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Pourtant, elle ne s’inquiétait pas. Même si elle affirmait devant Elayne ne pas connaître grand-chose à l’art de la guerre, se tapir dans une grotte avec des compagnons bien entraînés, elle l’avait déjà fait. Des dizaines de fois. Voire des centaines – avec ce brouillard, dans sa tête, elle n’aurait su le dire.

Quand les monstres furent tous passés, la Championne et ses Aiels sortirent de leur cachette. Déjà, les Trollocs s’engageaient sur la piste créée par les deux guerriers « maladroits ».

Birgitte tira flèche sur flèche, abattant des monstres avant que leurs congénères aient le temps de réagir.

Mais les Trollocs ne crevaient pas facilement. Souvent, ils pouvaient encaisser deux ou trois flèches avant de ralentir. En tout cas, tant qu’on ratait leurs yeux ou leur gorge.

Rater, Birgitte ? Ce mot ne faisait pas partie de son vocabulaire. Sous ses flèches, les Trollocs tombaient comme des quilles.

La route qui s’éloignait de la grotte étant en pente, chaque nouvelle charogne devenait un obstacle à escalader pour tenter d’atteindre l’archère.

De cinquante, les monstres passèrent à trente en un temps record. Alors que les survivants montaient à l’assaut, la moitié des Aiels brandirent leurs lances pour les affronter. Avec l’autre moitié, Birgitte fit quelques pas sur la route histoire de prendre à revers les assaillants.

Trente devinrent vingt, puis très rapidement, dix. Ces monstres-là tentèrent de fuir, mais il fut facile de les rattraper. Un coup dans les jambes ou sur la nuque, une lourde chute de balourd… et la danse des lances pour les achever.

Dix Aiels sillonnèrent le champ de cadavres, embrochant les morts pour éviter toute mauvaise surprise. D’autres se chargèrent de la récupération des flèches.

Nichil et Lundin, les deux Aiels que Birgitte désigna, se joignirent à elle pour explorer le secteur.

Cette forêt parut familière à la Championne, tout comme le sol, sous ses pas. À cause de ses anciennes vies oubliées ? Non, pas vraiment. Durant les siècles passés en Tel’aran’rhiod, Gaidal et elle avaient longtemps vécu dans des bois très semblables.

Elle se souvint des caresses de son compagnon sur ses joues, sa gorge, sa nuque…

Je ne peux pas perdre ça ! pensa-t-elle, au bord de la panique. Lumière, je ne peux pas !

Mais que lui arrivait-il ? Très vaguement, elle se souvenait d’une conversation… Sur quel sujet ? Avec qui ? Pas moyen de se le rappeler.

Les héros ne pouvaient pas être coupés du Cor, pas vrai ? Aile-de-Faucon saurait peut-être. Elle devrait l’interroger. Sauf si elle l’avait déjà fait…

Que la Lumière me brûle !

Des mouvements, entre les arbres, ramenèrent Birgitte au présent. Très près d’elle, des broussailles venaient de frémir. Dès le premier son, Nichil et Lundin s’étaient comme volatilisés. Bon sang, ils étaient sacrément doués. Birgitte eut besoin d’un moment pour les repérer au milieu des herbes hautes.

La Championne leva un index, se désigna elle-même puis montra la zone, droit devant elle. Traduction : vous me couvrez et je me charge du reste.

Après ça, Birgitte se mit en mouvement sans faire le moindre bruit. Ces fichus Aiels verraient qu’ils n’étaient pas les seuls à savoir échapper aux patrouilles. De plus, c’était sa forêt ! Une bande de guerriers du désert n’allait quand même pas lui en remontrer.

La Championne avança furtivement, sans se frotter aux buissons d’épineux ratatinés. N’en voyait-on pas plus que d’habitude, ces derniers temps ? Ils semblaient compter parmi les rares végétaux qui n’avaient pas complètement disparu. Du sol montait une odeur rance qu’on n’aurait pas dû sentir dans une forêt – et qui était elle-même couverte par la puanteur de la mort et de la pourriture.

Birgitte se fraya un chemin dans un nouveau champ de cadavres. Sur ces Trollocs-là, le sang était coagulé. Morts depuis des jours…

Elayne ordonnait à ses soldats de ramener les dépouilles de leurs compagnons. Dans le bois de Braem, des milliers de Trollocs grouillaient comme de la vermine. La reine entendait qu’ils voient uniquement des charognes de monstres, histoire de les effrayer.

Entendant des bruits, Birgitte avança dans leur direction. Bientôt, elle vit de hautes silhouettes approcher dans la pénombre. Des Trollocs, qui humaient l’air comme des chiens.

Les Créatures des Ténèbres ne sortaient jamais du bois. Sur la route, elles le savaient, les dragons représentaient un piège mortel. Le plan d’Elayne reposait sur des commandos comme celui que dirigeait Birgitte. Des maraudeurs chargés de harceler les monstres, de les forcer à se montrer et, surtout, de les massacrer.

Le groupe que venait de repérer Birgitte était trop gros pour ses Aiels. Faisant signe aux guerriers de la suivre, elle se replia vers le camp.

Après son fiasco contre Taim, Rand se réfugia dans ses rêves.

Il trouva aisément sa vallée de la paix, flanquée de cerisiers dont le parfum embaumait l’air. Avec leurs fleurs d’un blanc tirant un peu sur le rose, ces arbres magnifiques semblaient en flammes.

Rand portait une tenue toute simple de Deux-Rivières. Après des mois passés dans des vêtements de roi aux couleurs vives et aux riches textures, le pantalon de laine et la chemise de lin lui parurent hautement confortables. À ses pieds, il se dota de solides bottes semblables à celles qu’il portait dans sa jeunesse. Dedans, il se sentait mieux que dans n’importe quelle paire neuve, si magnifique soit-elle.

Mais il n’avait plus le droit de porter des bottes pareilles. Au moindre signe d’usure, un serviteur se chargeait d’éliminer celles auxquelles il commençait à peine à s’habituer.

Au milieu des collines de son rêve, le Dragon fit apparaître un bâton de marche dans sa main intacte. Puis il se mit en route vers les montagnes, dans le lointain. Ce paysage n’était plus la réplique d’un lieu réel. Il l’avait créé à partir de ses souvenirs et de ses rêves, mélangeant une sensation de familiarité à l’excitation de l’inconnu. Dans l’air, on captait une odeur de sève et de feuilles. Au milieu des broussailles, des animaux apparaissaient fugitivement. Et au loin, un faucon criait.

Lews Therin savait générer des fragments de rêve comme celui-ci. Même s’il n’était pas un Rêveur, la majorité des Aes Sedai des deux sexes, en son temps, était capable d’utiliser Tel’aran’rhiod d’une manière ou d’une autre. Par exemple, quand il s’agissait de se découper une « tranche » de songe pour soi-même – un paradis mental privé –, mieux contrôlé que les rêves ordinaires. Ensuite, il suffisait de savoir entrer dans ce cocon quand on méditait. Un moyen de reposer son corps presque aussi efficace que le bon vieux sommeil.

Lews Therin savait ça, oui, et même beaucoup plus. Par exemple, comment entrer dans l’esprit de quelqu’un qui s’introduisait dans le fragment. Ou comment savoir que quelqu’un avait envahi ses rêves. Ou même de quelle manière les faire voir aux autres…

Lews Therin adorait accumuler des connaissances. Un peu comme un voyageur qui veut avoir dans son sac à dos tout ce qui peut se révéler d’une certaine utilité.

Mais Lews Therin avait très rarement manié ces « outils », les laissant dans un coin de son esprit, où ils se couvraient de poussière. Les choses auraient-elles tourné différemment s’il avait pris le temps, chaque nuit, de se promener dans une vallée paisible comme celle-là ? Rand n’en savait rien… De plus, pour être honnête, cette vallée n’était plus… sûre.