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Ma déception dut se voir.

— Vous ne disposez donc pas du potentiel nécessaire pour mener à bien un tel déplacement ? Vous ne parliez donc que théorie ?

— Tonnerre, monsieur, non. Je ne parlais pas que théorie !

— Mais si vous ne disposez pas de l’énergie nécessaire en quantité suffisante ?

— Si vous insistez, je puis l’avoir à ma disposition. Un instant…

Il partit dans un coin de la pièce et empoigna un téléphone. Celui-ci avait dû être installé à l’époque de la construction du labo. Je n’en avais pas vu de pareil depuis mon Réveil. Une conversation laborieuse s’engagea avec le gardien de nuit de la centrale électrique de l’université. Le Pr Twitchell n’avait aucune patience avec les profanes.

— Vos opinions ne m’intéressent guère, mon brave. Relisez vos instructions. J’ai tous pouvoirs quand cela me convient. Peut-être ne savez-vous pas lire ? Voulez-vous que nous nous retrouvions chez le recteur demain matin afin qu’il vous fasse une lecture de vos obligations ? Vraiment ? Vous savez lire ? Et vous savez également écrire ? Ou sommes-nous parvenus au sommet de vos connaissances ? Bon. Écrivez : Potentiel énergie première urgence pour le Laboratoire Thornton Mémorial nécessaire dans huit minutes exactement. Répétez, je vous prie.

Il raccrocha en grommelant :

— La bêtise des gens !

Il revint au clavier de contrôle et s’y livra à quelques manipulations. Puis il attendit. Bientôt, de l’intérieur même de la loge grillagée, je pus voir les longs bras de trois émetteurs glisser sur leurs cadrans et une lumière rouge s’allumer à la partie supérieure du clavier.

— Nous avons le potentiel, annonça le Pr Twitchell.

— Et que se passe-t-il à présent ?

— Rien.

— C’est bien ce que je pensais.

— Que voulez-vous insinuer ?

— Ce que j’ai dit. Rien ne se passe.

— Je crains de ne pas vous comprendre. Je préfère ne pas vous comprendre. Ce que je voulais dire était ceci : rien ne se passera à moins que je n’appuie sur ce bouton. Si j’appuyais dessus, je vous déplacerais d’exactement 31 ans et 3 semaines.

— Je ne suis pas convaincu.

— Je crois que vous essayez délibérément de m’offenser, souffla Twitchell dont le visage s’assombrit.

— Croyez ce que vous voudrez, professeur. Je suis ici pour enquêter sur certains bruits concernant des faits étonnants. Bon. J’ai tout vérifié. J’ai vu des appareils impressionnants avec de jolies lumières. Ça ressemble exactement au laboratoire du savant fou dans la science-fiction d’autrefois. J’ai assisté à une séance de prestidigitation avec des pièces de monnaie. Et ce ne fut pas un tour bien extraordinaire, puisque c’est vous-même qui avez choisi les pièces et m’avez montré comment les graver au canif. N’importe quel prestidigitateur amateur ferait mieux. J’ai entendu d’abondants exposés, mais les paroles ne prouvent rien. Ce que vous prétendez avoir découvert est impossible. D’ailleurs, on le sait bien au ministère. Votre rapport a été classé parmi les projets de déments. On le ressort de temps en temps pour la rigolade.

Je crus que le pauvre homme allait avoir une crise. Il fallait bien que je le stimule en utilisant l’unique point sensible qui lui restait : sa vanité.

— Hors d’ici, monsieur ! Sortez ! Ou je vous assomme ! Et à mains nues, vous entendez !

Dans l’état de rage où il se trouvait, je crois qu’il y serait parvenu malgré son âge, son poids et sa mauvaise condition physique.

— Vous ne me faites pas peur, grand-père. Vos manettes de prétendu surpotentiel ne me font pas peur non plus. Allez-y, appuyez donc !

Il me lança un coup d’œil, puis regarda le bouton, mais sans bouger. Je ricanai :

— La bonne blague ! Les copains me l’avaient bien dit ! Twitch, vous n’êtes qu’un vieux farceur prétentiard, un charlatan pontifiant. Le colonel Thrushbotham avait raison.

La phrase porta.

Il pressa du doigt sur le bouton.

10

Alors même qu’il pressait le bouton, je lui criai de ne pas le faire. Trop tard. Ma chute dans le temps avait commencé. Je ne voulais plus continuer ce que j’avais si bien provoqué, en tourmentant un pauvre vieillard qui ne m’avait fait aucun mal… Je ne savais même pas dans quel sens je faisais route ni, et c’était là le pire de l’affaire, si j’atteindrais le but de mon voyage.

C’est alors que se produisit l’« atterrissage ». Je ne crois pas être tombé de plus d’un mètre, mais je dégringolai comme un boulet. Puis j’entendis une voix qui disait :

— Ça alors, d’où venez-vous ?

C’était celle d’un homme d’environ quarante ans, chauve, mince et plutôt bien bâti. Il me faisait face, les poings sur les hanches. Il avait l’air compétent et astucieux. Son visage n’était pas spécialement déplaisant, sauf qu’à ce moment précis, il paraissait furieux.

Je jetai un regard circulaire et m’aperçus que je me trouvais sur du gravier et des aiguilles de pin. Une jeune femme se tenait aux côtés de l’homme, l’air sympathique, et manifestement de plusieurs années sa cadette. Elle me contemplait bouche bée.

— Où suis-je ? demandai-je stupidement.

J’aurais aussi bien pu demander : « En quelle année sommes-nous ? » mais cela eût semblé plus stupide encore. D’ailleurs, un seul coup d’œil suffit à me convaincre que je n’étais pas revenu en 1970. Pas davantage resté en 2001. Même en 2001, ces tenues-là étaient réservées aux plages. J’avais donc pris la mauvaise direction…

L’homme et la femme, l’un comme l’autre, ne portaient sur eux qu’une teinte bronzée et uniforme. Rien de plus. Et ils semblaient trouver que c’était bien suffisant ; en tout cas, ils n’étaient pas le moins du monde embarrassés.

— Procédons par ordre. Je vous ai demandé comment vous étiez arrivé ici ? (Il leva les yeux :) Votre parachute n’est pas resté accroché dans les arbres, n’est-ce pas ? De toute façon, que faites-vous ici ? Il est interdit d’entrer, c’est propriété privée. Et pourquoi un pareil déguisement ?

Mes vêtements me semblaient tout à fait courants surtout quand on considérait leurs propres costumes. Je ne répondis pas. Autres temps, autres mœurs. Je sentais que j’allais au-devant d’ennuis de toutes sortes.

La jeune femme posa une main sur le bras de son compagnon.

— John, dit-elle doucement, il me semble qu’il est blessé.

Il la regarda et me dit vivement :

— C’est vrai ?

— Je ne crois pas, répondis-je, en faisant un effort surhumain pour me relever. Quelques contusions, peut-être… Heu… pourriez-vous me dire quel jour nous sommes ?

— Hein ? Mais c’est le premier dimanche de mai. Le 3 mai, je crois.

— Écoutez, j’ai pris un terrible coup sur la tête. Je ne sais plus où j’en suis. Le combien sommes-nous, en quelle année, je veux dire ?

— Comment ?

J’aurais dû me taire jusqu’à ce que j’aie pu voir un calendrier ou un journal quelconque, mais il me fallait savoir immédiatement.

— Quelle année, s’il vous plaît ?

— Quel sacré coup vous avez dû prendre ! Nous sommes en 1970.

Son regard erra de nouveau sur mes vêtements.

J’eus peine à supporter le choc du soulagement.

J’étais à bon port. J’avais réussi ! J’avais réussi !

— Merci, merci mille fois. Vous ne pouvez vous rendre compte !…