Là-dessus, je m’approche du fourgon Fafatrin. A peine ai-je appuyé sur le déclencheur du Strougnbitz que le vacarme reprend.
Alors je cavale bide au sol jusqu’à l’hôtel.
— Béru ! dis-je au Gros, ça y est, j’ai découvert le pot aux roses. Les tueurs d’hier avaient eu le temps de changer les vélos truqués contre les bons et c’étaient les vélos normaux que nous avons trouvés dans leur camion !
CHAPITRE XV
Je fais conduire la cargaison de vélos truqués dans les locaux de la Police afin qu’ils soient en sécurité et je me paie le luxe d’en démonter un. Effectivement, on a mis des tubes de fer à l’intérieur du cadre pour lui donner un poids normal. Lorsque j’ai ôté ce lest ainsi que les roues et le pédalier, il suffit de souffler sur le vélo pour qu’il se mette à voleter dans le local. Ça tient du prodige. Avec roues et pédalier, il pèse tout juste un kilo, le braquet.
Vite je tube au Vioque pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il exulte. Il me dit que c’est mon action d’éclat la plus éclatante. Un truc commak et je suis bon pour recevoir le Mérite Machin (la plus haute distinction dans l’Ordre alphabétique).
— Maintenant, dit-il, en baissant la voix pour qu’éventuellement, les demoiselles des P.T. et T. ne puissent pas entendre, maintenant je vais vous charger d’une dernière besogne, San-Antonio.
Je lui prête, pour un court instant et avec quatre-vingt-quinze pour cent d’intérêt, une oreille attentive.
— Mon petit, chuchote le Big Boss, il convient de neutraliser ce James Ledvise. Je suppose qu’il a prévu un truc pour récupérer les vélos au Légérium 34 à Lausanne…
— Probablement.
— Il faut lui mettre la main dessus coûte que coûte !
— Je vous fais remarquer que je serai alors en territoire étranger, patron ! objecté-je.
— Je sais, aussi, s’il vous est impossible de me le ramener, je compte sur vous pour mettre définitivement fin aux activités de ce dangereux personnage et de sa bande…
— Définitivement fin, répété-je, manière de bien lui faire endosser ses responsabilités et de voir si elles lui vont !
Il détache bien chaque syllabe.
— Oui, San-Antonio. Dé-fi-ni-ti-ve-ment !
Voilà qui est net, non ?
Les coursiers de l’équipe Fafatrin étant bien classés, ils ne doivent partir que dans les derniers, en vertu du système de la course contre la tocante dont je me suis permis de vous entretenir primitivement.
Pinaud, Bérurier et moi-même tenons un conseil de guerre dans notre chambre. Le Mortifié est blême, avec les oreilles et le nez violets. Il ressemble à un congre congelé. Pinaud, pour ne pas changer, tète la carapace de cafard qui lui tient lieu de mégot.
— En somme, qu’est-ce que tu préconises ? interroge-t-il.
Je branle le chef (qui n’attendait que ça) et je soupire :
— Si nous étions certains au moins que c’est bien à l’arrivée que la récupération des bécanes doit s’opérer…
— Où veux-tu qu’elle s’opérasse ? bougonne l’Évincé, ils vont pas kidnappinger toute une équipe, non ? Sans compter que tous les vélos ne seront pas en course et que la plus grande majeure partie restera dans la camionnette !
— Précisément, fais-je, c’est cela qui me tracasse : la dispersion de leur camelote. Tout vouloir piquer à l’arrivée constitue une gageure. Il faudrait un ballon d’essai…
— Caisse à dire ? demande le Congédié.
— Si un coureur du Fafatrin partait dans les premiers, on aurait le temps d’observer le comportement de l’adversaire avant le départ des autres…
— Y avait que Bicco Aisuzi de mal classé dans mon équipe, à cause de son furoncle aux meules, se rengorge encore le Vaniteux. S’il aurait pu prendre la route ce morninge, il constituait l’appât idéal. Mais ce mec-là est un douillet. Il s’écoute !
— Paraît qu’il avait un ballon de rugby entre les noix, Gros, protesté-je, faut tout de même pas chariboter !
— Il a dû bricoler son pansement dans la nuit et ça s’est infesté, affirme l’ex-masseur, on m’enlèvera pas de l’idée ! La fiente de pigeon et la toile d’araignée, y a rien de mieux pour cicatriser. Chez nous, à la cambrousse, ma vieille elle nous soignait les plaies qu’avec ça ! Pour les refroidissements c’était de la tisane de bourrache, qu’elle employait et des « guilles » de savon pour la constipation. Quand t’avais le boyau boudeur, fallait la voir cramponner le savon de Marseille, Maman. Elle t’en taillait un coin gros comme ça, te le pétrissait dans les doigts pour y donner la forme fusée, et v’lan elle te le carrait dans l’oignon avec un bon coup de pouce pour le placer sur son orbite. Paf ! Je te connais bien ! Et pas de rouspétance ! Elle tolérait pas, Mâame Bérurier mère ! Tiens, je me rappelle de grand-père, un jour… Ça faisait près d’une semaine que son intestin stockait. Il avait beau se masser la boîte à ragoût il continuait d’inscrire relâche pour répétitions quand il s’hasardait aux cagouinsses pour se provoquer la tripe. A la fin, Môman en a eu marre. Comme le Vieux voulait rien chiquer à propos de la guille à tête chercheuse, elle nous a mobilisés : moi, papa et Léonce notre valet de ferme. On s’est cramponné pépé, on l’a basculé sur la table de la cuisine, la barbe dans l’assiette au papier tue-mouches. On l’a déculotté de première et Mâame Bérurier mère, tout en s’excusant à son beau-père, y a filé la moitié d’un savon dans le baigneur. Elle lui expliquait que c’était pour lui éviter une conclusion intestinable. Il renaudait, pépé. Quand on l’a largué il voulait nous casser sa canne sur la tronche, heureusement que son bénard en tirebouchon l’entravait.
— Et ça lui a réussi, le savon ? s’inquiète Pinaud qui aime les petits remèdes de bonne femme.
— Il a même pas eu le temps de sortir de la cuisine, affirme le Gros.
Mais Béru se tait soudain.
— Nom de Zeus ! s’écrie-t-il en frangrec !
Il vient de se dresser. Il a repris des couleurs. Son œil brille d’intelligence.
— Quoi donc ? lui demandons-nous.
— J’ai une idée formide, les mecs ! Je vais prendre le départ à la place de Bicco Aisuzi. Il est costaud ; avec son maillot, sa casquette, de grosses lunettes et son dossard je peux très bien passer pour lui !
Je le regarde, essayant de l’imaginer en coureur cycliste.
— Arrange ça avec Jeannot, supplie-t-il. Je te parie qu’on tient la grosse finte à Jules !
— Voyons, objecté-je, tu ne vas pas te farcir Evian-Lausanne à vélo !
— Sur un vélo en Légérium ça ne doit pas être cassant, riposte Sa Majesté.
Le chronométreur, un petit gros, rond comme un cadran de montre, compte à rebours, en scandant les secondes.
— Cinq… quatre…
Béru est en selle. Les mains au bas du guidon, la gapette blanche bien enfoncée, les lunettes enveloppantes. Il a comprimé sa bedaine dans une ceinture de flanelle. Ses énormes jambons poilus jaillissent du maillot comme deux canalisations de gaz.
Il n’a pas trouvé de gants cyclistes à sa pointure et a mis des moufles de skieur.
— … Trois… deux…
Nous sommes dans une bagnole, à son côté, Pinaud et bibi. Un musculeux aux manches retroussées a une main à la selle du gros et une autre dans ses reins, tout prêt à le propulser sur la route, entre une double haie de badauds survoltés. Les caméras grésillent comme des élytres d’insectes. La voix d’un radioreporter annonce :