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Courage, mon drôle. T’en as vu d’autres.

Hop ! Je biche le couvercle et le soulève. Lourdingue ! On lui a rien refusé pour son confort posthume, m’sieur Stocky. Tu peux affronter l’éternité dans un bolide commak. Il voyage cool, l’ancien conseiller de la Maison Withe.

Pour être extrêmement franc avec toi, ma poule, le spectacle n’est pas baisant le moindre. Même un film de Robbe-Grillet est plus hilarant. Oh ! dis donc, ce qu’il a morflé dans les gencives, ce gus ! D’abord il en manque. L’un de ses bras s’est fait la malle. Et puis tout le burlingue est éclaté. Et le bas de frite est également porté disparu. Sa physionomie commence deux centimètres au-dessous du tarin.

A l’entreprise P. J. France, ils ont essayé de rebecter un peu l’ensemble avec des sparadraps spéciaux, des fards, des mastics, mais dans un sens, ça aggrave presque le cas du mort, lui donne un côté Frankenstein loupé. Tu vas dire que j’en remets, fillette, que je complais dans le sinistros, que je deviens morbide (toi, si mordbite), juste je rends compte de la vérité vraie. Tu voudrais quoi-ce ? Que j’entonne l’hymne au Printemps ? Que je cause pervenche, piafs mutins, aube claire ? T’oublies que je suis en train de bricoler dans un sépulcre, ma jolie.

Nonobstant l’horreur insoutenable (tu le ferais, toi, en pleine nuit ?), je procède à l’examen dont pour lequel j’ai venu, comme dirait m’sieur l’nouveau directeur.

La lumière blanche de ma torche descend le long du cadavre mutilé. Jusqu’aux godasses. L’une d’elles se trouve simplement là pour mémoire. Y a rien dedans, car il manque un pattounet à Stocky, officier de marine blessé aux Philippines (et à la jambe).

J’ai le courage d’ôter la chaussette flasque du bas. Un moignon depuis lurette cicatrisé m’apparaît. Il est clair que Stocky portait une prothèse, il reste une sangle au-dessus de son mollet.

C’est ce pied bidon qu’on est venu prélever dans cette tombe, avant que je m’y pointe.

Fin du message : « Stocky Pied ».

Ce pied, j’ai la pénible sensation que le mort s’en sert encore pour me botter le cul.

COUP DU CIEL (ou de génie)

Franchement, je veux pas donner dans le shakespearien, encore que je raffole du grand Willy, mais un qui chasserait le ver luisant et m’apercevrait, assis sur le bord de la tombe ouverte, le front sur le poing, le coude sur le genou, me prendrait sec pour Hamlet (dont le toubib n’existe pas).

Je fais donc le point sur mon poing, à la pâle clarté qui tombe des étoiles (merde, v’là que je bascule dans Corneille), le cœur plus lourd que cette dalle déplacée. N’est-il pas grand temps de forcer l’obscurité sépulcrale de cette histoire pour, enfin, trouver un peu de clarté vivifiante ? Non, mais réponds quand je t’interpelle, Acharbon !

Schématiser. Résumer l’affaire. Et puis se reculer pour juger de l’effet. Ne pas avoir peur de ressasser. La râbache a du bon, parfois. Il faut se débarrasser du texte pour pouvoir le bien jouer ; donc, l’apprendre par cœur. Apprenons par cœur les données du problème.

Un diplomate indien, en poste à Moscou, a découvert quelque chose de terriblement important et prend langue avec un diplomate anglais. Aussitôt il est arrêté par les Services soviétiques.

Après une brève période de détention, on le retrouve à Zurich, dans le train d’atterrissage d’un jet, il est agonisant et ne survivra pas. Il porte sur lui un message écrit avec son sang et adressé à l’I.S. britannique : Prévenir P. J. France ; San Antonio V 818 Stocky Pied.

Les Rosbifs ne peuvent ignorer de quoi il s’agit, c’est-à-dire de la mort dans l’accident du vol 818 d’un nommé Stocky, ex-collaborateur d’un président américain, porteur d’un pied articulé à la suite d’une grave blessure de guerre.

Pourtant ces bons amis jouent à me faire croire que je suis concerné et me lancent sur le sentier de la guerre, sachant bien que le San Antonio du message se rapporte à la ville texane et non à moi.

Manœuvre de diversion ? Pour jouer au plus marle avec l’adversaire ?

En somme, il existe six éléments majeurs derrière ce rideau de brume : Stone-Kiroul, les Russes, les Britiches, les Nord-Coréens, P. J. France et Stocky dont les restes gisent à l’intérieur d’un superbe cercueil carrossé par Bertone.

De toute évidence, les Russes se sont servis de Stone-Kiroul pour amorcer un coup fumant, le message a été conçu par eux, mais dans quelles perspectives ? Les Anglais ont feint d’être appâtés, mais pour berner qui ? P. J. France appartient à quel bord ? Que cherchent les Nord-Coréens dans l’aventure ? Pourquoi a-t-on assassiné le colonel Müller ? Que recelait la prothèse pattounarde de Stocky ? Et qui s’en est emparé ? Pourquoi les fédés ont-ils arrêté Maggy et Anny ?

Le mec qui répondrait à ces différentes questions aurait droit à mon respect, à une boîte de préservatifs et à la liste exhaustive des radars disposés sur le territoire français.

On s’habitue aux pires désagréments. L’odeur affreuse montant de la fosse ne me chavire plus. Elle est motif de réflexions sereines, au contraire, quant à notre devenir. Pourquoi dit-on « ils » en parlant des morts, alors que nous sommes en puissance ces « ils » ? La nation des anéantis n’existe pas ailleurs qu’en nous-mêmes ; c’est une espèce de diaspora irréfutable. Nous appartenons à la race Mort, impossible de s’insurger ; on ne peut refuser d’être blanc ou noir.

Dans le fond, le dénominateur commun à tous ces éléments, n’est-ce pas P. J. France ? C’est lui qu’on retrouve partout : sur le message d’abord, ensuite Stocky a été enseveli par ses soins, il a dans l’une de ses entreprises un couple travaillant pour des services secrets (Bob et Maggy), la belle Anny Etoilet vient draguer dans son secteur ; les Nord-Coréens également, et San-Antonio avec tiret idem. Alors ?

Stocky Pied.

Quel lien existait-il entre les deux morts ? Stone-Kiroul et Stocky, en dehors du « S » de leur initiale patronymique ?

Coup de pied à suivre !

Bon, je ne vais pas passer mes vacances au bord de cette fosse pestilentielle. Il s’agit de remettre le couvercle sur la boîte à dominos.

Oh ! hisse ! Je recommence à m’escrimer ; sûr que demain j’aurai un tour de reins. J’agis en grande détresse. Mon désarroi augmente au fur et à mesure que la lourde pierre rampe sur l’ouverture. Il me semble que le mort m’appelle, qu’il a quelque chose à me confier. Des ténèbres abominables monte un cri muet : « Attends, pars pas, insiste, j’ai un secret à te confier. Lorsque tu auras obstrué ce trou, il sera trop tard, trop tard pour toujours ! »

Idiot, non ?

Pas tant, l’ami ; pas tant ! L’intuition est la voix de la vraie raison, celle qui est enfouie au creux de nous, emmitouflée dans le subconscient, et qui se manifeste dans les moments d’exception pour nous chuchoter des certitudes.

Alors, soit. J’interromps ma besogne, et qui plus est, je refoule la dalle pour mieux dégager la dernière demeure de Stocky. Officier héroïque, mister Stocky : bataille des Philippines, blessé, devient conseiller à Washington. Il conseillait quoi, au Président ?

Je braque ma loupiote sur la tête horrible du défunt, saccagée et mal rafistolée avec des matériaux de misère. Car rien ne remplace la viande humaine, elle n’est pas copiable.

« Eh bien, mister Stocky, allez-y, je vous écoute. Je suis venu de Paris pour obtenir vos confidences. »

J’ai le calme courage de regarder cette tête sinistrée, tentant de lui restituer par un effort d’imagination, son apparence d’avant l’accident.