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— Mais encore, mon gros ?

— D’après ce que j’ai cru comprendre, cela concernerait un plan d’invasion générale de l’U.R.S.S. par la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Pakistan et je ne sais encore qui. Cette formidable opération est prévue à une date donnée et, en cas de réussite, devrait être poussée jusqu’en Europe.

— Les prédictions de Nostradamus, soupiré-je.

— Je ne connais pas ce journaliste, avoue humblement Barbabite, lequel possède plus de graisse que de culture.

Un instant de silence passe sur nous, comme une langue agile sur une tête de nœud ; bienfaisant, car il nous permet de mettre un peu d’ordre dans notre esprit et d’établir une juste connexion entre nos pensées et nos émotions, amen.

— Voyons, Pafensucre, réattaqué-je, Stocky possédait-il ce plan ou était-il simplement au courant de son existence ?

— Il a dit qu’il avait tout et que son infirmité lui servait de coffre-fort.

— Bien sûr, les Russes ont fait parler proprement Stone-Kiroul ?

— Vous pensez ! Il en a tellement dit qu’il a même dû en inventer. Seulement, pour les détails, il faudra vous adresser à eux, demander à P. J., moi, après tout, ces histoires-là…

— Oui, c’est pas ton oignon. Avec ce que tu as appris, quel que soit le peu d’intérêt que tu as marqué pour la chose, tu résumerais l’affaire de quelle manière ?

Il réfléchit. Son gros bide gargouille désespérément ; il n’a pas l’habitude des équipées nocturnes et l’heure de ses tartines de caviar est passée depuis lulure.

— Mon avis…, murmure-t-il. Mon avis…

Puis, inquiet :

— Il faudrait peut-être voir où en est P. J., non, vous l’avez salement touché.

— Te bile pas, Bill. Si tu deviens veuve, je parie que tu palperas un beau morceau du gâteau, mon petit doigt me dit que tu as su manipuler le gros lard pas seulement du bas et qu’il s’est occupé de ton avenir.

Il a un vilain sourire effronté qui en dit long comme le désespoir du patronat français sur ses « espérances » comme on disait dans les lieux jadis bourgeoisissants.

— Alors, ton résumé, ça vient ?

— Ecoutez, avec ce que je sais, en réfléchissant bien, je vois les choses comme ça : Stocky ramassait un pognon terrible en faisant chanter les Jaunes, ou un truc dans ce genre. Je suis certain qu’il tirait profit de son secret.

— Tu souilles sa mémoire, ma Grosse Zézette au miel !

— Ce qu’il en a à foutre maintenant ! ricane l’Obéseur, et de poursuivre : Russes et Britanniques ont eu partie liée dans ce coup-là.

Un bon point pour lui : ses conclusions rejoignent les miennes.

Il continue de sa voix un peu trop fluette pour son gabarit :

— Bien sûr que les Popofs et les Anglais se sont mis après Stocky pour lui arracher son secret.

— L’ont-ils obtenu ?

— Ça, ni France ni moi ne le savons.

— Après ?

— Qu’ils l’aient obtenu ou pas, ils ont décidé de monter tout un mimodrame pour feinter les Chinois.

— Dans quel but ?

— Les amener à croire, après moult péripéties, qu’ils avaient mis la main sur le fameux document.

— Dans quel but ? répété-je, la même question restant valable.

Le gros faisandé me défrime avec un brin d’insolence.

— Vous êtes flic ou quoi ? Dans quel but ! Mais pour les amener à annuler leur dispositif. Seulement, il a fallu organiser un tas de péripéties pour que la chose ait l’air vraie ; ils sont malins, les bougres, alors le cinéma qui leur a été monté devait impliquer mille rebondissements.

— Pour les amener à la tombe de Machin ?

— Evidemment. C’était l’acte final auquel ils sont arrivés après bien des incidences et fausses manœuvres.

— Le pied mécanique ?

— Juste. Il était vide. Mieux, ils ont pu constater que le corps, en tant que tel, avait été fouillé comme une malle. Donc, que tout espoir était perdu pour eux.

— En somme, l’accident de l’avion visait Stocky ?

— Affirmatif.

— Et il fallait qu’il se produise à l’aéroport de San Antonio pour que vous ayez le cadavre à disposition ? France est connu des troupes secrètes qui grenouillent de par notre miséreuse petite planète rabougrie. Les Jaunes ont pigé en voyant le cadavre dans cet état que l’équipe de Mr. France avait fait le nécessaire, au profit des Russo-Britanniques ?

— Je crois que ça cadre pile.

— Ultime point d’interrogation, les Russo-Britannouilles, comme tu dis, ont-ils mis, oui ou merde, la main sur le fameux plan ?

— Là, je vous répète que je l’ignore ; ce sont des trucs qu’on ne raconte pas dans les soirées mondaines.

Fatal laisser-aller de l’homme en méditance. Tout à « l’affaire », je me suis mentalement relâché, du point de vue prudence. J’ai laissé mon qui-vive au vestiaire. Et tu ne sais pas ?

Non, je te jure, assieds-toi, pose ta grolle qui fait tellement chier ton cor au pied et écoute.

Juste que j’erre dans le jardin touffu de mes pensées, voilà qu’une silhouette massive se dresse dans l’encadrement de la portière qui me fait face. Au moment où je l’avise, reconnaissant le visage décomposé de P. J. France, je note le canon de pistolet dirigé sur moi.

Et le temps, te dis-je, de comprendre, ça tonne à nouveau dans le petit Verdun texan. Quatre bastos lâchées dans les règles. Des belles, un peu pataudes, capables de traverser un blindage de char ou l’intelligence d’un contractuel. Plaoum ! Plaoum ! Plaoum ! Plaoum !

Je tombe à la renverse sous le coup de boutoir. Un choc de cinq cents kilogrammes à l’épaule, même un éléphant dresse l’oreille quand il morfle une bastos de cette envergure. Au sol, je me sens tout le côté gauche paralysé, étourdi.

Suis-je touché à mort ? Ces choses-là, il faut un instant pour en être informé. Tout de suite, l’impact te met K.-O., la gravité, ça se décide peu après. En tout cas je conserve, magnifiquement préservée, ma notion de la vie. Ainsi, je sais que la bagnole crame, que le barbu dodu hurle et s’enfuit en flammes sans avoir l’idée de se rouler par terre. Je sais que P. J. France, l’héroïque, ne va pas en rester là et qu’il va se traîner jusqu’à moi pour me filer le coup de grâce. S’il m’a à demi raté c’est parce que son minet placé entre nous le gênait. Donc, il me faut prendre les devants. Alors je me place dans une posture judicieuse et j’attends. La frime déshumanisée par la douleur du gros follingue ne tarde pas à apparaître de l’autre côté du brasier.

Ebloui et brûlé par les flammes proches, il ne peut me voir. Tu parles d’une cible !

Tentante. Mais l’Antonio, tu peux marcher derrière son écu : c’est toute la chevalerie françoise (ça, yes, mon pote !).

— Lâchez votre gun, France, ou je vous flashe ! hurlé-je.

Il repte un peu plus.

— Stoppez ! Placez vos mains nues en avant et ne bronchez plus ! lui intimé-je.

Tu parles d’un acharné. Au lieu d’obtempérer, il se remet à praliner en direction de ma voix, beaucoup trop à gauche, car j’ai eu la bonne idée de me rapprocher du second motard défunt.

Alors, quoi, merde, tant pis. Le vieux forban déguste sa potion d’infini. Deux prunes dans les favoris. Son petit ami achève de brûler comme du suif, au bord de la falaise.

Putain d’elle, quelle noye !

Je me remets debout en gémissant. Mon épaule gauche a dérouillé. J’ai la clavicule naze et il me manque deux cents grammes de bidoche dans la région en question.

Tu crois que je vais pouvoir piloter une moto dans cet état ?

Oui, puisque je suis San-Antonio !