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Comment avait-il pu, lui aussi, rater son avion? Il avait oublié son billet d'avion dans l'avion! Dans la pochette qui se trou­ve devant nous, derrière chaque siège. Il l'avait glissé dans la revue qu'il lisait et, comme il avait fini de la lire, il ne l'avait pas reprise, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il y avait laissé son billet!

— Tu vois que je ne suis pas la seule à être distraite! ai-je dit à mon cousin.

— On est trois à avoir l'air fous ici au lieu de deux! Qu'est-ce qu'on va faire?

— Prendre un autre avion, c'est tout, a répondu Octave.

— La préposée aux billets ne comprend pas un mot de français!

Octave a éclaté de rire:

— C'est assez normal, on est aux Etats-Unis, à Atlanta. On parle l'américain, ici...

— Tu te trouves peut-être drôle? ai-je rétorqué. Pas moi!

Octave a aussitôt cessé de rire:

— C'était une blague. Je vais expliquer notre situation à l'employée.

— Bonne chance, ai-je dit d'un ton nar­quois.

Je n'aurais pas dû ironiser: Octave parle parfaitement l'anglais. En moins de cinq minutes, nous avions trois billets pour Fort Lauderdale. Départ trente minutes plus tard. J'aurais embrassé Octave! Même s'il n'était pas mon genre! Je me suis contentée de le remercier dix fois. Il a rougi dix fois. Pourtant, il ne me semblait pas timide. On a rediscuté de musique en attendant l'an­nonce du départ.

Octave nous a offert une consommation, mais j'avais trop peur que nous rations aussi le deuxième avion pour m'éloigner de la salle d'embarquement! Il a insisté en disant qu'une bière nous désaltérerait, mais j'ai tenu bon. Tout en me demandant com­ment il pouvait penser que j'avais dix-huit ans. J'étais flattée, mais je suis certaine qu'on ne m'aurait pas permis d'entrer dans le bar. Aussi bien éviter une humiliation...

On a redécollé. J'adore le décollage, et j'étais à côté du hublot. On nous a distribué une collation. On avait le choix entre des arachides et amandes grillées et des biscuits salés, avec du Coke ou du Seven-Up, mais il n'y a pas eu de film.

C'est aussi bien: entre Montréal et Atlan­ta, on a vu une espèce de drame sentimental pénible. Une pauvre idiote était amoureuse d'un salaud qui s'intéressait plutôt à une grande blonde évaporée qui, elle, ne se ren­dait pas compte qu'elle attirait le salaud. Rien de bien passionnant; à la place de l'idiote, j'aurais laissé tomber.

Il faut faire tout ce qu'on peut pour plaire à celui qu'on aime, mais si ça ne marche pas, ça ne sert à rien de s'accrocher.

Comme Laurence avec Olivier. Elle était vraiment toquée. Elle prétend que j'étais plus toquée qu'elle avec Jean-Philippe Bi-lodeau*.

Mais ce n'était pas du tout la même cho­se: Jean-Philippe m'aimait au fond de lui-même, seulement il Pignorait et devait le découvrir. Enfin, la blonde évaporée était teinte et ça paraissait: on ne peut pas avoir des cheveux aussi clairs.

Sauf en Floride...

Hourra! Dès que nous avons récupéré nos bagages et franchi les portes de l'aéro­port, j'ai vu des dizaines de beaux gars blonds bronzés. Bon, des dizaines de filles aussi, ce que j'aimais moins, mais Pierre, lui, était assez content. Octave a dit qu'il préférait les brunes. Je ne sais pas si c'était pour être gentil, mais ça m'a fait plaisir, même si je ne l'ai pas montré. Car j'avais plus que jamais l'impression d'être la ré­plique exacte d'un cachet d'aspirine: ronde et blanche!

Nos grands-parents étaient soulagés que nous soyons enfin arrivés. Quand Pierre leur a dit que c'était grâce à Octave que tout s'était arrangé, ma grand-mère l'a embrassé devant tout le monde. Je pense qu'il en était un peu gêné...

— On sera heureux de remercier tes pa­rents, a dit grand-père.

Octave a haussé les épaules:

— Mais je n'ai rien fait. Je parle bien l'anglais, c'est tout. Et je vais prendre un taxi pour rejoindre mon père.

Il m'a semblé que son père aurait pu se déplacer, et j'étais contente que grand-papa propose de le reconduire. Octave lui a indi­qué le chemin. On a ainsi appris qu'il venait en Floride chaque année à Noël et à Pâques.

Et qu'il logeait au Hollywood Beach Hôtel!

Genre le plus chic de la plage... Je me suis demandé durant une minute s'il ne mentait pas pour nous impressionner. Puis je me suis souvenue qu'il avait parlé d'un ton négligent du prix qu'il avait payé son matériel électro-acoustique. De même, j'ai évalué rapidement sa veste de cuir marron hyper souple et je me suis dit que son père devait être très riche. Et sa mère? Il n'en avait pas parlé. J'apprendrais plus tard qu'elle vivait en France.

On l'a laissé dans le hall d'entrée après que mon grand-père eut bien vu qu'Octave résidait réellement au Hollywood Beach Hôtel. On s'est juré de se revoir le lende­main matin et nous sommes partis vers Hallendale.

Il y avait des palmiers royaux de chaque côté du boulevard Hollywood! C'était fan­tastique: on aurait dit une haie d'honneur, car le vent les faisait s'incliner doucement au-dessus de la voiture. Enfin, très au-dessus, car ces palmiers sont très hauts.

Mais l'effet était majestueux et la dé­marche des petites aigrettes, qui s'avan­çaient nonchalamment entre deux voies, s'accordait tout à fait avec l'ensemble. J'ai trouvé ces échassiers bien imprudents de circuler ainsi dans les rues alors qu'ils peu­vent s'envoler.

Mes grands-parents habitent sur une pe­tite île, Paradise Isle... Dès que nous avons passé la porte de leur appartement, j'ai vu un gros pélican plonger dans le canal, de­vant des arbres du voyageur.

Ces palmiers sont incroyables; ils s'ou­vrent en un bel éventail jaune et vert forêt, et chaque tige contient un quart de litre d'eau. C'est pourquoi on les appelle ainsi: un voyageur en détresse pourrait boire la sève des tiges! Plus simplement, grand­ maman nous a offert de la limonade.

Ouf! Ça faisait du bien! Car malgré la climatisation de la voiture, nous avions eu très chaud. Nous avons pris une bonne douche, raconté les dernières nouvelles de la famille et téléphoné à nos parents pour les rassurer. Puis grand-papa nous a propo­sé de faire un tour à la plage avant le repas. Grand-maman a suggéré qu'on fasse des hamburgers. Super!

Ce qui est bien avec eux, c'est qu'ils n'insistent pas pour nous faire manger des choses bonnes pour la santé. On peut se bourrer de chips si on veut, ils n'en font pas toute une histoire comme maman. Je me suis promis de ne pas exagérer, car je n'ai pas envie de rentrer à Montréal avec trop de boutons. La vie, c'est mal arrangé: pourquoi est-ce que ce n'est pas le céleri bouilli qui donne de l'acné et qui fait gros­sir? Ça ne me punirait pas de m'en passer...

Chapitre 3 Dan

Tant pis! Pour ma première journée à Hallendale, j'ai accepté sans hésiter le cor­net de frites que grand-papa nous a offert on Johnson Street après avoir acheté son journal. Il va chercher La Presse tous les jours comme bien des Québécois. Je savais que je ne serais pas la seule à parler fran­çais et ça me rassurait un peu. Mais dans les boutiques du bord de la plage, je n'en­tendais que notre accent!

J'aurais pu dire qui venait de Québec ou du Saguenay! Deux filles du Lac-Saint-Jean achetaient des serviettes de bain. J'ai failli me laisser tenter! Il y avait un magasin de souvenirs comme dans toutes les villes, avec des tas de quétaineries: des flamants roses en plastique, des Mickey Mouse gon­flables, des ballons, des sandales en caout­chouc, de la crème à bronzer, des lunettes de soleil de toutes les couleurs, mais aussi de beaux coquillages.

Ça m'a fait penser que j'avais promis à Laurence de lui en rapporter, car elle les collectionne. Mais je me suis dit que je n'al­lais tout de même pas en acheter: je n'avais qu'à en ramasser sur la grève! Je m'y met­trais dès le lendemain. Il y avait aussi des jumelles qui me faisaient envie, mais grand-papa a dit qu'il me prêterait les siennes.