— Maggy est une fille à vous ? traduis-je de la pipe.
— Mwoui.
— Elle surveille l’équipe de France, si je puis me permettre un tel calembour au moment ou tu satisfais à la fois mes sens et ma curiosité ?
— Mrn-waoui. Hmmmm !
Comme l’a dit le grand Pierre Dac : « Il ne faut jamais faire le jour même ce que tu peux faire faire par un autre le lendemain. » Au lieu de pousser l’interrogatoire, je me laisse embarquer pour un deuxième tour de circuit.
En plein radada, si ce n’est pas honteux !
Au moment précis où j’exécute à Anny le coup du postier vaudois ! Une cuisse au-dessus de tout soupçon ! Au plus fort de la partie, alors que je mène quatre jeux à deux dans le troisième sexe après avoir remporté les deux premiers !
Elle est là, la pauvrette, emperlée de la plus radieuse, de la plus émouvante des sueurs, quand ma porte s’ouvre sans fracas, mais avec décision. Trois mectons sont laguches : le garçon d’étage qui vient de jouer son petit solo de passe-partout, un grand pustuleux à moustache de rat asthénique, captivé par la manière dont se pratique le coït franco-helvétique ; plus deux balaises taillés dans un bloc de fonte, et que tu croirais, l’un et l’autre, la caricature de John Wayne réalisée par mes trois chers mousquetaires Mulatier, Morchoisne, Ricord, les empereurs du dessin déformant.
Les balaises s’avancent du pas appuyé de deux mecs voulant neutraliser un début d’incendie à la moquette. Ils s’approchent de mon pageot plein d’amour et de poils. L’un d’eux sort une plaque de sa poche.
— Agent fédéral Robson, il dit, juste avec le nez, sans se servir de sa bouche, dont il a besoin pour mâcher son chewing-gum.
Le préposé scrofuleux s’approche en catiminette, admirer la manière impec qu’elle se faisait chibrer, Anny. Lui, il n’a vu ça, jusqu’à présent, que dans des dessins animés pornos ; mais il trouve la réalité autrement plus attrayante.
Le copain à l’agent fédéral Robson va cueillir les fringues de ma partenaire sur le fauteuil où elles pêle-mêlaient dans un désordre suggestif ; il les jette sur le lit.
— Je ne sais pas où vous en êtes de la corrida, fait-il, mais si vous vous appelez bien Anny Etoilet, grouillez-vous de prendre votre pied et suivez-nous.
Au lieu d’une plaque, lui, c’est un document qu’il produit. Le district machinchouette le mande d’arrêter ma petite citoyenne Bourremiche dans les meilleurs délais.
— Voyons, voyons, interviens-je, vous allez nous expliquer un peu de quoi il retourne, non ?
— Non, répond le balaise. Sortez de cette dame, qu’elle puisse remettre sa culotte, et occupez-vous de vos propres oignons.
— Vous pourriez au moins vous retourner ! lance Anny, furieuse.
— Si on se retournait quand on vient arrêter quelqu’un, il y a longtemps qu’on nous aurait sacqués, annonce Robson.
Il change sa gum de côté, pas causer une surchauffe à ses gencives, et coule un pouce dans sa ceinture, pile comme dans les cow-boyculteries que les cons se précipitent dessus, même si t’as le président qui cause sur une autre chaîne, ce qui, pourtant, est bien plus marrant.
Ma chère partenaire se loque avec un maximum de célérité et de discrétion.
— Un malentendu, j’espère ? lui lancé-je.
Elle ne me répond pas. Soudain j’ai l’impression qu’elle m’a oublié et que je ne compte plus pour elle. Ingratitude féminine. Oh ! les cruelles auxquelles un bidet suffit à apporter l’oubli.
La petite troupe s’en va.
Poliment j’escorte.
Et qu’aspers-je dans le couloir ? Maggy, en larmes entre deux autres balaises qui doivent sortir de la même manufacture de fédés que « les nôtres ».
Emballage en série ! Est-ce consécutif à l’assassinat de Bob ? En ce cas pourquoi ne m’arrête-t-on pas également ?
Plus j’avance dans ce tas de sable, moins je pige. Comme quoi j’aurais dû acheter un bureau de tabac au lieu de faire flic. On perd sa vie à galoper. Les seuls réels vivants de la planète, ce sont les paysans. Ils croissent et meurent où ils sont nés, y a pas de déperdition ; chaque seconde conduit à la suivante en empruntant le même chemin. Ils regardent pisser la fontaine, brunir les feuilles, couler le ciel et ils vivent pleinement le présent, sans attendre le moment d’aller ailleurs. La faim et le sommeil sont leurs seuls maîtres bienveillants. Ils n’ont peur que pour les récoltes et ne se laissent intimider que par la foudre qui pourrait tomber sur leur paille.
Partir, c’est mourir un peu. Moi, je ne fais que partir, donc que mourir beaucoup ; et quand la vraie mort viendra, je lui dirai : « J’ai déjà donné, mais prends le reste. » Mourir à tempérament, mon vieux, c’est tristounet, je te le dis. Ce qui ne pardonne pas, c’est les intérêts.
Ma cambre, soudain, devient bien grande. La solitude surdimensionne.
Que faire ?
Dormir ? Non, merci, il n’en est pas question, malgré ma fatigue délabrante. Je sifflote Long alone. Très jolie mélodie, compagne de l’âme. Je devrais plutôt fredonner Il est cocu, le chef de gare, parce que enfin, le général Blackcat m’a franchement pris pour un trou, comme dit le gynécologue de Jacques Chazot. Inscrivez « pas drôle » au tableau d’affichage et offrez-moi une soupe !
J’étais la chevrette innocente lancée dans les pattounes de la horde de loups ! Et tout le monde me guignait, tout le monde voulait neutraliser l’Antonio d’une manière ou d’une autre : par balles ou volupté. Comment suis-je encore sur mes cannes ? Si je ne bénéficiais pas d’une protection occulte, tu pourrais sortir ton mouchoir et faire dire des messes à ma mémoire.
Mais qu’est-ce qui fait courir l’Antonio, dis, ma belle ? La carotte ? Elle est chouette, non ? Tiens, tu peux te la caser où tu veux.
Je m’abandonne entre les bras d’un fauteuil et attire le bigophone à moi. Quelle heure est-il à Paris ? Je visionne ma Rolex, fais un prompt calcul mental et conclus qu’il doit être environ 16 heures à la pendule de notre salon. C’est l’heure où Félicie commence à préparer les tartines de Toinet qui va rentrer de l’école. Il adore le pain de campagne beurré demi-sel et s’en engloutit trois ou quatre à son goûter.
J’entends la sonnerie de notre téléphone, la reconnais. Et le souffle de M’man, avant sa voix…
— Allô !
Je la laisse prononcer deux ou trois « Allô », par plaisir. Et je ne saurais t’expliquer ce qui motive cette allégresse ; si, attends : peut-être de savoir qu’elle est là, qu’elle vit ? Le bonheur, c’est une impulsion brève et intense.
— Ça va, la vie, ma chérie ?
— Oh ! Antoine. Où es-tu ?
— A San Antonio.
— San Antonio, Texas ?
— Textuel !
— Que fais-tu, là-bas ?
— Je passe pour un con, sauf le respect que je te dois.
— Ça m’étonnerait, c’est pas ton genre.
— Tu te rappelles le jour où l’on a retrouvé une petite auto Dinky Toy de Toinet dans ta purée mousseline ?
Elle réagit encore comme le fameux soir évoqué (on avait du monde à table et ma pauvre Félicie a failli mourir de honte).
— Ne me parle pas de ça, je…
— Eh bien, tu vois, M’man, je me sens aussi incongru à San Antonio que l’était la petite Triumph rouge dans ta purée.
— En ce cas, rentre.
— Ce serait m’avouer vaincu.
— On ne peut pas toujours gagner, mon grand. Savoir accepter sa défaite est parfois une forme de victoire.
Un temps ; elle me sent inconvaincu.
— Tu préparais les tartines d’Antoine ? je demande.
— Il les a mangées depuis longtemps, il est déjà six heures moins dix.