— Ils ont donc mordu à l’hameçon, fit Elayne. Allons faire nos préparatifs. Messagère, repose-toi quand même un peu. Très bientôt, tu auras besoin de toutes tes forces.
La messagère hocha la tête puis reprit sa route.
La jeune reine allait devoir transmettre les dernières nouvelles à Talmanes, aux Aiels et à Tam al’Thor.
Entendant une explosion au loin, Elayne leva une main, interrompant le rapport d’une Garde de la Reine. Nerveusement, Ombre de Lune avança au milieu des hommes accroupis dans les broussailles.
Personne ne parla. Les soldats semblaient à peine faire l’effort de respirer…
Elayne s’unit à la Source. Dès que le Pouvoir déferla en elle, elle s’enivra de la douceur du monde, soudain redevenu plus vivant que jamais. Même le bois de Braem, pourtant agonisant, paraissait plus coloré à travers le prisme du saidar.
Oui, quelque chose gravissait les collines, dans le lointain. Les provocateurs d’Elayne, par milliers, approchaient du bois sur des montures presque mortes d’épuisement.
La jeune reine leva sa longue-vue pour étudier la horde de Trollocs qui poursuivait ces braves. Des vagues noires qui submergeaient un paysage désolé.
— Enfin ! s’exclama Elayne. Archers, en première ligne !
Les gars de Deux-Rivières jaillirent des broussailles et se mirent en formation à la lisière des arbres. Dans l’armée d’Andor, ces archers composaient une minuscule unité. Mais si les rapports sur leurs exploits n’étaient pas exagérés, ils seraient aussi dévastateurs qu’une compagnie dix fois plus nombreuse.
Quelques-uns des plus jeunes archers encochèrent une flèche.
— Attendez ! cria Elayne. Ce sont nos amis qui approchent.
Tam et ses adjoints répercutèrent l’ordre. Nerveux, les hommes baissèrent leur arc.
— Majesté, dit Tam en avançant vers le cheval d’Elayne, d’ici, mes gars peuvent toucher les Trollocs.
— Oui, mais nos hommes sont encore dans leur ligne de mire. Attendons qu’ils s’écartent sur les côtés.
— Je m’excuse d’insister, ma reine, mais aucun gaillard de Deux-Rivières ne raterait un tir pareil. Nos cavaliers ne risqueraient rien… Et les Trollocs qui les traquent ont eux aussi des arcs.
Sur ce point, le père de Rand avait raison. Certains monstres s’arrêtaient pour armer leur arc géant en bois noir. Perrin et ses hommes exposaient leur dos aux Trollocs, et plusieurs avaient une flèche noire plantée dans un membre ou dans la croupe de leur monture.
— Tirez ! dit Elayne. Archers, tirez !
Birgitte remonta les rangs pour faire circuler l’ordre. Tam se chargea aussi de le transmettre.
Elayne baissa sa longue-vue alors qu’une brise, balayant le bois, faisait bruire les feuilles mortes et trembler les branches squelettiques.
Les gars de Deux-Rivières lâchèrent leurs flèches. Par la Lumière ! Pouvaient-ils vraiment tirer si loin et rester d’une parfaite précision ? Leurs cibles se trouvaient à des centaines de pas de distance…
Les flèches montèrent très haut, comme des faucons qui s’envolent de leur nid. Par le passé, Elayne avait entendu les rodomontades de Rand au sujet de son arc, et elle avait vu un archer de Deux-Rivières tirer. Mais ça… Tant de flèches qui suivaient une trajectoire rigoureusement similaire.
Puis les projectiles infléchirent leur course et s’abattirent sur les monstres, aucun ne retombant avant les autres. Cette pluie s’abattit sur les Trollocs – tout particulièrement sur leurs archers.
Il y eut quelques ripostes, mais pour l’essentiel, les hommes de Tam avaient neutralisé les archers adverses.
— Voilà qui s’appelle tirer à l’arc, dit Birgitte en faisant reculer son cheval. Du sacré bon travail…
Les gars de Tam lâchèrent d’autres volées, protégeant Perrin et ses hommes jusqu’à ce qu’ils soient entrés dans la forêt.
— Arbalétriers ! ordonna Elayne. (Dégainant son épée, elle la leva au-dessus de sa tête.) En avant, la Légion du Dragon !
Les gars de Deux-Rivières reculèrent et les arbalétriers avancèrent. Elayne disposait de deux compagnies, issues de la Légion du Dragon, et Bashere les avait entraînées à la perfection. Ces hommes formèrent trois rangs, l’un tirant pendant que les deux autres s’agenouillaient pour recharger. Sous ce déluge de carreaux, des milliers de Trollocs périrent, comme touchés par la foudre.
Elayne mit son épée à l’horizontale, en direction des monstres. Des branches où ils s’étaient perchés, les archers de Tam recommencèrent à tirer. Dans une position précaire, ils se révélèrent un peu moins précis, mais ça n’avait guère d’importance. Leurs rangs bien trop serrés, les Trollocs, de près, faisaient des cibles faciles.
Approchez ! pensa Elayne.
Les monstres lui obéirent docilement. Cependant, un contingent se détacha de la horde pour se diriger vers l’est. La route qui longeait le bois était là, et il semblait logique que les Trollocs veuillent l’emprunter pour prendre à revers leurs adversaires. Au moins, les Blafards devaient raisonner ainsi…
— On se replie dans le bois ! cria Elayne en agitant son épée.
Les arbalétriers lâchèrent une dernière volée de carreaux, puis ils reculèrent et s’enfoncèrent dans les broussailles anémiques. Sautant de leur perchoir, les gars de Deux-Rivières imitèrent la manœuvre.
Elayne fit volter sa monture et partit au petit trot. Après quelques foulées, elle rejoignit une escouade de lanciers du Ghealdan armés pour l’occasion de piques et de hallebardes.
— Reculez dès que vous serez arrivés au contact ! leur lança Elayne. N’oubliez pas que nous voulons les forcer à s’enfoncer dans ce bois !
Oui, plus profondément, là où les siswai’aman s’apprêtaient à les accueillir.
Les soldats acquiescèrent. Continuant son chemin, Elayne dépassa Alliandre. Perchée sur son cheval, une garde rapprochée l’entourant, la reine s’inclina pour saluer son homologue. Ses hommes avaient insisté pour qu’elle reste avec Berelain, à l’hôpital de campagne, mais elle avait catégoriquement refusé. Voir Elayne à la tête de ses troupes avait sûrement renforcé sa décision.
Elayne laissa la souveraine derrière elle. Déjà, les premiers Trollocs entraient dans le bois en grognant et en beuglant. Pour eux, se battre dans une forêt ne serait pas une partie de plaisir. Moins grands et moins massifs, les humains pourraient se cacher et leur tendre une multitude d’embuscades. Harcelés de tous côtés, les monstres n’en mèneraient pas large, d’autant plus que les archers et les arbalétriers, hautement mobiles, continueraient à les prendre pour cibles. Et s’ils manœuvraient bien, les monstres ne sauraient même pas d’où venaient les coups.
Alors qu’Elayne guidait ses Gardes Royaux vers la route, elle entendit des explosions, dans le lointain, et des cris de Trollocs. Avec leur fronde, des hommes lançaient sur les monstres des cylindres explosifs d’Aludra, et des éclairs zébraient l’air entre les troncs d’arbre.
La jeune reine atteignit la route à temps pour voir des Trollocs s’y déverser, plusieurs Myrddraals en tenue noire à leur tête. Sans rencontrer d’obstacles, cette horde aurait aisément pu attaquer les flancs et les arrières de l’armée d’Andor. Mais les Bras Rouges avaient déjà mis les dragons en batterie sur la route. Les mains croisées dans le dos, Talmanes, perché sur un tas de caisses, observait ses hommes. Derrière lui, l’étendard de la Compagnie – main rouge sur un fond blanc à liseré rouge – battait au vent. Aludra distribuait des consignes de tir – non sans agonir parfois d’injures les servants qui faisaient une erreur ou se montraient trop lents.
Devant Talmanes, les dragons s’alignaient – près d’une centaine, déployés sur quatre rangées en travers de la très large route et sur les champs attenants.