déjà tombé, souffla le prince Antol.
Les quatre grands capitaines regardèrent le fils aîné de la reine du Kandor. Très grand, il était en principe taciturne. Là, il parla sans retenue.
— Ma mère se bat pour notre pays, mais c’est un combat pour la vengeance et pour la rédemption. Le Kandor est en feu, le savoir me déchire le cœur, et nous n’y changerons rien. La priorité, c’est Andor. Un royaume d’une importance stratégique capitale. Et je ne voudrais pas voir un autre pays subir le sort du mien.
Les monarques acquiescèrent.
— Un sage conseil, Votre Grandeur, dit Bashere. Merci beaucoup.
— Dans tout ça, intervint Rhuarc, n’oubliez pas le mont Shayol Ghul.
Un peu à l’écart, l’Aiel se tenait avec Perrin, quelques Aes Sedai et d’autres chefs de tribu. Les grands capitaines se tournèrent vers lui comme s’ils avaient oublié jusqu’à son existence.
— Le Car’a’carn attaquera bientôt le mont, rappela Rhuarc. Ce jour-là, il aura besoin d’avoir des lances avec lui.
— Il les aura, assura Elayne. Même si ça nous laisse avec quatre fronts au lieu de trois. Le mont Shayol Ghul, la brèche de Tarwin, le Kandor et Caemlyn.
— Commençons par Caemlyn, dit Ituralde. L’idée d’un siège me déplaît. Nous devons éjecter les Trollocs. Si nous les fixons en ville, ça leur donnera le temps de faire venir des renforts par les Chemins. Nous devons les expulser – selon nos conditions.
Agelmar approuva du chef puis se pencha sur la carte de Caemlyn qu’un aide de camp venait d’apporter.
— Pouvons-nous endiguer le flot ? Reprendre l’issue des Chemins ?
— J’ai essayé, dit Elayne. Ce matin, nous avons envoyé trois forces distinctes dans le sous-sol où se trouve l’issue. Mais les Ténèbres ont prévu la manœuvre et se sont retranchées. Pas un de nos hommes n’est revenu. Donc, j’ignore s’il est possible de reprendre l’issue ou de la détruire.
— Et si on essayait par l’autre côté ? proposa Agelmar.
— L’autre côté ? Tu veux dire par l’intérieur des Chemins ?
Le militaire acquiesça.
— Personne ne peut traverser les Chemins, rappela Ituralde.
— Les Trollocs le font bien, fit Agelmar.
— J’y ai Voyagé, intervint Perrin en approchant des tables. Désolé, mes seigneurs, mais je doute que cette tactique serait couronnée de succès. Et d’après ce que j’ai compris, il est impossible de détruire une issue, même avec le Pouvoir de l’Unique. Quant à tenir de l’intérieur, il ne faut pas y compter, avec le Vent Noir… La meilleure solution, c’est d’attirer les Trollocs hors de Caemlyn, puis de tenir l’issue de l’extérieur. Si on la défend comme il faut, le Ténébreux ne pourra plus l’utiliser.
— Très bien, dit Elayne. Mais il faudra réfléchir à d’autres options… Cela dit, une idée vient de me frapper. Nous devrions demander à la Tour Noire de nous envoyer ses Asha’man. Combien sont-ils, en tout ?
Perrin se racla la gorge.
— Majesté, je te conseille beaucoup de prudence, quand il est question de cet endroit. Il s’y passe quelque chose…
— Quoi donc ?
— Je l’ignore… Mais j’ai parlé avec Rand de la Tour Noire, et il était inquiet. Au point de vouloir enquêter… Donc, la prudence s’impose.
— Je suis toujours prudente, fit distraitement Elayne. Alors, comment les faire sortir de Caemlyn, ces Trollocs ?
— Nous pouvons peut-être cacher une importante force offensive dans le bois de Braem – il est ici, à quelque cinquante lieues au nord de Caemlyn. (Bryne désigna un point, sur la carte.) Il faudrait qu’un gros détachement de nos hommes vienne narguer les Trollocs, devant les portes de Caemlyn, histoire qu’ils le poursuivent jusqu’au bois… J’ai toujours craint qu’une armée ennemie s’y cache avec l’idée d’attaquer la capitale. Et voilà que je reprends cette tactique à mon compte.
— Intéressant, fit Agelmar, penché sur une carte des environs de Caemlyn. C’est un plan prometteur.
— Et le Kandor dans tout ça ? demanda Bashere. Le prince Antol a raison : ce pays est perdu, mais nous ne pouvons pas laisser les Trollocs se répandre partout à partir de cette base.
Ituralde se gratta le menton.
— Toute cette affaire promet d’être difficile. Trois armées de Trollocs, et nous voilà contraints de faire face aux trois. Mais nous ne devons pas répartir nos forces de manière égale. La bonne stratégie, j’en suis presque sûr, est de se concentrer sur une de ces armées et de retarder les autres à bas coût.
— C’est à Caemlyn que les Trollocs doivent être les moins nombreux, dit Agelmar. N’oublions pas qu’ils y entrent par un goulet d’étranglement.
— Bien vu, approuva Bashere. Nos chances d’obtenir une victoire rapide sont meilleures à Caemlyn. C’est là que nous devons attaquer avec le gros de nos forces. Si nous gagnons en Andor, ça fera un front de moins à gérer. Et ça, c’est un avantage énorme.
— Oui, approuva Elayne. Nous soutiendrons Lan, mais en lui donnant simplement mission de tenir aussi longtemps que possible. À la frontière du Kandor, nous enverrons une petite troupe, avec l’idée de retarder l’ennemi – et de battre lentement en retraite, si la situation l’impose. Pendant que ces deux fronts seront neutralisés, nous écraserons les Trollocs à Caemlyn.
— Parfait, dit Agelmar. J’aime ce plan. Mais quelle force envoyer au Kandor ? Quelle armée réduite peut ralentir les Trollocs ?
— La Tour Blanche ? proposa Elayne. Si nous envoyons les Aes Sedai, elles enrayeront l’avance des monstres. Nous n’aurons plus qu’à libérer Caemlyn.
— Bien vu, fit Bryne. Je souscris à ce plan.
— Et le quatrième front ? s’enquit Ituralde. Le mont Shayol Ghul ? Quelqu’un connaît le plan du seigneur Dragon ?
Personne ne dit un mot.
— Les Aiels lui fourniront des guerriers, dit Amys, toujours à l’écart en compagnie des chefs. Ne vous souciez pas de nous. Établissez vos plans de bataille, nous peaufinerons les nôtres.
— Non, lâcha Elayne.
— Pardon ? fit Aviendha.
— C’est précisément ce que Rand veut éviter, expliqua la jeune reine. Les Aiels doivent collaborer avec nous. La bataille du mont Shayol Ghul sera sans doute décisive. Je ne veux pas qu’une faction se la réserve et prétende combattre seule. Les Aiels devront accepter notre aide.