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Leurs noms nous en apprennent un peu sur elles, songeait Horza en se douchant. Les Unités de Contact Générales appartenant à la Culture qui, les quatre premières années, avaient fait les frais de la guerre dans l’espace, s’étaient de tout temps choisi des appellations humoristiques, voire facétieuses. Même les nouveaux cuirassés sortis de l’unité-usine, qui achevait peu à peu l’armement de sa production militaire, penchaient en faveur de noms divertissants, déprimants ou carrément rebutants, comme si la Culture n’arrivait pas à prendre tout à fait au sérieux le vaste conflit dont elle s’était mêlée.

Les Idirans, eux, voyaient les choses différemment. Pour eux, un nom de vaisseau devait refléter le caractère sérieux de sa raison d’être, de ses devoirs et de sa fonction bien déterminée. La formidable flotte idirane comptait des centaines d’appareils portant le même nom de héros, de planète, de bataille, le même terme désignant un dogme religieux, ou le même qualificatif pompeux. Le croiseur léger venu à la rescousse de Horza était le cent trente-septième du nom, et coexistait donc à l’intérieur de la flotte avec plus d’une centaine d’homonymes ; d’où son nom : la Main de Dieu 137.

Il se sécha non sans mal sous le pulseur d’air. Comme tout à bord, il était proportionné aux Idirans, c’est-à-dire proprement monumental, et l’ouragan qu’il souffla manqua de projeter Horza hors de la cabine de douche.

Le Querl Xoralundra, père-espion et prêtre guerrier de la secte tributaire de Farn-Idir, rattachée aux Quatre-Âmes, joignit les mains sur la table. Horza crut voir deux grands plats se collant l’un contre l’autre.

— Ainsi, Bora Horza, tonna le vieil Idiran, vous voilà sain et sauf.

— À peu près, acquiesça Horza en se frottant les poignets.

Il se trouvait dans la cabine de Xoralundra, à bord de la Main de Dieu 137, vêtu d’une combinaison spatiale encombrante mais confortable, manifestement conçue pour lui. Xoralundra, lui aussi en combinaison, avait insisté pour qu’il l’enfile : le navire, qui décrivait une orbite rapide à puissance minimale autour de la planète Sorpen, était toujours engagé dans les hostilités. Les services de renseignement de la flotte avaient confirmé la présence, quelque part dans le système, d’une UCG de la Culture, appartenant à la classe Montagne ; la Main s’y trouvait sans allié, et ses occupants n’arrivaient pas à découvrir la moindre trace du bâtiment de la Culture. Il fallait donc se montrer prudent.

Xoralundra se pencha vers Horza. Son ombre envahit toute la table. Sa tête énorme qui, vue de face, avait la forme d’une selle et comportait deux yeux frontaux clairs, sans paupières et très écartés, se profila au-dessus du Métamorphe.

— Vous avez eu de la chance, Horza. Ce n’est pas par compassion que nous sommes venus à votre secours. L’échec est sa propre récompense.

— Je vous remercie, Xora. C’est ce qu’on m’a dit de plus gentil aujourd’hui.

Horza se laissa aller en arrière dans son siège et passa dans sa maigre chevelure jaunâtre une main de vieillard. Il faudrait quelques jours pour que s’efface l’apparence âgée qu’il avait contrefaite, bien qu’il la sente déjà s’évanouir peu à peu. Il existait dans l’esprit des Métamorphes une image du soi continuellement maintenue et révisée au niveau semi-subconscient, et qui conservait automatiquement à leur corps l’aspect désiré. Puisque Horza n’éprouvait plus le besoin de ressembler à un Gérontocrate, l’image mentale du ministre qu’il avait imité pour le compte des Idirans était en train de se fragmenter, de se dissoudre, et son corps reprenait la neutralité de sa forme première.

La tête de Xoralundra se mit à osciller de droite à gauche entre les montants du col de sa combinaison. C’était là une gestuelle que Horza n’était jamais tout à fait parvenu à interpréter, bien que sa collaboration avec les Idirans et ses rapports avec Xoralundra remontent bien plus loin que la déclaration de guerre.

— Quoi qu’il en soit, vous êtes vivant, reprit ce dernier.

Horza opina et se mit à pianoter sur la table pour montrer qu’il était d’accord. Si seulement le siège idiran sur lequel il était perché ne lui donnait pas autant l’impression d’être un enfant ! Ses pieds ne touchaient même pas le sol.

— C’est juste. Quoi qu’il en soit, je vous remercie. Je suis navré de vous avoir fait faire tout ce chemin rien que pour récupérer l’auteur de cet échec.

— Les ordres sont les ordres. Personnellement, je me réjouis de notre réussite. Et maintenant, je dois vous dire pourquoi nous les avons reçus, ces ordres.

Horza sourit et détourna son regard du vieil Idiran, qui venait de lui faire un petit compliment ; la chose était rare. Puis il reporta son attention sur la créature, dont la bouche colossale – assez grande, songea-t-il, pour vous arracher les deux mains d’un seul coup de dent – articulait à présent d’une voix tonitruante les termes courts et précis de la langue idirane.

— Vous avez fait partie autrefois d’une mission de bons offices sur le Monde de Schar, une des Planètes des Morts appartenant aux Dra’Azon, commença Xoralundra. (Horza hocha la tête.) Il faut que vous y retourniez pour nous.

— Tout de suite ? lança Horza vers la face large et sombre de l’Idiran. Mais il n’y a que des Métamorphes, là-bas. Je vous ai dit que je ne voulais pas contrefaire un autre Métamorphe. Quant à en tuer un, il n’en est pas question.

— Ce n’est pas ce que nous attendons de vous. Écoutez-moi, je vais vous expliquer. (Xoralundra s’appuya contre son repose-dos en adoptant une attitude qui, chez la quasi-totalité des vertébrés ou assimilés, traduisait immanquablement la fatigue.) Il y a quatre jours standards…, reprit l’Idiran.

À ce moment-là, son casque posé au sol non loin de ses pieds émit une plainte perçante. Il le ramassa et le posa sur la table.

— Oui ? fit-il, et Horza en savait assez sur les tonalités idiranes pour comprendre que l’importun avait intérêt à se prévaloir d’une excellente raison pour déranger ainsi le Querl.

— Nous tenons la représentante de la Culture, fit une voix sortant du casque.

— Ah…, soupira doucement Xoralundra en se radossant. (L’équivalent idiran d’un sourire – une moue accompagnée d’un étrécissement des yeux – se peignit fugitivement sur ses traits.) Bien joué, capitaine. Se trouve-t-elle déjà à bord ?

— Non, Querl. La navette a décollé il y a environ deux minutes. J’ordonne le repli des plates-formes à canons. Nous serons prêts à quitter le système dès qu’elles seront toutes embarquées.

Xoralundra se pencha plus près du casque. Horza, lui, examinait la peau vieillie du dos de ses mains.

— Et ce vaisseau de la Culture ? s’enquit l’Idiran.

— Toujours rien, Querl. Impossible qu’il se trouve quelque part dans le système. Notre ordinateur propose de le situer à l’extérieur, peut-être entre nous et la flotte. Il est forcé de s’apercevoir bientôt que nous sommes tout seuls ici.

— Ordre de prendre le départ pour rejoindre la flotte dès que la femme de la Culture aura posé le pied à bord, sans attendre le retour des plates-formes. Est-ce bien compris, capitaine ? (Xoralundra remarqua le regard que Horza lui lançait.) Je répète, est-ce bien compris, capitaine ? demanda le Querl sans quitter l’humain des yeux.