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Pendant que l’Asha’man tissait le Pouvoir, Perrin se tourna vers les officiers.

— Je n’ai aucune envie de vous laisser, mais il y a dans ma chair des hameçons qui m’attirent vers le nord. Je dois rejoindre Rand, et ce n’est pas négociable. J’essaierai de revenir, mais si je n’y arrive pas… Eh bien, sachez que je suis très fier de vous tous. Quand tout sera fini, vous serez les bienvenus chez moi. Nous ouvrirons un tonnelet ou deux du meilleur alcool de maître al’Vere. Après avoir bu à la mémoire des camarades tombés au champ d’honneur, nous raconterons à nos enfants comment nous sommes restés forts et fiers quand le ciel a viré au noir, le monde commençant à mourir. Comme nous nous tenions épaule contre épaule, leur raconterons-nous, les Ténèbres n’eurent jamais assez d’espace pour traverser nos lignes.

Perrin leva Mah’alleinir et se joignit aux vivats des hommes. Pas parce qu’il les méritait, mais parce que eux en étaient dignes.

Neald avait ouvert le portail. Perrin se détourna, mais il hésita quand quelqu’un cria son nom. Faisant volte-face, il vit que Dain Bornhald courait vers lui.

Prudent, il ne rengaina pas son marteau. Ce type lui avait sauvé la vie face aux Trollocs et le jour où un autre Fils avait voulu le tuer. Mais il ne l’aimait pas, et ça se voyait. S’il ne pouvait plus l’accuser de la mort de son père, ça ne signifiait pas qu’il l’appréciait ou qu’il l’acceptait.

— Un mot, Aybara ! lança Bornhald. (Il jeta un coup d’œil à l’omniprésent Gaul.) En privé.

Perrin fit signe à l’Aiel de s’écarter. À contrecœur, le guerrier obéit.

— Qu’y a-t-il, Fils Bornhald ? Si c’est lié à ton père…

— S’il te plaît, tais-toi ! Je ne veux pas dire ce que je vais dire, car ces mots m’arracheront la langue. Que la Lumière me brûle, il faut pourtant que tu saches !

— Savoir quoi ?

— Aybara, fit Bornhald en prenant une grande inspiration, ce ne sont pas les Trollocs qui ont tué ta famille.

Perrin en fut ébranlé jusque dans la moelle de ses os.

— Je suis désolé, Aybara… Le meurtrier, c’était Ordeith. Ton père l’a insulté, il s’est vengé en massacrant les tiens, et nous avons accusé les Trollocs. Je n’ai pas participé à ce crime, mais je n’ai rien dit. Tout ce sang…

— Quoi ? (Perrin prit le Fils par les épaules.) Mais ils ont dit… Enfin…

Bon sang, il était déjà passé par là une fois !

L’expression de Bornhald, quand il regarda enfin Perrin en face, ramena tout à la surface. La douleur, l’horreur, le deuil et la rage.

Le Fils saisit les poignets de Perrin et se dégagea de son étreinte.

— C’est un moment terrible pour te révéler ça, je sais… Mais je ne pouvais plus me taire. Parce que… Eh bien, nous pouvons tous mourir. Le monde aussi… Il fallait que je te le dise.

Bornhald se détourna et alla rejoindre le petit groupe de Capes Blanches. Perrin resta seul, son univers en miettes.

Mais il ne le laissa pas se désintégrer. Il avait pleuré sa famille et surmonté ce drame. C’était fini…

Il continuerait à vivre ! Les vieilles douleurs revenaient, mais il les repoussa, et tourna la tête vers le portail. En direction de Rand et de son devoir.

Il avait une mission à accomplir. Mais Ordeith… Enfin, Padan Fain… Eh bien, ce n’était qu’un crime de plus sur la longue liste de ses abominations. Et il s’assurerait qu’il paie pour ça, d’une façon ou d’une autre.

Perrin se dirigea vers le portail qui le conduirait au champ de Merrilor. En silence, Gaul lui emboîta le pas.

— Je vais en un lieu où tu ne peux pas me suivre, mon ami, dit Perrin, son chagrin encore à vif. Je suis désolé.

— Tu vas vers le rêve qui est dans un rêve, fit Gaul. (Il bâilla à s’en décrocher la mâchoire.) Or, je suis très fatigué…

— Mais…

— Je t’accompagne, Perrin Aybara. Tue-moi si tu veux que je reste en arrière.

Le jeune seigneur n’osa pas défier l’Aiel sur ce terrain.

Après avoir acquiescé, il regarda derrière lui et leva de nouveau son marteau. Ce faisant, il aperçut quelque chose dans l’autre portail, celui que Grady maintenait ouvert en direction de Mayene.

À l’intérieur du passage, deux silhouettes en robe blanche regardaient Gaul, qui leva une lance à leur intention.

Que devaient éprouver deux gai’shain qui ne pourraient pas participer à l’Ultime Bataille ? Rand aurait peut-être dû essayer de les faire tous libérer de leur serment pendant quelques semaines…

Une initiative qui lui aurait sûrement valu l’inimitié de tous les Aiels. Que la Lumière protège l’habitant des terres mouillées assez fou pour se mêler du ji’e’toh.

Perrin franchit le portail et se retrouva dans le champ de Merrilor. Là, Gaul et lui s’équipèrent comme pour un long voyage – à savoir avec autant de vivres et d’eau qu’ils pouvaient en porter.

Ensuite, Perrin dut cuisiner les Asha’man pendant une bonne demi-heure pour qu’ils lui disent où était parti le Dragon. De guerre lasse, Naeff, non sans ronchonner, finit par ouvrir un portail. Quittant le champ de Merrilor, le jeune seigneur et Gaul émergèrent dans ce qui semblait être un secteur de la Flétrissure.

L’air empestait la désolation et la mort. Ces relents fétides surprirent Perrin, qui eut besoin de quelques minutes avant de pouvoir identifier des odeurs normales.

Rand était au bord d’une saillie rocheuse, les bras dans le dos. Derrière lui se tenaient plusieurs de ses conseillers, de ses officiers et de ses gardes du corps. Perrin avisa Moiraine, Aviendha et Cadsuane. Mais le Dragon était seul au bord de la saillie.

Dans le lointain se dressait le mont Shayol Ghul.

Perrin frissonna. La montagne n’était pas proche, mais quand il vit l’expression de Rand, il comprit que le temps de l’attente était révolu.

— L’heure est venue ? demanda-t-il à son vieil ami.

— Non, c’est une sonde, pour voir s’il me sent…

— Perrin ? appela Nynaeve.

Occupée à parler avec Moiraine, elle ne semblait pas du tout hargneuse – une première. Entre ces deux femmes, quelque chose s’était passé…

— J’en ai pour quelques minutes, dit Perrin quand il eut rejoint son ami au bout de la saillie.

Dans la suite du Dragon, il y avait quelques Aiels, et le jeune seigneur ne voulait pas qu’ils entendent ce qu’il avait à dire. Les Matriarches, en particulier…

— Tu auras ces minutes et plus encore, Perrin, dit Rand. J’ai une dette envers toi. Que veux-tu ?

— Eh bien…

Perrin jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Moiraine ou Nynaeve en savaient-elles assez pour essayer de l’arrêter ? Sans doute, oui… Comme si elles redoutaient qu’il se brise la nuque, les femmes essayaient toujours d’empêcher un homme de faire ce qu’il devait faire. Même pendant l’Ultime Bataille, il en allait ainsi…

— Perrin ? l’encouragea Rand.

— Je dois entrer dans le rêve des loups.

— Tel’aran’rhiod ? Perrin, je n’ai aucune idée de ce que tu y fais. Tu m’en as si peu dit. J’imaginais que…

— Je sais y aller d’une façon, murmura Perrin, afin que les Matriarches et les autres empêcheuses de tourner en rond ne l’entendent pas. La méthode simple et facile. Il m’en faut une autre. Tu connais beaucoup de choses, et tu as des multitudes de souvenirs. Dans ton antique cerveau, quelque part, y a-t-il une manière d’entrer dans le Monde des Rêves en chair et en os ?

— C’est très dangereux, ce que tu demandes.

— Aussi risqué que ce que tu t’apprêtes à faire ?

— Peut-être, oui… Si j’avais su quand j’ai… Bien, disons que certaines personnes qualifieraient ta demande de maléfique.

— C’est faux, Rand ! Le mal, je le reconnais dès que je renifle son odeur ! Ce n’est pas maléfique, mais incroyablement stupide !