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Surtout en regard de ces autres officiers qui continuaient de le prendre pour un imposteur, sinon pour la coquille creuse du héros qu’il avait été jadis. Ce petit groupe s’ingéniait à saper son autorité depuis qu’il avait accepté, malgré lui, d’assumer le commandement de la flotte après l’assassinat de l’amiral Bloch par les Syndics. Il n’avait pourtant pas brigué ce commandement, encore assommé par cette brutale révélation : les gens et les lieux qu’il avait connus étaient maintenant du passé, vieux d’un siècle. Cependant, autant du moins qu’il pût en juger, il n’avait pu que l’accepter dans la mesure où il avait été promu capitaine de vaisseau cent ans plus tôt, ce qui faisait de lui l’officier le plus ancien de la flotte dans ce grade.

Geary retourna son salut à Desjani : « Bien sûr. Le travail d’un commandant n’est jamais terminé. Je vous reverrai sur la passerelle dans quelques heures. »

Cette fois, le sourire de Desjani se fit encore plus féroce ; elle anticipait déjà la bataille avec les forces des Mondes syndiqués. « Ils ne sauront même pas ce qui les a frappés », prophétisa-t-elle, pleine d’espoir, en entreprenant de remonter la coursive.

Soit eux, soit nous, ne put-il s’empêcher de se dire. Arracher la flotte à un piège auquel elle venait à peine d’échapper pour la ramener aussitôt dans le système stellaire ennemi où elle avait frôlé la destruction avait sans doute été une décision insensée. Mais les officiers et les spatiaux de l’Indomptable l’avaient acclamée et il en allait de même de tous ceux de la flotte, il en avait la certitude. Il s’efforçait encore de comprendre plus intimement ces spatiaux de l’Alliance qui vivaient un siècle après sa propre époque, mais il les savait au moins capables, et avides, de se battre comme des démons. S’ils devaient mourir, ils le feraient en affrontant l’ennemi au combat, pas en lui tournant le dos.

Non point qu’ils s’attendissent à mourir, pour la plupart, puisqu’ils comptaient sur lui pour les ramener chez eux indemnes et sauver l’Alliance dans la foulée. Puissent mes ancêtres m’assister.

Victoria Rione, coprésidente de la République de Callas et sénatrice de l’Alliance, l’attendait dans sa cabine. Geary s’accorda une pause en la voyant. Victoria avait à tout instant accès à sa cabine, puisqu’elle y avait passé par intermittence un bon nombre de nuits, mais elle évitait Geary depuis qu’il avait ordonné à la flotte de retourner à Lakota. « Qu’est-ce qui t’amène ? » s’enquit-il.

Elle haussa les épaules. « Nous réintégrerons Lakota dans cinq heures et demie. C’est peut-être notre dernière chance de parler puisque la flotte risque d’être anéantie peu après.

— Sans doute pas la meilleure façon de me stimuler pour le combat », fit-il observer en s’asseyant face à elle.

Rione secoua la tête en soupirant : « C’est démentiel. Quand tu as retourné cette flotte vers Lakota, je n’ai pas voulu y croire, puis tout le monde s’est mis à t’acclamer autour de moi. Je ne vous comprends pas, ni eux ni toi. Pourquoi les officiers et les matelots ont-ils l’air si satisfaits ? »

Il comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Les réserves de cellules d’énergie étaient au plus bas, les stocks de munitions encore plus pauvres, la flotte était percluse d’avaries consécutives aux combats, tant de Lakota que de ceux qui l’avaient précédé, la formation n’était plus qu’un enchevêtrement désordonné après sa retraite frénétique hors de ce système stellaire et sa hâtive volte-face. Sous un angle rationnel, lancer une nouvelle attaque était pure insanité, encore qu’à Ixion, à un moment donné, il eût compris que c’était pourtant le meilleur moyen de rallier la flotte ; la certitude que tenter de s’y attarder ou de fuir à travers ce système eût dans les deux cas signé sa destruction avait facilité sa décision. « Difficile à expliquer. Ils ont confiance en moi et en eux-mêmes.

— Mais ils se précipitent tête baissée vers un système dont ils viennent tout juste de s’échapper ! Pourquoi est-ce que ça devrait leur plaire ? C’est absurde. »

Geary se rembrunit et s’efforça de traduire oralement ce qu’il savait déjà viscéralement : « Tous savent qu’ils vont affronter la mort. Qu’on leur ordonnera de charger bille en tête un ennemi qui s’efforcera de son mieux de les anéantir et que, de leur côté, ils tenteront aussi de détruire. Peut-être est-il absurde d’éprouver de la joie à la perspective de retourner combattre à Lakota, mais les autres choix qui s’offrent à eux ne le sont pas moins, ne trouves-tu pas ? L’essentiel, c’est qu’ils soient désireux de le faire… de continuer le plus longtemps possible à frapper l’ennemi, aussi durement qu’ils le peuvent, en se persuadant que ça y changera quelque chose. Ils sont convaincus qu’infliger une défaite aux Syndics est crucial pour la défense de leur patrie, qu’il est de leur devoir de la défendre, et ils sont prêts à mourir en combattant. Pourquoi ? Parce que. »

Rione soupira encore plus profondément : « Je ne suis qu’une politicienne. Nous ordonnons à nos guerriers de se battre. Je peux sans doute comprendre pourquoi ils combattent, mais pas pourquoi ils applaudissent à cette manœuvre.

— Je ne prétends pas non plus le comprendre. C’est ainsi, voilà tout.

— Ils ont acclamé les ordres et y ont obéi parce que c’est toi qui les leur as donnés, ajouta Rione. Pourquoi ces guerriers se battent-ils, John Geary ? Pour rentrer chez eux ? Pour protéger l’Alliance ? Ou pour toi ? »

Il ne put réprimer un petit rire. « Pour les deux premiers motifs, qui n’en font d’ailleurs qu’un puisque l’Alliance a besoin de cette flotte pour survivre. Et peut-être aussi un peu pour le troisième.

— Un peu ? » Rione eut un ricanement de dérision. « Cela de la part d’un homme à qui l’on a offert un trône de dictateur ? Si nous survivons à ce retour à Lakota, le capitaine Badaya et ses pareils réitéreront leur proposition.

— Et je la repousserai encore. Si tu te souviens bien, pendant tout le trajet jusqu’à Ixion nous avons craint qu’on ne me relève de mon commandement à notre arrivée dans ce système. Voilà au moins une meilleure raison de s’inquiéter.

— Ne va surtout pas t’imaginer que tes adversaires parmi les officiers supérieurs de la flotte renonceront parce que tu auras pris une décision applaudie par sa grande majorité ! » Rione tendit la main pour tapoter quelques touches et l’image du système stellaire de Lakota s’afficha au-dessus de la table de la cabine. Les positions qu’occupaient les vaisseaux syndics quand la flotte avait sauté hors du système étaient encore figées sur la représentation holographique. Très nombreux, ils disposaient d’un avantage considérable sur une flotte de l’Alliance durement éprouvée. « Tu me dis qu’on n’aurait pas survécu si on avait tenté de traverser Ilion. Très bien. Mais en quoi la situation aura-t-elle changé à Lakota ? »

Geary montra l’écran. « Entre autres, si nous avions tenté de traverser le système d’Ixion, la flotte syndic qui nous traque se serait certainement matérialisée derrière nous au bout de quelques heures. Nous avons disposé de cinq jours et demi dans l’espace du saut pour réparer nos dommages consécutifs aux combats de Lakota, mais ça n’a pas suffi. En nous retournant pour sauter de nouveau vers Lakota, nous gagnons encore cinq jours et demi de réparations. Certes, il y a des limites à ce qu’on peut accomplir dans l’espace du saut en ce domaine, et je ne serai pas en mesure d’obtenir les relevés de situation des autres vaisseaux avant d’avoir émergé dans l’espace conventionnel, mais tous ont reçu l’ordre d’accorder la priorité à la remise en état de leurs unités de propulsion. Nous serons donc, à tout le moins, capables de filer plus vite dès notre réémergence à Lakota. Sans rien dire des autres réparations dont bénéficieront nos bâtiments : blindages, armement et autres systèmes endommagés. En sortant du point de saut, ils auront donc disposé de onze jours pour réparer les avaries qui leur ont été infligées à notre dernier engagement.