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Trop loin de Talmanes, Elayne ne l’entendit pas donner l’ordre de tirer. Une bonne chose, peut-être, car le vacarme qui suivit l’ébranla comme si le pic du Dragon lui-même avait décidé d’entrer en éruption.

Ombre de Lune hennit et renâcla. Pour ne pas basculer de selle, Elayne dut lutter contre sa monture. De guerre lasse, elle lui boucha les oreilles avec un tissage d’Air. Les servants de la première rangée ayant écarté leurs dragons, la deuxième put passer à l’action.

Egwene continua à calmer Ombre de Lune et se boucha aussi les oreilles. Également occupée à maîtriser sa monture terrifiée, Birgitte finit par sauter à terre. Mais Elayne ne lui accorda aucune attention. Les yeux plissés, elle tenta de voir à travers le rideau de fumée qui barrait la route.

Déjà, le troisième rang de dragons se préparait à tirer.

La jeune reine sentit le sol vibrer lorsque la troisième salve manqua déraciner les arbres. La quatrième suivit très vite, ébranlant la souveraine jusqu’aux os. Le souffle court et le cœur affolé, elle attendit que la fumée se dissipe.

D’abord, elle revit Talmanes, perché sur ses caisses. La première rangée de dragons, tous rechargés, était revenue en position de tir. Les trois autres devaient être en cours de rechargement.

Alors, venue de l’ouest, une brise puissante chassa suffisamment la fumée pour révéler à Elayne…

… un spectacle effarant.

Des milliers de Trollocs, démembrés, éventrés, décapités, gisaient sur la route. Partout, sur la terre noircie, on reconnaissait des bras, des jambes, des scalps sanglants et d’autres lambeaux de corps. De l’unité qui aurait dû remporter la victoire, selon les Blafards, il ne restait rien que des entrailles répugnantes et des charognes. En même temps que les monstres, beaucoup d’arbres avaient été brisés en deux.

Des Myrddraals, on ne voyait même plus l’ombre…

Les servants des dragons n’embrasèrent pas les mèches. À part quelques fugitifs, trop éparpillés pour qu’on gaspille des munitions, il ne restait plus personne à tuer.

Elayne se tourna vers Birgitte et lui sourit. Très grave, la Championne soutint le regard de son Aes Sedai pendant que quelques Gardes de la Reine féminins essayaient de rattraper son cheval.

— Eh bien ? demanda Elayne en se débouchant les oreilles.

— Je crois que… Hum, ces armes sont très sales, peu précises… et fichtrement efficaces.

— Tout à fait, approuva Elayne, très fière.

S’avisant qu’on lui avait ramené sa monture, la Championne se hissa en selle.

— J’ai longtemps cru qu’un homme et un arc formaient la combinaison la plus mortelle imaginable en ce monde. Aujourd’hui, alors que les mâles peuvent canaliser et que les Seanchaniens utilisent le Pouvoir au combat – ce qui est déjà accablant –, voilà que nous avons ces… objets. Je n’aime pas la façon dont ça tourne. Si chaque gamin muni d’un cylindre en métal peut détruire toute une armée…

— Tu ne comprends pas ? Il n’y aura plus de guerre ! Après celle-là, la paix régnera, comme le désire Rand. À part les Trollocs, quels fous iraient au combat pour affronter des armes pareilles ?

— C’est possible, admit Birgitte. (Mais elle secoua la tête.) Cela dit, j’ai peut-être moins foi en l’humanité que toi…

Elayne haussa les épaules et leva son épée à l’intention de Talmanes, qui brandit la sienne en réponse. Le premier pas vers la destruction totale des Trollocs d’Andor venait d’être fait…

11

Juste un autre mercenaire blessé

— J’ai conscience qu’il y a eu des désaccords entre nous, par le passé, dit Adelorna Bastine alors qu’elle chevauchait près d’Egwene en direction du camp.

Mince et altière, Adelorna arborait les cheveux noirs et les yeux inclinés typiques du Shienar.

— Mais je ne voudrais pas que tu nous tiennes pour des ennemies.

— Ce n’est pas le cas, répondit Egwene, prudente, et ça ne le sera jamais.

Elle ne demanda pas ce qu’Adelorna voulait dire avec son « nous ». Cette femme appartenait à l’Ajah Vert, et Egwene, à une époque, s’était demandé si elle n’en était pas la dirigeante.

— Tant mieux, fit Adelorna. Au sein de mon Ajah, certaines sœurs ont agi… follement. Depuis, elles ont été… informées de leurs erreurs. Mère, tu ne rencontreras plus de résistance de la part des Aes Sedai qui auraient dû t’aimer et te soutenir. Quoi qu’il se soit passé, tournons la page.

— D’accord, tournons-la, fit Egwene, amusée.

Après tout ça, les sœurs vertes veulent me récupérer ?

Eh bien, même si la manœuvre était grossière, Egwene saurait se servir de ces femmes. Jusque-là, elle redoutait que sa relation avec elles ait du plomb dans l’aile. De fait, choisir Silviana comme Gardienne lui avait valu pas mal d’ennemies dans l’Ajah Vert. Selon les rumeurs, beaucoup de sœurs pensaient que son cœur battait en secret pour l’Ajah Rouge, et qu’elle l’aurait choisi. Même en ayant un Champion, et même après en avoir fait son mari.

— Si je peux demander, dit la Chaire d’Amyrlin, un événement particulier a-t-il jeté un pont par-dessus nos divergences ?

— Certaines femmes ignorent délibérément tes exploits pendant l’attaque des Seanchaniens. Ce jour-là, tu as fait montre de l’âme d’une guerrière et du sang-froid d’un général. Ces qualités, l’Ajah Vert ne doit plus refuser de les voir. Au contraire, nous devons les prendre pour exemples. Il en a été décidé ainsi par celles qui dirigent cet Ajah.

Adelorna chercha le regard d’Egwene, puis elle inclina la tête.

La conclusion était facile à tirer. Adelorna était bel et bien à la tête des sœurs vertes. Le dire ouvertement aurait été inconvenant, mais confier cette information à Egwene, même de manière détournée, était une preuve de loyauté et de respect.

« Si tu avais appartenu à notre Ajah avant ta nomination, tu aurais su qui était à sa tête. Et tu aurais connu tous nos secrets. Eh bien, je te les offre. »

Voilà ce que signifiait le discours d’Adelorna. En y ajoutant de la gratitude, car Egwene lui avait sauvé la vie, lors de l’assaut des Seanchaniens.

La Chaire d’Amyrlin n’appartenait à aucun Ajah. Egwene avait poussé cette caractéristique très loin, puisqu’elle n’avait jamais été membre d’un Ajah. Cela dit, la démarche d’Adelorna était émouvante. Pour la remercier, Egwene lui posa une main sur le bras, puis elle lui donna l’autorisation de se retirer.

Gawyn, Silviana et Leilwin chevauchaient sur le côté, où Egwene les avait relégués après que la dirigeante verte lui eut demandé un entretien privé.

Leilwin, la Seanchanienne… Egwene hésitait entre deux options : la garder près d’elle pour la surveiller, ou l’envoyer à l’autre bout du monde.

Les informations de cette transfuge sur le Seanchan s’étaient révélées très utiles. Autant qu’elle pouvait le dire, Egwene estimait que Leilwin ne lui avait pas menti. Pour l’instant, donc, elle la garderait à ses côtés – ne serait-ce que pour répondre à d’autres questions sur les Seanchaniens.

Depuis leur conversation, Leilwin se comportait plus comme une garde du corps que comme une prisonnière. Comme si Egwene allait confier sa sécurité à une Seanchanienne !

La Chaire d’Amyrlin secoua la tête.

Dans le camp, la plupart des tentes étaient vides, parce que Bryne avait fait mettre ses hommes en ordre de bataille. Selon lui, les Trollocs seraient là dans l’heure…

Sous une tente proche du centre du camp, Egwene trouva le général occupé à classer ses cartes et ses rapports. Yukiri était là aussi, les bras croisés.

Egwene mit pied à terre et entra.