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Il s’interrompit : un mince filet de sang vermeil venait d’apparaître au-dessous de sa narine gauche.

— Si c’est le cas, le test le démontrera, répondit prudemment Jay tandis que Grant s’essuyait avec un mouchoir.

— C’est lui, je te dis ! Par tous les saints ! Ce maître chanteur… il faut le retrouver… il nous faut les vidéos de surveillance de tous les endroits où il est passé !

— J’y travaille. »

26.

Michelle/Meredith

De retour à la maison, la première chose que j’ai faite a été de me connecter sur Google. Lorsque j’ai tapé « Augustine », le moteur de recherche m’a craché un nombre incalculable d’entrées, dont une de l’Encyclopédie catholique sur Augustin d’Hippone[3] — plus connu sous le nom de saint Augustin —, mais aussi un site de mode vestimentaire, un hôtel de Prague baptisé The Augustine, la gazette de St. Augustine en Floride, une société d’extermination de termites basée dans le Kansas, Augustine Exterminators, etc.

J’ai alors entré « ant augustine » — et obtenu les profils Facebook d’un certain nombre d’Ant Augustine et d’Anthony Augustine vivant en Amérique, au Canada et en Australie. Aucun d’eux ne semblait présenter quoi que ce soit d’anormal ou de mystérieux. C’étaient pour la plupart des jeunes gens de mon âge ou un peu plus vieux, avec des goûts et des centres d’intérêt communs à plusieurs milliards de bipèdes.

Au bout d’une demi-heure passée à tout apprendre sur leurs athlètes favoris, leurs groupes favoris, leurs films favoris et leurs jeux favoris (mais, curieusement, beaucoup plus rarement sur leurs auteurs favoris), ainsi que sur leurs autres passions, activités et objectifs dans la vie : « être la meilleure personne possible » « les blagues pour adultes », « les armes », « la pêche et la chasse », « lire des mangas en ligne », « le catch US » « pas de vie sans musique », « soixante trucs qu’un mec devrait savoir sur les nanas »… j’en ai conclu que la personne que je cherchais ne se trouvait probablement pas parmi eux.

J’ai entendu la porte d’entrée s’ouvrir et la voix de Liv s’est élevée dans le salon, tandis que montait le bruit des clés de voiture jetées sur un meuble.

« Henry ? » a lancé Liv.

J’ai respiré un grand coup.

Bon, allons-y, ai-je pensé. Tirons ça au clair. Maintenant. Je me suis remémoré Shane me disant : « T’as fait tes preuves, là-haut. »

J’avais affronté les Oates, j’avais suivi Jack Taggart et Darrell Oates au fond des bois en pleine nuit (rien que d’y penser, j’en avais encore les mollets qui tremblotaient), est-ce que j’avais plus peur de ma propre mère que des Oates ? En réponse à cette question, tout mon courage a semblé se réfugier dans un recoin de mon esprit et se mettre aux abonnés absents. Il semblait bien que la réponse fût oui… Parce que Liv avait des arguments que les Oates n’avaient pas — même si, sur le moment, la possibilité d’être poussé dans une pente abrupte à bord de ma voiture m’avait paru en être un sacrément bon…

L’argument d’autorité en quelque sorte.

Liv pouvait détruire en un clin d’œil tout le raisonnement de l’adversaire comme la flamme d’un dragon carbonise la plus épaisse des défenses. Elle avait toujours le dernier mot. Toujours…

Est-ce que je la craignais  ?

La réponse est oui.

Est-ce que je l’aimais ?

Évidemment.

Est-ce que je la respectais  ?

Essayez donc de ne pas le faire…

« J’arrive ! »

Et si elle m’avait vu, en fin de compte, dans ce diner  ? Je me suis levé avec l’impression d’avoir des jambes de plomb et je suis sorti de ma chambre. Roulement de tambour. Les mecs, a dit une petite voix tandis que je descendais l’escalier à la vitesse d’un scaphandrier évoluant sous l’eau, regardez-moi ça : Henry Walker va nous faire son numéro de l’ado rebelle

J’ai atteint la dernière marche.

Liv et France se sont arrêtées de parler. Elles m’ont regardé depuis le séjour.

J’ai fait un pas, un deuxième — puis je me suis immobilisé. À deux mètres d’elles environ.

« Qui est Augustine ? » j’ai dit.

Après être rentré de Washington en proie à une excitation comme il n’en avait pas connu depuis longtemps, Grant Augustine avait pris une douche, passé des vêtements de coton blanc et consacré l’heure suivante au yoga et à la méditation pour se calmer. Il n’avait pas fini sa séance quand Jay appela.

« Le gamin, il vient de faire une recherche sur Internet.

— Quel genre de recherche ?

— Il a tapé ton nom dans Google… »

« Où as-tu entendu ce nom-là ? »

(Liv.)

J’ai eu l’impression que son regard avait doublé de volume. Un orage couvait dans ses pupilles. J’ai essayé de passer en mode confrontation — version mentale d’un adepte du kung-fu qui se met en position de combat —, mais je savais qu’elle pouvait m’envoyer au tapis à n’importe quel moment.

« Henry, je t’ai posé une question. »

Dire la vérité ou mentir ?

Mentir

« Je vous ai entendues plusieurs fois le prononcer… »

Ses yeux m’ont fouaillé froidement, cliniquement, comme les doigts habiles d’un chirurgien cardiaque dans une poitrine ouverte, décelant aussitôt le mensonge éhonté, flagrant.

« Nous n’avons jamais prononcé ce nom-là dans cette maison », a-t-elle assené et, cette fois, sa voix n’avait plus rien d’amical.

Mes épaules se sont affaissées.

« Je t’ai entendue le dire dans ce diner, le Shirley’s, cet après-midi… »

J’ai détourné le regard, gêné. J’ai aperçu le reflet de sa stupeur dans le grand miroir au-dessus de la cheminée. France demeurait en retrait, mais je voyais l’inquiétude grandir sur ses traits, dans la clarté des petites lampes à abat-jour réparties aux quatre coins du séjour.

« Tu as quoi… ? »

Liv a secoué la tête d’un air incrédule.

« Tu m’as… suivie ? »

À quoi bon répondre ? Il était évident que je l’avais fait.

« Tu as surpris ma conversation au téléphone, c’est ça ? »

Cette fois, j’ai opiné.

J’ai vu un masque de dureté et d’inflexibilité remplacer toute autre expression sur son visage, ses yeux devenir noirs.

« Tu m’as espionnée… tu m’as suivie… »

Elle n’en croyait pas ses oreilles — moi non plus, d’une certaine façon : je n’en revenais pas de ce que la mort de Naomi m’avait amené à faire en l’espace de quelques jours. Je me suis rendu compte que, si je n’avais jamais poussé plus avant les questions concernant mes origines, c’était en grande partie parce que Liv y avait coupé court chaque fois — et qu’elle était la personne qui m’impressionnait, me paralysait le plus au monde. Ma mère adoptive — ce souverain absolu…

Et puis, il s’est passé quelque chose — un sursaut d’orgueil, la certitude que c’était maintenant ou jamais, que j’étais dans mon bon droit —, et j’ai redressé la tête.

« Qui est-ce ? ai-je répété. Tu as dit que tu croyais qu’ils nous avaient retrouvés, au téléphone. De qui tu parlais ? C’est pour ça que je n’ai pas le droit de mettre ma photo sur Facebook ? Ni sur Internet ? Pour éviter qu’on nous retrouve ? Réponds ! »

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3

Augustine of Hippo, en anglais.