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Là, Osborne attendait le bus pour King’s Cross, adossé à un poteau. Sous ses chaussettes, le bitume était chaud. Une vieille aborigène somnolait sous la verrière, une foule de sacs plastique répandus à ses pieds comme autant d’enfants égarés.

— Vous avez une cigarette ?

Osborne chercha dans sa veste, n’en trouva pas. Il avait mal au crâne et aucune idée de ce qu’il fichait là. L’aborigène fit celle qui comprenait. Enfin, un bus jaune moutarde s’arrêta à hauteur. Osborne dénicha quelques pièces pour le ticket et une place sur la banquette du fond. Les vitres ouvertes lui donnèrent un peu d’air mais aucune ligne de fuite. Assis à ses côtés, un gamin tenait son cartable et un body board sur ses genoux. Une casquette pour la tête, un Walkman pour les oreilles, même l’odeur de pisse ne semblait pas le déranger.

Le bus longea la baie en direction du centre-ville. Palmiers, bagnoles, soleil de plomb, et toujours rien dans le spectre du temps…

King’s Cross, quartier de petite délinquance au cœur de Sydney : prenant garde où il posait les chaussettes, Osborne longea les boutiques de prêt-à-porter soldées toute l’année. Sur le trottoir, la brise filait sous les jupes des filles. Il emprunta le porche du sex-shop et grimpa l’escalier qui menait chez lui. Un voisin toxicomane lui lança un « b’jour » sur le palier du deuxième, demanda ce qu’il avait fait de ses chaussures avant de dévaler les marches sans attendre de réponse. Osborne enjamba la serpillière qui faisait office de paillasson et poussa la porte du meublé où il dormait parfois.

— Dites donc, c’est le bordel chez vous, Osborne…

Un homme attendait dans la cuisine : Gallaher, un flic à la peau grêlée qui mâchouillait une allumette, les pieds en équilibre sur la toile cirée.

— C’était ouvert, dit-il en épongeant son crâne. Il fait une chaleur dehors…

— Qu’est-ce que vous faites là ?

— J’arrive d’Auckland, expliqua Gallaher en rangeant son mouchoir. Ça n’a pas été facile de vous trouver.

— Il n’y a rien à trouver.

— C’est le capitaine Timu qui m’envoie.

— Je m’en fous.

Osborne se débarrassa de sa veste, jeta les chaussettes dans le vide-ordures. Si la pisse avait séché, son cerveau restait poisseux. Gallaher avait une réputation de flic dur, ambitieux, efficace, un type à la pensée binaire, analogique — zéro ou un, bon ou mauvais, en avoir ou pas, des dollars, du pouvoir, des performances — bref, quelqu’un à l’image de son époque. Osborne n’avait jamais pu l’encadrer. Il n’y avait aucune raison que ça change.

Gallaher cracha ses lambeaux d’allumettes sur la toile cirée.

— Ça fait combien de temps que vous avez quitté le service ? dit-il. Un an ?

Dix mois.

Osborne but un peu d’eau au robinet de la cuisine. Le flic chauve continuait de le jauger depuis la chaise dépenaillée.

— Nous avons une affaire à vous proposer, annonça Gallaher. Une affaire qui concerne la communauté maorie.

— J’ai raccroché, ça se voit non ?

Le policier sourit vaguement devant ses pieds nus. Les informations récoltées au sujet d’Osborne n’étaient pas fameuses, il ne faisait rien pour ça.

— Malcom Kirk, reprit Gallaher : ce nom vous dit quelque chose ?

— Non.

— Kirk est un tueur en série, précisa-t-il. Une demi-douzaine de victimes à son actif. Votre ami Fitzgerald était sur sa piste.

— C’est son affaire, répondit Osborne, pas la mienne.

— C’était son affaire, rectifia Gallaher : Fitzgerald est mort.

L’onde de choc le poussa contre le rebord de l’évier.

Jack Fitzgerald.

Mort.

Lui qui n’avait jamais eu qu’un ami avait choisi un mort…

Osborne ne dit rien mais ils étaient maintenant aussi pâles l’un que l’autre.

— Vous n’étiez pas au courant ? relança Gallaher.

— Non.

— Vous ne lisez pas la presse ?

— Non.

— Personne ne vous a contacté ?

— Je ne connais personne.

— Vous connaissiez Fitzgerald ?

— Plus depuis des mois.

— Il n’a pas cherché à vous contacter ?

— Je vous ai dit que non.

Gallaher ficha une nouvelle allumette entre ses dents. Ses yeux noirs et vifs ne le lâchaient pas.

— L’affaire Kirk a été particulièrement mal menée, dit-il en substance, depuis le début. Le capitaine Timu vous donnera de plus amples détails ; en attendant, si Fitzgerald a fini par abattre Kirk, toute son équipe a été décimée lors de l’opération. Un vrai ratage, dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants… Lors de son dernier contact radio, Fitzgerald a parlé d’un charnier et de plusieurs cadavres dans une forêt, au nord d’Auckland : cadavres parmi lesquels devait figurer un complice présumé de Kirk, un certain Zinzan Bee… Vous connaissez ?

Un ancien activiste et figure emblématique de la société maorie.

— Et alors ? renvoya Osborne.

— Alors on n’a jamais retrouvé le corps de ce fameux Zinzan Bee. Volatilisé. Quant à Fitzgerald, il s’est suicidé. Le lendemain même de l’opération.

— Suicidé ?

— Sans laisser aucun rapport, aucune information, rien qui pût nous renseigner sur les motivations de Kirk et le rôle de Zinzan Bee dans cette affaire… Étrange, non ?

Toujours en équilibre sur sa chaise, Gallaher semblait le tester.

Osborne fit la moue : Fitzgerald qui abattait un ancien activiste maori prétendument complice d’un tueur en série et qui se suicidait dans la foulée, le cadavre du suspect escamoté, tout ça ne tenait pas debout. Fitzgerald n’avait pas pu se suicider : impossible. Mais qui, hormis lui, le savait ?

— Les obsèques des policiers tués ont eu lieu cette semaine, poursuivit Gallaher ; en grande pompe, précisa-t-il. Vous imaginez bien que l’opinion publique néo-zélandaise a été très choquée par ces crimes sexuels, d’autant que Kirk semble avoir sévi des années durant en toute impunité ; des têtes sont tombées, les cols blancs sont sur la sellette et nous avons un trou à boucher. Fitzgerald disparu, le puzzle est incomplet. C’est pourquoi nous cherchons un spécialiste de la question maorie susceptible de nous aider à recoller les morceaux… En l’occurrence vous, Osborne : vous avez travaillé avec Fitzgerald pendant six ans, vous connaissez ses indics, ses sources, voire certaines de ses méthodes… Le capitaine Timu vous propose de reprendre du service. C’est lui qui a hérité du poste de votre ancien patron et…

Mais Osborne n’écoutait plus. Par la fenêtre ouverte, les kookaburras de la place de King’s Cross hurlaient à tue-tête. Il frissonna malgré lui : un retour au pays lui faisait aussi chaud au cœur qu’une balle tirée dans le dos.

Hana…

1

De l’enfance, Paul n’avait gardé que la mitraille, une poignée de souvenirs bazardés aux premiers jours de l’adolescence, quand ils avaient emménagé chez Thomas, son futur beau-père, dans le quartier de Red Hill.

L’odeur qui, par grand vent, émanait de la fabrique de poissons était pestilentielle mais lui et sa mère avaient une maison à eux, avec un bout de jardin encore en friche et un avenir. Thomas disait qu’il allait s’en occuper, le jardin c’était un boulot d’homme ; l’avenir on verrait.