Выбрать главу

— Mère ! s’exclama Bryne en levant les yeux. Attention !

Egwene se pétrifia. Puis elle vit juste devant ses pieds un trou où elle avait failli tomber.

Un portail, à l’évidence… De l’autre côté, il donnait sur les collines que les Trollocs traversaient. Toute la semaine, les escarmouches s’étaient succédé, les archers et les cavaliers d’Egwene taillant en pièces les monstres qui se dirigeaient vers la frontière de l’Arafel.

Egwene étudia l’étrange portail horizontal. Regarder les Trollocs ainsi lui donnait le tournis. Pourtant, ils étaient encore loin…

— Est-ce génial, général Bryne, dit-elle, ou incroyablement stupide ?

— Pour gagner une guerre, il faut des informations, mère. Si je peux voir exactement ce que mijotent les Trollocs – comment ils tentent de nous encercler, et en faisant venir combien de renforts –, je suis à même de me préparer. C’est mieux qu’une tour de bataille. J’aurais dû y penser bien plus tôt.

— Le Ténébreux dispose de Seigneurs de la Terreur, rappela Egwene. Regarder à travers ce portail peut te coûter la vie. Sans même mentionner les attaques de Draghkars. Si plusieurs d’entre eux décident de le traverser en même temps…

— Les Draghkars sont des Créatures des Ténèbres, dit Bryne. Si j’ai bien compris, s’ils essaient de traverser ce portail, ils crèveront tous.

— Je pense que c’est vrai, oui… Mais dans ce cas, on devrait déjà avoir une montagne de cadavres de Draghkars sur les bras. De toute façon, n’importe qui maniant le Pouvoir serait à même d’attaquer via ce portail.

— Je courrai ce risque… L’avantage que ça nous offre est… monstrueux.

— Sans doute, concéda Egwene, mais j’aimerais autant que tu demandes à tes éclaireurs d’espionner nos adversaires à travers cette… chose. Tu es un de nos principaux atouts, Bryne. Alors, même s’il est impossible de ne courir aucun risque, j’aimerais que tu les réduises au minimum.

— Oui, mère.

Egwene étudia les tissages, puis elle regarda Yukiri.

— Je me suis portée volontaire, mère, expliqua la sœur avant que la dirigeante ait pu demander comment une représentante pouvait se retrouver en train d’ouvrir et de maintenir des portails. Le général nous a convoquées puis il a demandé si créer un portail horizontal était possible. J’ai relevé le défi.

Egwene ne s’étonna pas que Bryne ait présenté sa requête aux sœurs grises. Parmi elles, une conviction gagnait du terrain. Si les sœurs jaunes étaient spécialisées dans la guérison, et les vertes dans l’art de la guerre, les grises devaient s’intéresser de près aux tissages relatifs au Voyage. Étant des ambassadrices et des médiatrices, elles estimaient que les déplacements faisaient partie intégrante de leur vocation.

— Tu peux me montrer nos lignes ? demanda Egwene.

— Bien entendu, mère.

Yukiri ferma le portail et en ouvrit un autre donnant sur les troupes qui se mettaient en position en vue d’un choc imminent.

Oui, c’était beaucoup plus efficace qu’une carte, incapable de rendre compte des détails du terrain et des mouvements des armées. Egwene eut le sentiment de se trouver devant une réplique miniature du futur champ de bataille.

Mais le vertige la rattrapa. Après tout, elle se tenait au bord d’un à-pic de plusieurs centaines de pieds. La tête tournant comme une toupie, elle recula puis inspira à fond.

— Tu devrais mettre une corde autour de ce gouffre, dit-elle. Quelqu’un pourrait tomber dedans…

Ou basculer dans le vide pour s’être trop penché…

— J’ai demandé à Siuan de me dénicher une protection, marmonna Bryne. (Il hésita un peu.) Comme elle déteste qu’on lui donne des ordres, elle risque de revenir avec un fourbi parfaitement inutile.

— Je me demande quelque chose…, souffla Yukiri. Serait-il possible de générer un portail de ce genre, mais qui laisserait seulement passer la lumière ? Comme une fenêtre, quoi… On pourrait se placer dessus et regarder en bas sans avoir peur de traverser la « vitre » et de tomber. Avec les tissages requis, cet artefact pourrait même être invisible de l’autre côté…

Se placer dessus ? Par la Lumière, tu es folle, ma fille !

— Seigneur Bryne, dit Egwene, ton front me paraît très solide.

— Merci, mère.

— Mais il a des lacunes.

Bryne leva les yeux de ses cartes. Un autre homme aurait peut-être blêmi sous la provocation, mais pas lui. Peut-être parce qu’il avait côtoyé Morgase des années durant, développant une épaisse couenne.

— Lesquelles, mère ?

— Tu as disposé tes troupes selon le schéma classique. Les archers à l’avant et sur les collines pour ralentir l’ennemi, la cavalerie lourde pour charger et frapper puis se retirer… Des piquiers pour tenir les lignes, et la cavalerie légère pour protéger nos flancs et éviter tout encerclement.

— Les meilleures stratégies sont souvent les plus éprouvées, se défendit Bryne. Avec tous les fidèles du Dragon, nous avons une belle armée, mais l’avantage numérique reste dans l’escarcelle des Trollocs. On ne peut pas être plus agressif que je l’ai été…

— Si, c’est possible, dit calmement Egwene. (Elle chercha le regard du général.) Bryne, cette bataille est différente de toutes celles que tu as livrées, et ton armée ne ressemble à aucune que tu aies commandée. Dans ton plan, tu as négligé l’avantage majeur dont tu bénéficies.

— Tu veux dire les Aes Sedai ?

Et comment que je veux fichtrement le dire !

Lumière, Egwene avait passé trop de temps avec Elayne…

— J’ai compté avec les sœurs, mère. Elles seront assimilées à des renforts afin d’aider les régiments à rompre l’engagement. Ainsi, par rotation, nous aurons toujours des troupes fraîches en première ligne.

— Toutes mes excuses, seigneur Bryne. Ton plan est judicieux. Sans nul doute, une partie des sœurs pourra être utilisée ainsi. Cela dit, la Tour Blanche ne s’est pas entraînée et formée pendant des milliers d’années pour jouer les réserves lors de l’Ultime Bataille.

Bryne acquiesça et tira une liasse de feuilles de sous une pile.

— J’ai envisagé des possibilités plus… dynamiques, mais je ne voulais pas outrepasser mon autorité.

Le général tendit ses plans à Egwene.

Elle les survola, arqua un sourcil et sourit.

Mat ne se souvenait pas qu’il y avait tant de Zingari autour d’Ebou Dar. Sur un terrain uniformément terne, les roulottes multicolores avaient poussé comme des champignons. En fait, il y en avait assez pour faire une cité à part entière.

Une ville de Zingari ? Comme une ville d’Aiels, ça sonnait faux.

Perché sur Pépin, Mat continua son chemin sur la route. En fait, il existait bien une ville d’Aiels. Alors, pourquoi pas une cité de Zingari ? Les connaissant, ces gens achèteraient toutes les réserves de teintures vives, laissant le reste du monde porter du marron. En l’absence de combat, l’endroit serait ennuyeux à mourir, mais on n’y trouverait pas une seule casserole trouée dans un périmètre de trente lieues.

Souriant, Mat flatta l’encolure de Pépin. Enveloppée dans du tissu, son ashandarei, attachée sur le flanc du cheval, pouvait passer pour un bâton de marche. Quant à son chapeau, il était dans un sac accroché à ses fontes – avec toutes ses jolies vestes. Sur celle qu’il portait, il avait arraché la dentelle. Du gaspillage, mais il ne voulait vraiment pas être reconnu. Et sur son œil manquant, il portait un bandage rudimentaire.

À l’approche de la porte Dal Eira, il se plaça sagement derrière tous les voyageurs qui attendaient pour entrer. L’idée, c’était d’avoir l’air d’un autre mercenaire blessé en quête de refuge ou peut-être d’un emploi.