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Cependant, Lucilla m’a réservé le meilleur pour la fin.

Son amie d’enfance, sa camarade de classe, sa parente privilégiée : la princesse Severina Floriana, sœur de l’empereur. Devant qui je suis aussitôt prêt à me jeter à ses pieds, car sa beauté est tout simplement renversante.

Ainsi que Lucilla me l’avait décrite, Severina Floriana est mate de peau, d’une sensualité torride et exotique. On ne trouve pas chez elle les traits caractéristiques de la famille – ses yeux sont d’un noir profond, elle a un nez retroussé, le menton d’une rondeur élégante – et je comprends aussitôt qu’elle n’est pas la sœur directe de l’empereur, qu’elle doit être la fille d’une maîtresse du père de Maxentius : les membres de la famille impériale ne peuvent avoir qu’une seule femme, comme nous tous, mais nous savons très bien qu’ils ont parfois tendance à échanger leurs femmes, quitte à la reprendre un peu plus tard, après tout qui y trouverait quelque chose à redire ? Si la mère de Severina lui ressemble un tant soit peu, je comprends que le défunt prince Florus ait été tenté de folâtrer avec elle.

J’ai réussi à maintenir une certaine contenance devant Junius Scaevola et Néron Romulus Claudius Palladius, mais je suis littéralement sans voix devant Severina Floriana. Lucilla et elle meublent la conversation pendant que je me tiens là, planté sans rien dire, tel un bœuf que Lucilla aurait emmené avec elle. Elles parlent de la haute société de Neapolis, d’Adriana, de Druso Tiberio et d’un tas d’autres gens dont les noms ne me disent rien. Elles parlent aussi de moi, mais en romain local et avec un débit effréné, tellement riche en expressions argotiques et avec une prononciation tellement étrange, que je ne comprends pratiquement rien de ce qui se dit. De temps à autre, Severina me lance un regard – pour me jauger peut-être, ou simplement par curiosité envers la dernière conquête en date de Lucilla, difficile à dire. J’essaye de lui faire comprendre par mon regard que j’aimerais faire plus ample connaissance avec elle, mais la situation est trop compliquée et je sais que ce serait téméraire de ma part – comment pourrais-je ne serait-ce qu’envisager une seule seconde une romance avec une princesse royale ? – et à quel point il serait imprudent de m’exposer à la fureur de Lucilla Scaevola en faisant des avances à sa meilleure amie devant elle !

Quoi qu’il en soit, je ne reçois aucune réponse de la part de Severina.

Lucilla finit par m’éloigner. Nous retournons dans l’autre salle. Je suis sous le choc.

« Elle te fascine, me dit Lucilla. Je me trompe ? »

Je bredouille une vague réponse.

« Oh, mais tu peux bien tomber amoureux d’elle, si tu le souhaites, dit-elle, d’un ton désinvolte. Je n’y vois aucun inconvénient, idiot que tu es ! Tout le monde tombe amoureux d’elle, de toute façon, alors pourquoi pas toi ? Elle est tout simplement sublime, je suis bien d’accord. Moi aussi j’aurais envie de partager mon lit avec elle, si ce genre de chose me plaisait davantage.

— Lucilla, je…

— Nous sommes à Rome, Cymbelin ! Arrête de te comporter comme un parfait nigaud !

— Mais je suis avec toi. Nous sommes venus ici ensemble. Et je suis fou de toi.

— Évidemment. Et maintenant tu vas être complètement obsédé par Severina Floriana pendant quelque temps. Cela n’a rien de surprenant. Bien que je ne pense pas que tu lui aies fait une grosse impression en restant là comme un empoté sans rien dire, même si elle ne demande pas systématiquement aux hommes d’avoir quelque chose entre les oreilles du moment qu’ils sont bien bâtis. Mais je pense qu’elle est intéressée. Tu auras peut-être ta chance pendant les Saturnales, je te le promets. » Puis elle me lance un regard d’une telle perversité joyeuse que je sens monter en moi une certaine ivresse en réalisant l’impudence de la chose.

Rome ! Rome ! Il n’y a aucun autre endroit semblable au monde.

Je vais le vœu silencieux qu’un jour je tiendrai Severina Floriana dans mes bras. Mais ce vœu ne sera jamais exaucé et aujourd’hui qu’elle n’est plus, je repense souvent à elle avec une immense tristesse, en revoyant sa beauté exotique et en m’imaginant la caresser comme j’imaginerais visiter le palais de la Reine de la Lune.

Lucilla me pousse légèrement vers le centre de la fête, puis je pars de mon côté, passant d’un groupe d’invités à un autre, en feignant une assurance et une sophistication que je n’ai certainement pas en ce moment.

Néron Romulus est dans un coin, discutant tranquillement avec Gaius Junius Scaevola. Ce sont les véritables monarques de Rome, ceux qui détiennent le véritable pouvoir impérial. Mais comment se le partagent-ils, je n’en ai pas la moindre idée.

Le consul, Bassanius, minaudant et paradant entre deux acteurs outrageusement maquillés. Qu’essaye-t-il de faire, rejouer les temps anciens de Néron et Caligula ?

Le gladiateur, Diodorus, tripotant trois ou quatre filles à la fois.

Un homme que je n’avais pas encore remarqué, dans les soixante ou soixante-dix ans, au visage taillé à la serpe et à la peau de la couleur d’une belle noix, discute près de la fontaine. Ses vêtements, ses bijoux, son port, ses yeux étincelants, tout en lui dégage une idée de solidité et de puissance. « Qui est-ce ? » demandé-je à un jeune homme. Il m’explique, avec une moue méprisante, visiblement étonné par mon ignorance, qu’il s’agit de Leontes Atticus, un nom qui ne me dit rien, ce qui m’oblige à poser une autre question ; mon interlocuteur m’apprend alors, avec encore plus de mépris dans la voix, que Leontes Atticus est tout simplement l’homme le plus riche de l’Empire. Ce Grec au regard féroce et à la peau parcheminée serait un armateur contrôlant plus de la moitié du commerce maritime avec Nova Roma : il engrange des pourcentages substantiels sur la plupart des marchandises qui nous parviennent de l’étrange et sauvage Nouveau Monde de l’autre côté de l’Océan.

Et c’est ainsi que se déroule la soirée, de nouveaux invités arrivent régulièrement, un rassemblement prestigieux de tous les grands de la capitale, tous réunis dans cette pièce, tous ceux qui sont soit puissants, soit fortunés, soit jeunes ou, si possible, les trois à la fois.

Un incendie couve dans cette salle ce soir-là. Il est prêt à s’étendre. Mais qui pouvait le prédire alors ? Certainement pas moi, en tout cas.

Lucilla passe une bonne heure à discuter avec le comte Néron Romulus, ce qui suscite en moi un certain malaise. Il y a un degré d’intimité entre eux lorsqu’ils parlent qui me fait comprendre certaines choses que je préfère ignorer. Je crains qu’il ne lui propose de passer la nuit avec lui après la fête. Mais je me trompe. Lucilla finit par me rejoindre et ne me quitte plus de toute la soirée.

Au dîner, le repas est un assortiment de délices qui me sont inconnues. Nous buvons des vins aux reflets extraordinaires et aux saveurs piquantes étonnantes. On danse, puis ce sont des spectacles de mimes, de jongleurs et de contorsionnistes ; certains parmi les invités les plus jeunes se déshabillent sans honte et piquent joyeusement une tête dans la piscine. Je vois des couples s’éclipser en direction du jardin et d’autres se livrer à des étreintes à la vue de tous.

« Viens, me dit finalement Lucilla. Tout cela commence à m’ennuyer. Rentrons, nous nous amuserons de manière plus intime, Cymbelin. »

L’aube est sur le point de se lever lorsque nous arrivons à ses appartements. Nous faisons l’amour jusqu’à midi avant de plonger dans un profond sommeil dont nous n’émergeons qu’en fin d’après-midi, tant et si bien qu’il fait déjà nuit à notre réveil.