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J’avais avec moi Miriam pour me guider dans mes recherches.

Nous travaillions côte à côte dans une petite pièce. Sa fraîcheur, sa beauté, les reflets sombres de ses yeux, me donnaient des frissons. Je dus souvent résister à l’envie de lui toucher le bras, l’épaule, la joue. Mais j’étais trop timide. Je craignais qu’elle ne se moque de moi, qu’elle ne se fâche ou qu’elle ne me méprise, voire qu’elle ne développe une certaine aversion pour moi. C’était bien la peur d’un vieil homme craignant d’être rejeté qui inspirait une telle prudence. Mais je gardais aussi à l’esprit qu’elle était la sœur des deux prophètes passionnés et que le sang qui coulait dans ses veines devait être aussi bouillonnant que le leur. Je craignais, en réalité, de me brûler à son contact.

Le jour choisi par Moshé pour le grand départ avait été fixé au vingt-trois Tishri, au cours de la joyeuse fête de Simchat Torah en l’an 5730 de notre calendrier, à savoir l’an 2723 du calendrier romain. C’était par une magnifique journée d’automne : temps sec, ciel sans nuages, un soleil ardent comme à l’habitude. Pendant trois jours les préparatifs se déroulèrent sans répit autour du site de lancement qui avait été fermé au public hormis au petit cercle de scientifiques ; mais aujourd’hui, à l’aube, le village tout entier se précipita en camion, en voiture et certains même à pied pour assister à l’événement.

Les câbles et les structures métalliques avaient été retirés. Le vaisseau se dressait seul, quelque peu vulnérable, au milieu de l’étendue de sable, telle une aiguille étincelante, fine et fragile. La zone avait été délimitée par des cordons de sécurité ; nous devions observer de loin, afin que les puissantes flammes des propulseurs ne nous atteignent pas.

Un équipage composé de trois hommes et deux femmes avait été sélectionné : Judith, une des scientifiques ayant contribué au montage du vaisseau, Leonardo Di Filippo, l’ami de Miriam, Joseph et une femme nommée Sarah, que je n’avais jamais rencontrée auparavant. Le cinquième était évidemment Moshé. C’était son char, son aventure, son rêve. Il devait impérativement être aux commandes lorsque l’Exodus prendrait son premier envol vers les étoiles.

Ils émergèrent un par un du bâtiment qui servait de centre de contrôle pour le vol. Moshé sortit le dernier. Nous observions la scène dans le silence le plus complet, sans un murmure, osant à peine respirer. Les cinq membres portaient des tenues en satin blanc sur lesquelles la lumière du soleil venait se réfléchir et d’étranges casques en verre ressemblant à des masques de plongeur. Ils se dirigèrent vers le vaisseau, escaladèrent l’échelle, se retournèrent les uns après les autres pour nous saluer, et entrèrent. Moshé hésita un instant avant de monter à bord, comme pour prier ou peut-être souhaitait-il simplement savourer ce moment de plaisir.

L’attente fut interminable, insupportable. Peut-être vingt minutes, peut-être une heure. Il y avait sûrement des dernières vérifications à faire, ou un quelconque problème de dernière minute les avait retardés. Nous demeurions en attente dans le silence le plus complet. Telles des statues. Quelques instants plus tard, j’aperçus les regards inquiets d’Eléazar et Miriam se croiser et ils échangèrent quelques murmures. Puis, Éléazar se dirigea d’un pas pressé vers le bâtiment. Cinq minutes passèrent, puis on le vit ressortir, sourire aux lèvres, faisant un signe de la tête avant de venir se replacer aux côtés de Miriam. Mais toujours rien ne se produisait. L’attente continua.

Et brusquement ce fut un grondement de tonnerre, tels les rugissements d’une horde de taureaux, et une épaisse fumée noire surgit du bas de la fusée pour finir par envelopper la base, puis ce furent de magnifiques flammes rouges. L’Exodus s’éleva de quelques mètres. Il resta suspendu dans les airs comme par magie, puis s’éleva avec une rapidité surprenante vers la voûte bleutée du ciel. J’en restai bouche bée, lâchant un râle comme si j’avais reçu un coup au plexus et me mis à hurler. Des larmes de joie et d’excitation me coulèrent le long des joues. Autour de moi la foule criait, pleurait, agitait les mains, et la fusée, continua de s’élever en grondant, de plus en plus haut, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la distinguer dans la clarté du ciel.

Nous étions tous à crier joyeusement lorsqu’un éclat de lumière intense, tel un deuxième soleil plus puissant que le nôtre, vint illuminer le ciel au-dessus de nous dans un souffle formidable, nous obligeant à mettre un genou à terre de peur et de douleur, en hurlant, la tête dans les mains.

Lorsque j’eus enfin le courage de lever les yeux vers le ciel, le point de lumière vive avait disparu, laissant place à une effrayante trace de fumée noire traversant le ciel de part en part, pour mourir plus loin vers le nord. Je ne voyais plus la fusée. Je ne l’entendais plus.

« Elle a disparu ! » hurla quelqu’un.

« Moshé ! Moshé !

— Elle a explosé ! Je l’ai vue !

— Moshé !

— Judith… » fit une voix faible derrière mon dos.

J’étais trop assommé pour crier. Autour de moi ce n’étaient que des cris d’horreur et de désespoir qui s’élevaient de plus en plus fort, un faible gémissement qui se terminait dans les hurlements aigus de centaines de gorges. Ce fut alors l’hystérie générale et la panique. Les gens se précipitaient sans but comme pris de folie. Certains se roulaient par terre, d’autres frappaient le sol des mains. « Moshé ! criaient-ils. Moshé ! Moshé ! Moshé ! »

Je me tournai vers Eléazar. Il était livide, hagard. Je le vis pourtant reprendre son souffle, lever les bras et s’avancer pour attirer l’attention des autres. Aussitôt, tous les regards convergèrent vers lui. Il se dressa jusqu’à paraître plus grand de cinq cubits.

« Où est passé le vaisseau ? cria une voix. Où est Moshé ? »

Et Eléazar dit, d’une voix qui résonnait comme la trompette du Jugement dernier : « C’était le fils de Dieu, et Dieu l’a rappelé à lui. »

Des hurlements. Des cris stridents.

« Mort ! disaient les voix à l’unisson. Moshé est mort !

— Il vivra éternellement, gronda Eléazar.

— Le fils de Dieu ! firent les voix. Le fils de Dieu ! »

Je me rendis compte de la présence de Miriam à mes côtés, chaude, plaquée contre moi, son bras sous le mien, sa douce poitrine collée à moi, ses lèvres frôlant mon oreille. « Tu dois écrire le livre, murmura-t-elle, une terrible urgence dans la voix. « Son livre, il faut l’écrire. Pour que ce jour ne soit jamais oublié. Pour qu’il vive éternellement.

— Oui, m’entendis-je répondre. Oui. »

En cet instant de folie et de terreur, je me suis senti comme un arbre arraché et charrié au loin par le Nil en crue. La boule de feu de L’Exodus brûlait encore en moi comme un deuxième soleil et son intensité ne faiblirait jamais. Je sus dès lors que j’avais été englouti, conquis, que je resterais ici pour écrire et prêcher, forger au cœur de mon âme l’évangile du nouveau Moshé et transmettre sa parole au monde entier. De ces cinq victimes aujourd’hui viendrait une renaissance ; et nous apporterions aux peuples de la République le message qu’ils attendaient depuis si longtemps dans leur esprits vides et leur confusion et, en l’entendant, ils se libéreraient du joug de leurs maîtres ; et de la mort de l’Imperium naîtrait un nouvel ordre. Y avait-il d’autres mondes et pouvions-nous les atteindre ? Qui pouvait le dire ? Mais il y avait une nouvelle vérité à enseigner, celle du nouveau Moshé qui avait sacrifié sa vie pour que nous puissions atteindre les étoiles et nous n’allions pas laisser cette vérité disparaître. J’écrirai, et d’autres membres de mon peuple iraient propager la parole que j’aurais écrite pour les autres peuples, et ceux-là en seraient transformés.