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La nuit venue, tous les nouveaux dirigeants de Rome se réunirent au Capitole et annoncèrent la naissance de la Deuxième République. Gaius Junius Scaevola devait assurer le rôle de nouveau Premier Consul à vie – ou, si l’on préfère, d’empereur, mais sous une autre appellation – et devait gouverner cette nouvelle et vaste entité qui ne s’appellerait plus « Empire », grâce à l’appui d’un Conseil du sénat, ce qui revenait à dire son petit cercle d’amis puissants, Atticus, Garofalco, le comte Néron Romulus, le général Cassius Frontinus, ainsi qu’une demi-douzaine d’autres membres appartenant au même cercle.

Ainsi, mille neuf cents ans plus tard, l’œuvre d’Augustus César avait finalement été réduite à néant.

Augustus lui-même avait toujours prétendu que Rome n’avait jamais cessé d’être une république, même après avoir réuni tous les postes clés du pouvoir en une seule entité et en se l’appropriant, devenant ainsi un monarque absolu ; et cette ambiguïté avait perduré à travers les siècles. Je ne suis pas un roi, avait déclaré Augustus ; je ne suis que le Premier Citoyen du royaume, qui s’évertue, sous les conseils du sénat, à servir les intérêts du peuple romain. Et il en fut ainsi pendant toutes ces années, ce qui n’empêchait pas de nombreux Premiers Citoyens de nommer leurs propres fils comme successeurs, ou un autre membre ou ami de la famille, même si, officiellement, c’était le sénat qui avait le pouvoir de nommer l’empereur. Désormais les choses allaient changer. Personne ne pourrait plus réclamer le pouvoir suprême pour la simple raison qu’il était le fils ou le neveu de quelqu’un ayant jadis occupé ce poste. Il n’y aurait plus d’empereur fou comme Caligula, plus d’abominable Néron, plus de brute à la Caracalla, plus de Demetrius dément, plus de faible et maniéré Maxentius. Nos dirigeants seraient désormais de vrais Premiers Citoyens – un consul, comme aux temps anciens, avant Augustus – et l’apparat de la monarchie serait enfin abandonné.

Tout cela en une seule journée de sang et de feu. Pendant que je me prélassais à Tibur, dans la villa des empereurs, inconscient de ce qui était en train de se passer.

Le lendemain de la révolution, au petit matin, la nouvelle des événements de Rome nous parvient. Il s’avère que ce jour-là, j’ai dormi un peu plus tard que d’habitude, ayant bu jusqu’à plus soif la veille pour me consoler de l’absence de Lucilla ; la villa est pratiquement déserte lorsque j’émerge de ma chambre.

Ce qui en soi est plutôt curieux et déconcertant. Où sont-ils tous passés ? Je croise un serviteur qui m’apprend la nouvelle. Rome est en flammes, dit-il, l’empereur et toute sa famille sont morts.

« Toute sa famille ? Même ses frères et sœurs ?

— Même ses frères et sœurs. Tous morts.

— La princesse Severina aussi ? »

Le serviteur me lance un regard dénué de sympathie. Il est calme, il pourrait aussi bien me parler du temps qu’il fait ou des courses de chars de la semaine prochaine. Par cette douce journée d’automne, il est aussi froid qu’un brouillard hivernal.

« Tous autant qu’ils sont, c’est ce qu’on m’a dit. Jusqu’au dernier, et je dis : bon débarras. Scaevola est le nouvel empereur. Les choses vont être très différentes à partir de maintenant, vous pouvez en être sûr. »

Tout cela me donne le tournis. Je dois m’éloigner pour prendre sept ou huit profondes inspirations avant de recouvrer mes sens. En une nuit un monde est mort, un autre est né.

Je me lave, m’habille et déjeune en vitesse, puis je réussis à trouver un char pour me ramener à Rome. Même au milieu de toute cette agitation et de cette folie, une bourse de pièces d’or vous permet d’avoir tout ce que vous voulez. Je n’ai pas de chauffeur, je devrai donc trouver la route par mes propres moyens, mais qu’importe. Aussi fou que puisse paraître un retour sur la capitale en ce jour de chaos, Rome m’attire comme un aimant. Lucilla doit être en sécurité si son oncle s’est emparé du trône ; mais je dois m’informer sur le sort de Severina Floriana.

À une heure de Rome, j’aperçois déjà des flammes à l’horizon. Des bourrasques de vent venant de l’ouest charrient des relents de fumée : ils semblent véhiculer une fine poussière de cendres, où est-ce là le fruit de mon imagination ? Non. Je tends la main et une fine poussière noire couvre aussitôt mon avant-bras.

C’est une pure folie que de vouloir aller dans la capitale maintenant.

Ne devrais-je pas plutôt faire demi-tour, rejoindre la côte et prendre le premier bateau pour la Britannie tant qu’il en est encore temps ? Non. Non. Je dois aller là-bas, qu’importent les risques. Si Scaevola est empereur, Lucilla me protégera. Je décide de continuer jusqu’à Rome.

L’endroit ressemble à un asile de fous. Le ciel est en feu. Sur les collines des quartiers riches, d’anciens palais brûlent ; leurs murs de marbre en flammes s’écroulent comme une montagne qui s’effondre. La statue colossale de quelque empereur de l’Antiquité est dispersée sur le sol. Des gens courent affolés à travers les rues de la ville, en hurlant, en pleurant. Des pelotons de soldats, les yeux exorbités, se faufilent dans la foule en hurlant à tue-tête des ordres incohérents pour tenter de rétablir la paix sans savoir eux-mêmes à qui ils sont censés obéir. J’aperçois du coin de l’œil un ruisseau écarlate dans le caniveau et, l’espace d’un terrible instant, je le prends pour du sang ; mais non, non, ce n’est que du vin provenant d’une boutique pillée, des hommes se précipitent au sol pour le boire à même les pavés.

J’abandonne mon char – il y a trop d’agitation dans les rues pour avancer –, je poursuis donc à pied. Le centre de la ville est suffisamment compact. Mais où aller ? Je me pose la question. Au mont Palatin ? Non, là-bas tout est en flammes. Le Capitole ? Je me dis que Scaevola y sera et – idée absurde en cet instant – qu’il pourra peut-être me dire où se trouve Lucilla et ce qu’il est advenu de Severina Floriana.

Bien entendu, impossible de m’approcher du Capitole. Tout le quartier gouvernemental est cerné par les soldats. Des affiches sont placardées sur les murs ; je m’arrête pour en lire une, c’est là que je prends conscience du changement radical qui s’est opéré cette nuit : l’Empire n’est plus, la République de jadis a été restaurée. Scaevola règne désormais, non comme empereur mais comme Premier Consul.

Je reste figé, bouche bée, hagard, dans la rue qui longe le Forum et je manque de me faire renverser par un char en pleine course. Je lâche un juron en direction du chauffeur ; c’est là qu’à ma grande surprise le char s’arrête et qu’un visage rougeaud familier se penche vers moi.

« Cymbelin ! Grands dieux, est-ce bien vous ? Montez, mon garçon ! Il ne faut pas rester là ! »

C’est mon solide et joyeux hôte de Neapolis, l’ami de mon père, Marcellus Domitianus Frontinus. Quelle malchance pour lui de se retrouver à Rome à un moment pareil ! Mais comme d’habitude, je me trompe, et Marcellus Domitianus s’empresse de m’affranchir.

Il fait partie du complot depuis le début – lui et son frère le général, ainsi que Junius Scaevola et le comte Néron Romulus en sont en fait les instigateurs. Ils ont senti qu’il était devenu nécessaire de détruire l’Empire pour le sauver. L’empereur actuel était un imbécile, le précédent était resté sur le trône trop longtemps, l’idée même d’une monarchie quasi héréditaire s’était avérée au fil des siècles un véritable désastre, et il était désormais temps de s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. L’agitation grondait de nouveau dans les provinces et l’on reparlait de sécession. Ayant récemment remporté une deuxième guerre de réunification, le général Cassius Frontinus n’avait aucune envie de se lancer dans une troisième guerre, il avait ainsi réussi à convaincre, sans trop de difficulté, son frère et Scaevola que les Césars devaient disparaître. Afin de s’assurer qu’ils ne puissent revenir un jour revendiquer le trône.