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J’ai tendu mes oreilles dans toutes les directions et j’ai écouté.

On aurait pu entendre voler une mouche. Inutile d’attendre, donc. A chaque seconde qui passait quelqu’un risquait d’intervenir. J’ai ouvert les yeux.

— Enfin réveillée, à ce que je vois. Bien.

— Patron ! Où suis-je ?

— Quel vieux cliché ! Ça n’est pas digne de vous, Vendredi. Allez ! Trouvez mieux.

J’ai regardé tout autour de moi. J’étais dans une chambre, peut-être une chambre d’hôpital. Pas de fenêtres. Un éclairage diffus. Un silence de tombe caractéristique que renforçait encore le souffle soyeux de la ventilation.

Mes yeux sont revenus sur le Patron. Ça me faisait plaisir de le voir. Toujours avec son vieux couvre-œil. Pourquoi n’avait-il jamais pris le temps de faire régénérer cet œil ? Il avait posé ses cannes contre une table, à portée de la main. Il portait comme d’habitude son complet de soie écrue trop large qui faisait penser à une espèce de pyjama mal taillé. Mais j’étais tellement heureuse qu’il soit là.

— Ça ne me donne pas la réponse. Je veux toujours savoir où je suis. Et comment j’y suis venue. Et pourquoi. Dans le sous-sol, c’est certain. Mais où, exactement ?

— Nous sommes sous terre, bien sûr, à quelques mètres de profondeur. Où exactement, vous le saurez quand ce sera nécessaire, ou du moins on vous dira comment aller à tel ou tel endroit. C’était le point faible de notre ferme. Un refuge agréable mais dont trop de gens connaissaient l’emplacement exact. Comment vous êtes parvenue ici, cela peut attendre. Quant à savoir pourquoi : la réponse est évidente. Maintenant, au rapport.

— Patron, vous êtes l’homme le plus odieux que j’aie jamais rencontré.

— Je me suis beaucoup entraîné. Au rapport.

— Et votre père a rencontré votre mère dans une porcherie et il n’a même pas baissé son pantalon.

— Ils se sont connus dans un pique-nique de l’école baptiste et ils croyaient tous les deux à la petite souris qui vous rapporte un sou quand on perd une dent. Allez, au rapport.

— Et vous avez les oreilles sales. Et le nez morveux. Le voyage jusqu’à Ell-Cinq s’est passé sans incident. J’ai trouvé Mr. Mortenson et je lui ai livré le contenu de mon nombril trafiqué. Mais un facteur inattendu est venu perturber la routine : une épidémie venait de frapper la cité spatiale. Une maladie des voies respiratoires dont l’étiologie était inconnue et que j’ai contractée. Mr. Mortenson a été très bon avec moi. Il m’a gardée chez lui et ses femmes m’ont soignée très efficacement et avec beaucoup de tendresse. Patron, j’aimerais qu’ils soient récompensés.

— C’est noté. Poursuivez.

— Je n’avais pas ma tête durant presque tout ce temps. C’est pour ça que j’ai pris une semaine de retard sur le plan. Dès que je me suis sentie en état de voyager, j’ai voulu repartir, et Mr. Mortenson m’a dit alors que j’avais déjà sur moi ce qu’il devait vous faire parvenir. Comment, Patron ? En se servant encore une fois de mon nombril ?

— Oui et non.

— Ça, pour une réponse…

— Oui, il s’est servi de votre petite poche artificielle.

— C’est bien ce que je pensais. Je sais qu’il ne devrait pas y avoir de terminaison nerveuse à cet endroit-là, mais je sens pourtant quelque chose – comme une pression, sans doute – quand elle est pleine.

J’ai appuyé sur mon ventre, tout près de mon nombril, en bandant mes muscles.

— Eh ! il n’y a plus rien. Elle est vide. C’est vous ?

— Non. Ce sont nos adversaires qui l’ont vidée.

— Alors, j’ai échoué ! Oh ! Mon Dieu, c’est affreux, Patron !

— Non, m’a fait le Patron d’une voix très douce, vous avez réussi. Et parfaitement, devant un danger immense et avec des obstacles importants.

— Vraiment ? (Vous avez déjà reçu la Victoria Cross ?) Patron, arrêtez de parler par allusions et montrez-moi un diagramme.

— Ça viendra.

Mais je devrais peut-être faire un diagramme moi-même auparavant. Juste derrière mon nombril, j’ai une poche d’opossum, un pur produit de la chirurgie plastique. Elle n’est pas très volumineuse, bien sûr, guère plus d’un centimètre cube, mais on peut y loger un sacré bout de microfilm. On ne peut pas la voir parce que la valve sphincter qui la ferme maintient la cicatrice du nombril contractée. Et mon nombril a l’air parfaitement normal. Des connaisseurs impartiaux me disent que j’ai un joli petit ventre et un nombril mignon, ce qui, par bien des côtés, vaut mieux qu’un joli visage.

Le sphincter est en élastomère silicone et il maintient le nombril fermé en permanence, même lorsque je suis inconsciente. Cela est nécessaire car, dans cette région, il n’existe pas de terminaisons nerveuses qui puissent commander la contraction ou le relâchement d’un muscle, comme c’est le cas pour le muscle anal, vaginal ou même – pour certaines personnes – la gorge. Pour remplir la poche, utilisez un peu de gelée K-Y ou autre lubrifiant non issu du pétrole et appuyez avec le pouce – attention à l’ongle, s’il vous plaît ! Pour la vider, je me sers de deux doigts pour ouvrir le sphincter artificiel autant que possible et je pousse très fort avec mes abdominaux. Et c’est expulsé.

Il y a bien longtemps qu’on dissimule des choses dans le corps humain. Les endroits les plus classiques sont la bouche, les issues nasales, l’estomac, le rectum, le vagin, l’orbite d’un œil perdu, le canal auditif, la vessie, plus d’autres méthodes particulièrement exotiques mais pas très pratiques qui nécessitent l’emploi de tatouages recouverts de poils.

Toutes ces techniques classiques sont connues de tous les agents des douanes et de tout fonctionnaire, sur la Terre, Luna, les villes de l’espace et sur n’importe lequel des mondes que l’homme a atteints.

Donc, laissez tomber. La seule méthode classique qui puisse encore abuser un pro, c’est le coup de la lettre volée[1]. Mais la lettre volée relève du grand art, c’est certain, et même lorsque le travail est parfait, il faut encore trouver un innocent incapable de tout révéler sous l’influence d’une drogue.

Jetez seulement un coup d’œil sur les mille nombrils que vous allez être amené à rencontrer. A présent que ma poche a été mise à jour, il est possible qu’un ou deux de ces nombrils comportent des cachettes comme la mienne. Bientôt, attendez-vous à en voir partout, et ensuite personne ne les utilisera plus parce que, dans ce domaine, tout ce qui est une innovation devient inutile dès que la recette est connue. Entre-temps, soyez-en certains, pas mal de douaniers vont planter sans vergogne leurs gros doigts dans d’innombrables nombrils.

Mais le nombril est un endroit particulièrement sensible et qui craint la chatouille, et j’espère qu’un bon nombre de fonctionnaires curieux se retrouveront avec un œil au beurre noir.

— Vendredi, le point faible de cette poche, c’est que n’importe quel interrogatoire bien mené…

— Ils n’étaient pas très forts.

— Ou alors, disons, une séance très poussée avec l’utilisation de drogues pouvait vous forcer à révéler son existence.

— Alors, c’est certainement après cette injection de sérum de vérité. Mais je ne me souviens pas d’en avoir parlé.

— C’est probable. Ou bien ils auront été mis au courant par d’autres canaux. Plusieurs personnes savaient cela : vous, moi, trois infirmières, deux chirurgiens, un anesthésiste, et peut-être d’autres encore… Trop de gens. Mais peu importe ce que savaient vos agresseurs. Ils ont enlevé ce que vous aviez sur vous. Mais ne prenez pas cet air sombre. Ils se sont retrouvés avec une liste très longue, sur microfilm, de tous les restaurants de l’ancienne ville de New York mentionnés dans un annuaire téléphonique de 1928. Je ne doute pas qu’il y ait quelque part un ordinateur qui travaille sur cette liste pour tenter de trouver le code qui y est caché. Cela devrait demander du temps vu qu’il n’y a aucun code là-dedans. Opération bourse vide. Si je puis dire.

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1

Dans la Lettre volée, célèbre nouvelle d’Edgar Poe, ladite lettre que l’on cherche partout est retrouvée bien en évidence dans le porte-cartes. (N.d.T.)