On se bat ensemble !
8
Cette cité qui se consume…
Montée sur Ombre de Lune, une jument marron sortie des écuries royales, Elayne Trakand franchit le portail qu’elle avait elle-même ouvert.
Les écuries étant entre les mains des Trollocs, à présent, les compagnons d’Ombre de Lune avaient sans nul doute fini dans des chaudrons. Prudente, Elayne s’efforçait de ne pas penser à tout ce qui avait dû cuire en même temps que les chevaux. Des gens, très probablement…
Elle raffermit sa détermination. Sur le visage de leur reine, les soldats ne devaient pas voir l’ombre d’un doute.
Comme destination, la jeune femme avait choisi le sommet d’une colline, à quelque mille pas au nord-ouest de Caemlyn. Hors de portée de flèche, mais assez près pour bien voir la capitale. Après la guerre de Succession, plusieurs compagnies de mercenaires avaient campé dans ces collines. Depuis, elles avaient rejoint l’armée de la Lumière ou s’étaient éparpillées pour devenir des bandes de voleurs et de brigands.
L’avant-garde ayant déjà sécurisé le site, le capitaine Guybon salua la reine tandis que des membres de sa garde, des deux sexes, se déployaient autour d’elle.
L’air empestait le brûlé. Voir de la fumée monter de Caemlyn comme s’il s’agissait du pic du Dragon ajouta de l’amertume aux maelströms d’émotions qui tourbillonnaient dans la tête d’Elayne.
Jadis si fière, la cité était morte, mais elle continuait à se consumer. Devant tant de colonnes de fumée, la reine pensa au printemps, quand les fermiers, de temps en temps, incendiaient leurs champs pour les débarrasser plus vite des mauvaises herbes. Alors qu’elle dirigeait Caemlyn depuis moins de cent jours, il n’en restait plus rien.
Si les dragons peuvent infliger ça à une ville, songea Elayne en observant le trou foré par Talmanes dans le mur d’enceinte, il faudra que le monde change. Tout ce que nous savons sur la guerre devra être revu…
— Combien de monstres, selon toi ? demanda-t-elle à l’homme qui chevauchait à côté d’elle.
Après les épreuves qui avaient failli lui coûter la vie, Talmanes ne s’était accordé qu’un jour de repos. En toute raison, il aurait dû rester au champ de Merrilor. Et quoi qu’il arrive, il ne participerait à aucun engagement avant pas mal de temps.
— C’est impossible à dire, Majesté, parce qu’ils sont cachés un peu partout en ville. (Talmanes s’inclina respectueusement.) Des dizaines de milliers, je dirais. Mais pas des centaines…
Près de la reine, le militaire était très nerveux, et il le montrait à la façon des Cairhieniens – en lui manifestant un respect exagéré. D’après ce qu’on disait, c’était un des bras droits de Mat, qui lui faisait une confiance aveugle. Un militaire franc et loyal. C’était facile à croire ; sinon, le jeune flambeur l’aurait déjà corrompu jusqu’à la moelle.
Hélas, ce guerrier ne jurait jamais. Quel dommage…
D’autres portails s’ouvrirent au-dessus de l’herbe jaunie. Les forces d’Andor en émergèrent, couvrant la colline et la vallée. Elayne avait pris la tête d’une énorme troupe de guerriers – dont un grand nombre de siswai’aman –, destinés à soutenir sa Garde Royale et l’armée andorienne régulière, respectivement placées sous le commandement de Birgitte et de Guybon. Un autre contingent d’Aiels comprenant les Promises, les Matriarches et les guerriers restants avait reçu pour mission de Voyager avec Rand jusqu’au mont Shayol Ghul.
Une poignée de Matriarches – celles qui étaient proches de Perrin – accompagnait Elayne. Une trop petite poignée, au goût de la jeune reine, qui aurait voulu avoir avec elle beaucoup plus d’hommes et de femmes capables de canaliser. Bien sûr, elle disposait de la Compagnie de la Main Rouge et de ses dragons. Mais était-ce assez pour compenser la faiblesse de ses forces non conventionnelles ? En plus des Matriarches, elle pouvait compter sur des femmes de la Famille – mais pas parmi les plus puissantes, loin de là.
Perrin et ses hommes étaient là aussi. À savoir les Gardes Ailés de Mayene, les lanciers du Ghealdan, les Capes Blanches – ça, la reine ne savait pas trop qu’en penser – et une compagnie d’archers de Deux-Rivières placée sous le commandement de Tam.
La Garde du Loup complétait les effectifs. Pour l’essentiel, il s’agissait de réfugiés reconvertis en soldats, certains d’entre eux ayant reçu une formation militaire.
Et bien sûr, il ne fallait pas oublier la Légion du Dragon de Bashere.
Elayne avait approuvé le plan du militaire pour la bataille de Caemlyn.
« Nous devons faire en sorte que les combats se déroulent dans le bois de Braem. Quand les Trollocs en approcheront, nos archers feront un massacre. Si ces gars sont aussi mobiles en forêt qu’on me l’a dit, ils seront aussi dangereux après s’être repliés. »
Les Aiels aussi seraient dévastateurs dans un bois où les monstres ne pourraient pas s’appuyer sur le nombre et la masse pour écraser leurs adversaires.
Bashere ne quittait pas Elayne d’un pouce. À l’évidence, Rand lui avait demandé de veiller sur elle. Comme s’il n’avait pas suffi de Birgitte, sur le pied de guerre dès que son Aes Sedai levait le petit doigt…
Rand a intérêt à ne pas mourir, pour que je puisse lui dire ce que je pense à son sujet.
Les jambes arquées, comme tous les cavaliers, Bashere arborait une épaisse moustache. À Elayne, il ne s’adressait pas comme il aurait dû face à une reine. Tenobia étant sa nièce, il se sentait peut-être à l’aise en compagnie des têtes couronnées.
Il est premier sur la liste de succession, se rappela Elayne.
Travailler avec lui était excellent dans l’optique des liens à renforcer avec le Saldaea. L’idée de voir un de ses enfants sur ce trône séduisait toujours la jeune reine.
Elle posa une main sur son ventre. Désormais, les bébés donnaient de fréquents coups de pied et de coude. Avant sa grossesse, personne ne lui avait dit que ce serait si semblable à une indigestion. Comble de malchance, Melfane, contre toute attente, avait déniché du lait de chèvre.
— Quoi de neuf ? demanda Elayne alors que Birgitte et Bashere la rejoignaient.
Talmanes fit s’écarter son cheval pour leur laisser de la place.
— Nous avons reçu les rapports des éclaireurs, annonça Bashere.
— Et le général avait raison, dit Birgitte. Les Trollocs ont été contenus, et la plupart des incendies sont éteints. Une bonne moitié de la ville tient toujours. Pour l’essentiel, la fumée provient des feux de cuisson, pas des bâtiments.
— Les Trollocs sont stupides, dit Bashere. Pas les Blafards… Les monstres auraient joyeusement mis à sac la ville avant de la brûler, mais ils auraient pu perdre la maîtrise des flammes. Leurs Myrddraals les en ont empêchés.
» Quoi qu’il en soit, nous ignorons toujours le plan de nos adversaires, mais à l’évidence, ils se sont laissé l’option de défendre la capitale, s’ils en ont envie.
— Vont-ils tenter ce coup-là ? demanda Elayne.
— Je ne sais pas, répondit Bashere avec sa franchise habituelle. Nous ignorons tout de leurs objectifs. Cette invasion visait-elle à nous intimider et à semer le chaos dans nos rangs ? Ou à procurer aux Ténèbres une place forte qui puisse servir de base arrière à leurs opérations ? Durant les guerres des Trollocs, les Blafards ont recouru à cette stratégie.
Elayne acquiesça.
— Votre Majesté, dit une voix, si je puis me permettre ?
La reine se retourna et découvrit un des hommes de Deux-Rivières. Un des chefs… Le second de Tam…