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Et sur ces vilaines paroles, le hideux personnage plante mon cher Pinuche fort marri.

— Ainsi, dis-je au bon débris, c’est toi que le Dabe a chargé de m’apporter le compteur ?

Du coup, ça le rengorge, le Lapinaud des champs.

— La pensé que tu aurais probablement besoin de renfort et il a voulu faire d’une pierre deux coups !

— C’est une louable intention, mais était-il vraiment nécessaire que tu vinsses en pyjama ?

Il se regarde dans la grande glace au cadre mouluré du salon.

— Je vais t’expliquer, le téléphone a sonné, je dormais. J’ai pris le message du Vieux en pleine vapeur. Je me suis vêtu comme un somnambule, et c’est seulement en arrivant à Villacoublay où un avion m’attendait que je me suis aperçu de ma mise… L’avion m’a déposé à Genève où un hélicoptère a pris le relais…

— Passe un peu ta sacoche !

Je déboucle le couvercle de cuir. A l’intérieur se trouve un appareil noir avec plein de cadrans et de boutons. Un mot est écrit sur la face interne du couvercle :

« L’appareil est branché. Lorsque du Légérium 34 se trouve à moins de trente mètres une sonnerie se déclenche, qui va croissant à mesure que la source de radio-activité se rapproche. »

— Allons expérimenter cette merveille ! dis-je.

Et je me rends près du camion. Le compteur Strougnbitz ne fait que confirmer les dires de Méhunraillon : ces vélos sont honnêtes. Pas la moindre sonnerie, pas le plus léger tic-tac. Pas l’ombre d’un frémissement. Les aiguilles des cadrans restent immobiles.

En voyant ma bouille contrite, Pinuchet s’inquiète.

— Tu parais déçu ?

— Je ! réponds-je laconiquement. M’est avis que tu as fait un voyage pour ballepeau.

— Ça m’aura toujours valu le plaisir de te voir, gentillise le Fossile.

Je prendrais bien un café. Nous allons au bar de l’hôtel. J’accroche la lourde sacoche au portemanteau et je vais m’abattre sur une banquette au côté de mon coéquipier.

— Et Béru, ça marche son boulot de masseur ? demande le Chétif en rallumant impitoyablement un coin de sa moustache au lieu de son mégot.

La flamme fumeuse de son pauvre briquet lui noircit le nez.

— Béru, soupiré-je, il fait des prodiges. C’est devenu le masseur number one. D’ici quelques jours, toutes les firmes vont se le disputer à coups de millions !

Dans l’instant où je prononce ces paroles, un remue-ménage forcené éclate dans l’escalier. Je reconnais la voix crachoteuse de Jeannot. Elle fulmine :

— Imbécile ! Emmanché ! Tordu ! Lavasse ! Gros connard !

Béru apparaît au tournant des marches, rouge, suant, pendant, penaud, houspillé par l’ancien maillot jaune en transes.

— Vous fâchez pas, m’sieur Jeannot, bredouille le pachyderme pour une fois dégonflé.

Lors, Jeannot profitant de sa position surélevée harangue la foule du bar.

— Vous l’entendez, ce Pas-frais ? Vous l’entendez ce tas de gélatine ? Il me dit de pas me fâcher après le tour qu’il vient de jouer à mon équipe ! Bicco Aisuzi obligé d’abandonner, et Rudy Manther idem !

Un immense « Ooooh ! » qui vole bas part du bar, gagne le hall, sort sur la place et se répand dans les rues agaçantes.

Deux des plus fameux coureurs de ce Tour de France, c’est une nouvelle à sensation !

Quelqu’un : un journaliste, demande à Jeannot ce oui est arrivé.

— Figurez-vous que l’abruti que voilà (et Jeannot désigne le Gros) a soigné le furoncle mal placé de Bicco en le brûlant avec un cigare et en lui mettant les toiles d’araignée sur la plaie. Conclusion, ce katin, il a un melon entre les miches, mon championtal. Quant à Rudy, il lui a branché un vibromasseur sur les cuisses et il est allé bâfrer comme un goret pendant que l’appareil tournait ! Quand il lui l’a enlevé, l’autre était entamé comme une pièce de bœuf ! Rudy, vous le savez, il est allemand à ne plus en pouvoir. Ils sont indolores les Allemands, autant que des poissons. Il lisait l’Hamburger Zeitung, il se doutait de rien. Le sang pissait ! Il en a perdu au moins un demi-litre. Si je me retenais pas je l’assommerais ce Gros malpropre !

Béru en a les larmes aux yeux. Après avoir perdu seize millions au cours de la nuit, voici qu’il perd sa place, avouez qu’il tient une vilaine série, le cher homme !

Il nous avise et vient s’abattre en sanglotant contre l’épaule fraternelle de Pinaud.

— Allons, allons, s’émeut le Détritus, remets-toi, Alexandre…

Il lui tapote la nuque, affectueusement. Et il a ces paroles qui se veulent de réconfort mais qui ne manquent pas de sel.

— Ce sont des choses qui arrivent, dit-il.

* * *

On vide une bouteille de muscadet (le breuvage d’élection de Pinuche) pour se redoper le mental.

Rien de tel que le vin blanc pour chasser les idées noires.

Un barman s’approche de notre groupe et, s’adressant à Pinaud demande :

— C’est à vous la sacoche de cuir au portemanteau ?

— Oui, répond le Branlant.

— Vous avez un réveille-matin ou quoi dedans, ça carillonne sans arrêt !

Je bondis. Je m’effare ! Je m’affaire ! Je m’efforce ! Je m’extirpe de la banquette ! Je m’exclame des choses ! Je m’évacue en vitesse vers la sacoche de cuir. Ça carillonne mochement dedans. Je mate les compteurs : les aiguilles du Strougnbitz paraissent complètement dingues. Je mets la bretelle de la sacoche sur mon épaule et je quitte le bar. La sonnerie se fait stridente, plus précipitée. Elle gueule tout ce qu’elle peut ! On dirait que le sac de cuir abrite douze réveille-matin, quatorze téléphones et huit passages à niveau en délire.

Me voilà dehors ! Je mate autour de moi ! Les gens me regardent. Je leur souris niaisement comme l’abbé Jouvence, (le confesseur de Marcel-E. Grancher).

Je cherche. Ça grouille. Je vais sur la gauche… La sonnerie baisse d’intensité. Je reviens sur la droite, ça vrombit en force ! Ça éclate ! Ça ulule ! Ça pullule ! Ça virule ! Ça vérole ! Démentiel ! A s’en faire cimenter les cages à miel ! A s’y coller de la cire à cacheter, du chewing-gum, des nouilles trop cuites, de la polenta, de la farce d’escargot, n’importe quoi d’épais, de malléable, qui puisse boucher, qui rende étanche. Je me dirige vers un coureur de l’équipe Fafatrin, lequel, assis sur la margelle de la fontaine est en train de régler la hauteur de sa selle. Il s’agit d’un coureur belge : Aloïs Van Danléwoëles, un solide équipier, seize fois vainqueur de la fameuse classique Bruxelles-Bruxelles via Bruxelles.

Je drive ma sacoche jusqu’à sa bécane. Il devient complètement fou, mon compteur Strougnbitz. J’appuie sur le bouton marqué « stop » et le bruit cesse, plongeant nos ouïes chauffées à blanc dans un bain d’huile.

— Qu’est-ce que ça est ? demande Aloïs.

— Mon Jazz qui se prenait pour Armstrong, éludé-je. Où as-tu pris ce vélo, Aloïs ?

Il me mate avec des yeux déroutés, bouffés par la surprise et l’incompréhension.

— Mais, au camion ! me dit-il en me désignant la fourgonnette dans laquelle j’ai terminé l’étape de la veille en compagnie de Méhunraillon.

— Ramène ton braquet où tu l’as pris, Aloïs, il a été saboté par une marque concurrente. Vous devez utiliser les cycles contenus dans le camion en stationnement devant l’hôtel.

Comme il a des doutes, je lui montre ma carte.

— Police du Tour, mens-je pour lui calmer l’étonnement, fais ce que je te dis !