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Vaisseaux jetables et équipages jetables. Une telle masse de connaissances tactiques s’était perdue au cours de ce siècle, où le personnel entraîné mourait avant de pouvoir transmettre son savoir et son expérience aux générations suivantes de spatiaux… Les combats avaient dégénéré en concours de tir aux pigeons assortis de charges bille en tête et de pertes épouvantables. Accepter ces rebords rugueux avait été considérablement plus facile que d’accepter les pertes en vies humaines désormais regardées par la flotte comme routinières lors d’un combat.

Mais il avait réussi à préserver l’Indomptable et son équipage jusque-là, et ce depuis le système mère syndic, il en était venu à connaître ses hommes, jusqu’à ce qu’ils finissent par devenir pour lui davantage un réconfort que le rappel paralysant de tous ceux, morts depuis longtemps, qu’il avait connus. Il reconnaissait désormais les traits et se rappelait le nom de certaines vigies, de novices qu’il avait réussi à garder en vie assez longtemps pour leur faire acquérir de l’expérience. La plupart des spatiaux de l’Indomptable venaient de Kosatka, planète qu’il avait visitée à une certaine occasion, littéralement plus de cent ans plus tôt. Seul dans ce futur, tous ses parents morts, il se surprenait à voir en eux une sorte de famille de substitution.

Le capitaine Desjani l’accueillit avec un sourire quand il entra sur la passerelle à grands pas et se laissa tomber dans son fauteuil de commandement, placé près de celui du commandant du vaisseau. Au tout début, sa soif du sang ennemi et sa propension à accepter des tactiques qui auraient révolté Geary l’avaient sidéré. Mais il avait finalement compris les raisons de ce comportement et elle l’avait écouté pour adopter, au bout du compte, des convictions plus proches de celles de ses ancêtres. De surcroît, ceux-ci savaient quel commandant compétent elle faisait, et combien, dans le feu de l’action, elle pouvait habilement manœuvrer son vaisseau. La présence de Desjani sur la passerelle était incontestablement devenue le plus grand réconfort de Geary. « Nous sommes prêts, capitaine Geary, déclara-t-elle.

— Je n’en ai jamais douté. » Geary s’efforçait de respirer calmement, d’avoir l’air confiant, de parler avec assurance. Bien qu’il redoutât ce qui risquait de guetter cette flotte à son émergence au point de saut de Lakota, il se savait aussi observé par des officiers et des spatiaux dont la confiance en soi dépendait en grande partie de celle qu’il affichait lui-même.

« Cinq minutes avant émergence », annonça la vigie des manœuvres.

Non seulement le capitaine Desjani semblait aussi sereine que confiante, mais encore donnait-elle l’impression d’éprouver réellement ces deux émotions. Mais il fallait aussi dire que Desjani n’était jamais plus calme que quand l’heure du combat et l’occasion d’abattre des vaisseaux syndics se rapprochait. « Nous avons à venger quelques camarades dans ce système stellaire, déclara-t-elle à Geary en le regardant, un mince sourire aux lèvres.

— Ouais », convint-il, non sans se demander si le capitaine Mosko avait survécu à la destruction du Rebelle, son cuirassé. Peu plausible. Mais Mosko n’était qu’un des nombreux spatiaux de l’Alliance qui auraient pu survivre à Lakota et y être faits prisonniers. En sus de quatre cuirassés et d’un croiseur de combat, la flotte y avait perdu deux croiseurs lourds, trois croiseurs légers et quatre destroyers.Peut-être aurons-nous l’occasion d’en libérer quelques-uns. Les Syndics ne devaient pas être pressés de les transférer, aussi certains d’entre eux se trouvent-ils sans doute encore à notre portée.

Le sas de la passerelle s’ouvrit et Geary constata en se retournant que Rione s’installait dans le fauteuil de l’observateur, juste derrière lui. Leurs regards se croisèrent ; elle le salua d’un petit signe de tête, l’œil froid, puis s’adossa à son siège pour fixer son propre écran. Manifestement absorbée par son travail, Desjani ne se retourna pas pour l’accueillir et la politicienne de l’Alliance, pour sa part, ne parut pas le remarquer.

« Deux minutes avant émergence. »

Desjani se tourna vers Geary : « Désirez-vous vous adresser à l’équipage, capitaine ? »

Y tenait-il ? « Oui. » Geary s’accorda un instant pour rassembler ses idées. Il avait eu beaucoup trop souvent l’occasion d’adresser un discours à l’équipage avant le combat depuis qu’il avait assumé le commandement de la flotte. Il enclencha le circuit des communications internes en faisant de son mieux pour avoir l’air remonté. « Officiers et spatiaux de l’Indomptable, je me sens encore une fois honoré de conduire ce vaisseau et cette flotte au combat. Nous nous attendons à rencontrer des défenseurs syndics dès notre émergence du point de saut. Je sais que nous leur ferons regretter cette rencontre, et que nous ne quitterons pas Lakota avant d’avoir vengé les camarades que nous y avons perdus. En l’honneur de nos ancêtres. »

Une nouvelle annonce suivit immédiatement sa dernière phrase : « Trente secondes avant émergence. »

La voix de Desjani résonna par toute la passerelle : « Tous les systèmes de combat activés. Boucliers au maximum. Préparez-vous à affronter l’ennemi. – Émergence. »

Le néant gris de l’espace du saut s’évanouit en un clin d’œil, remplacé par la noirceur piquetée d’étoiles de l’espace conventionnel. Les champs de mines syndics étaient toujours là, bien sûr, mais l’Indomptable et ses congénères obliquaient déjà à angle droit vers le haut, manœuvre destinée à les éviter dès l’émergence. Geary consultait anxieusement son écran, en priant pour que l’ennemi n’ait pas semé d’autres mines à la sortie du point de saut.

L’hologramme du système stellaire était figé et montrait la situation telle qu’elle se présentait deux semaines plus tôt, quand la flotte avait sauté : les positions des vaisseaux ennemis étaient marquées d’une légende Dernière position connue, ce qui, en réalité, pouvait se traduire par « Ce bâtiment pourrait se trouver n’importe où sauf là ». Les symboles les représentant disparaissaient à présent dans un tourbillon de mises à jour, à mesure que les senseurs de la flotte scannaient leur environnement et procédaient à des identifications.

Geary plissait les yeux pour s’efforcer de tout enregistrer. Il n’y avait aucun défenseur à proximité du point de saut, mais des vaisseaux syndics s’éparpillaient, semblait-il, par tout le système. Très nombreux. Il connut un moment d’abattement en constatant le nombre important des bâtiments ennemis qui s’étaient attardés à Lakota. Aurait-il réellement sauté dans la gueule du loup, d’un loup dont les forces étaient de loin supérieures aux siennes ?