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— Et pourquoi pas ? »

Elle évite mon regard. C’est le premier indice que je décèle sur ce qui va se produire.

Pendant la journée, tous les grands de Rome font leur arrivée à la villa impériale pour le festival des Saturnales de Flavius Rufus. À ce stade, je n’ai plus besoin que l’on me souffle leurs noms à l’oreille. Je reconnais Atticus, le magnat du commerce maritime, le comte Néron Romulus, Marco Tullio Garofalo, le président de la banque de l’Empire, Diodorus le Gladiateur, le consul Bassanius, et le corpulent et irritable prince Camillus, ainsi qu’une douzaine d’autres. Les attelages se rangent le long de la route en attendant de débarquer leurs importants passagers.

Le seul à manquer à l’appel est Gaius Junius Scaevola. Il est impensable qu’il n’ait pas été invité ; j’en conclus donc que mes intuitions concernant le renouvellement de sa nomination au poste de consul sont justes et qu’il est resté à Rome pour préparer son investiture. Je demande à Lucilla si c’est bien la raison pour laquelle son oncle n’est pas là, mais elle se contente de répondre : « Il est toujours très occupé pendant la saison des vacances. Il n’a pas pu se libérer. »

Il va être renommé consul ! J’en suis convaincu.

Mais je me trompe. Le lendemain de notre arrivée, je jette un œil sur les journaux du matin, les noms des consuls de l’année à venir y sont inscrits. Sa Majesté Impériale a le plaisir de nommer Publius Lucius Gallienus et Gaius Acacius Aufidius comme consuls du Royaume. Leur investiture aura lieu le premier Januarius à midi, sur les marches du Capitole, si le temps le permet.

Ce n’est donc pas Scaevola. Ce doit donc être une autre affaire importante qui l’a empêché de quitter Rome en cette fin d’année.

Qui sont donc ces consuls, Gallienus et Aufidius ? Pour chacun d’eux ce sera sa première investiture au poste gouvernemental le plus élevé après celui d’empereur.

« Des amis d’enfance de Maxentius, m’apprend quelqu’un, avec une grimace hautaine. Des camarades de classe. »

Un autre ajoute. « Non seulement nous n’avons plus d’empereur digne de ce nom, mais nous n’aurons bientôt même plus de consuls dignes de ce nom. Seulement un groupe de gamins paresseux prétendant diriger le gouvernement. »

J’y vois là une forme de trahison – surtout lorsque l’on considère que la villa dans laquelle nous nous trouvons est un palais impérial et que nous sommes tous les invités du frère de l’empereur. Mais ces patriciens, ainsi que j’ai pu le remarquer, sont très prompts à critiquer la famille impériale, même quand ils profitent de son hospitalité.

Qui est plus que généreuse. Nous avons droit à des banquets et des représentations théâtrales tous les soirs, et pendant la journée nous sommes invités à profiter des nombreuses installations de la villa, les piscines chauffées, les bains, les bibliothèques, les pavillons de jeu, les chemins équestres. Je flotte au milieu de tout cela comme dans un rêve avec l’impression de me retrouver dans un conte de fées, ce qui est finalement le cas.

Le troisième soir, au cours de la fête, je trouve enfin le courage de faire une approche discrète de Severina Floriana. Lucilla m’avait dit qu’elle avait l’intention de se reposer le lendemain, certaines des activités les plus importantes de la semaine étant encore à venir. J’invite donc Severina Floriana à faire une promenade à cheval le lendemain matin après le petit déjeuner. Une fois seuls dans quelque coin perdu de la propriété, j’oserai peut-être lui proposer une rencontre moins innocente. Peut-être. Après tout, ne suis-je pas en train d’envisager de badiner avec la propre sœur de l’empereur ? Ce qui en soi est tellement extraordinaire que je me demande bien comment j’ose entreprendre une telle aventure.

Elle paraît amusée et, me semble-t-il, tentée par ma proposition.

Mais elle m’apprend qu’elle ne sera pas là le lendemain. Un problème de dernière minute à régler, rien d’important, m’assure-t-elle, mais qui requiert tout de même sa présence à Rome le lendemain.

« Mais vous avez l’intention de revenir, n’est-ce pas ? lui demandé-je, anxieusement.

— Oui, bien sûr. Je ne serai absente qu’un ou deux jours tout au plus. Je serai là le soir de la grande fête finale, vous pouvez en être sûr ! » Elle me lance furtivement un petit regard espiègle, comme pour me promettre quelque délice particulier pour se faire pardonner son refus d’aujourd’hui. Elle pose sa main sur la mienne l’espace d’un instant. Une étincelle passe entre nous. C’est tout ce à quoi je devais avoir droit ; mais je ne l’ai jamais oublié.

Le lendemain, Lucilla reste dans notre suite, me laissant libre de me promener seul dans la propriété. Je traîne dans les bains, je nage, je visite les galeries de tableaux et de sculptures, je fais un tour dans le pavillon des jeux pour y perdre quelques solidis en jouant aux cartes avec quelques petits aristocrates indolents.

Je remarque une chose étrange ce jour-là. Je ne rencontre aucune des personnes que j’avais croisées lors des fêtes du mont Palatin à Rome. Le comte Néron Romulus, Leontes Atticus, le prince Flavius Rufus, le prince Camillus, Bassanius, Diodorus… aucun d’eux ne semble être ici. Il n’y a aujourd’hui que des étrangers.

Et sans la présence de Lucilla à mes côtés tandis que je me promène parmi ces inconnus, je me sens encore plus un étranger qu’à l’habitude : comme je ne porte aucune insigne indiquant que je suis l’invité de la nièce de Junius Scaevola, je suis devenu un simple étranger à peine civilisé ayant réussi à se faufiler dans la villa, tentant vainement de se faire passer pour un Romain de pure souche. Je les imagine se moquant de moi derrière mon dos, de mes vêtements, imitant mon accent britannique.

Lucilla ne m’apporte guère de réconfort lorsque je la retrouve dans notre chambre. Elle paraît distante, effacée, morose. Elle se contente de me poser quelques questions banales sur ma journée, puis retombe dans une espèce de léthargie mélancolique.

« Tu ne te sens pas bien, dis-je.

— Ce n’est rien, Cymbelin.

— Aurais-je fait quelque chose pour te déplaire ?

— Non, du tout. C’est passager. Ce sont ces sombres journées d’hiver… »

Mais il ne faisait pas sombre aujourd’hui. Frais, peut-être, mais il a fait un temps magnifique toute la journée, un ciel de décembre radieux à en faire pleurer mon pauvre cœur britannique. Ce n’est pas non plus la mauvaise période du mois pour elle ; je suis donc perplexe devant son attitude distante. Je réalise toutefois que je n’obtiendrai pas plus de réponse en la questionnant davantage sur le sujet. Il ne me reste qu’à prendre mon mal en patience jusqu’à ce que son humeur change.

Ce soir-là, à la fête, elle n’est guère plus enthousiaste. Elle flotte telle une apparition, accueillant avec indifférence des gens qu’elle ne semble pas plus connaître que moi.

« Je me demande quand même où ils sont tous passés, dis-je. Severina m’a dit qu’elle devait rentrer à Rome aujourd’hui pour régler un problème. Mais où se trouvent le prince Camillus ? Le comte Néron Romulus ? Sont-ils rentrés à Rome eux aussi ? Et le prince Flavius Rufus – il n’est apparemment même pas présent à sa propre fête. »

Lucilla hausse les épaules. « Oh, ils doivent bien être quelque part dans les environs. Tu veux bien me raccompagner à notre chambre, Cymbelin, je ne suis pas vraiment d’humeur à faire la fête ce soir. Tu es un ange. Je suis désolée de te gâcher la soirée.