Выбрать главу

Il agit dans toutes les occasions en ami chaud et sincère de la paix. Il mérita cette louange qui ne lui a jamais été donnée d’être le premier homme marquant de la République française qui mît des limites à son agrandissement et cherchât franchement à redonner la tranquillité au monde. Ce fut une faute sans doute, mais elle partait d’un cœur trop confiant et trop tendre aux intérêts de l’humanité et telle a été la cause de ses plus grandes fautes. La postérité qui apercevra cette vérité dans tout son jour, ne voudra pas croire, pour l’honneur de l’espèce humaine, que l’envie des contemporains ait pu transformer ce grand homme en monstre d’inhumanité[10].

La nouvelle république française ne pouvait vivre qu’en s’environnant de républiques. L’indulgence que le général Bonaparte montra au pape lorsque, Rome étant entièrement en son pouvoir, il se contenta du traité de Tolentino et du sacrifice de cent tableaux et de quelques statues, lui fit beaucoup d’ennemis à Paris. Il fut obligé d’exécuter, neuf ans plus tard et avec beaucoup de danger, ce qu’il pouvait faire alors avec six mille nommes. Le duc de Lodi (Melzi), vice-président de la république italienne, homme intègre et qui aima vraiment la liberté, disait que Napoléon conclut la paix de Campo-Formio en opposition directe avec les ordres secrets du Directoire. Il était chimérique de croire à aucune paix solide entre la nouvelle république et les vieilles aristocraties de l’Europe[11].

Chapitre V

Bonaparte et Venise

Vaut-il la peine de rapporter les objections des gens qui se croient délicats et qui ne sont que faibles? Ils disent que le ton avec lequel le général Bonaparte offrit la liberté aux Italiens, était celui de Mahomet prêchant l’Alcoran le sabre à la main. Les convertis étaient loués, protégés, comblés d’avantages; les infidèles livrés sans pitié au pillage, aux exécutions militaires, à tous les fléaux de la guerre. C’est lui reprocher d’avoir employé de la poudre pour faire partir ses canons. On lui objecte la destruction de Venise. Mais fut-ce donc une république qu’il détruisit? C’était un gouvernement inique et avilissant, une aristocratie à chef faible, comme les autres gouvernements de l’Europe sont des aristocraties à chef fort. Ce peuple aimable a été choqué dans ses habitudes; mais la génération suivante eût été mille fois plus heureuse sous le royaume d’Italie. Il est assez probable que la cession des États de Venise à la maison d’Autriche était un article secret des préliminaires de Leoben, et que les causes qui furent alléguées dans la suite, pour faire la guerre à la République, ne furent que des prétextes[12]. Le général français entra en négociation avec des mécontents, afin de pouvoir occuper la ville sans coup férir. À ses yeux, il était utile à la France d’avoir la paix avec l’Autriche. Il était maître de Venise, puisqu’il la prit. Il n’était pas chargé de faire le bonheur de Venise. La patrie avant tout. Dans tout cela il n’y a qu’un reproche à faire au général Bonaparte: il ne voyait pas les choses aussi haut que le Directoire[13].

Chapitre VI

Bonaparte et le Directoire

On reproche à Napoléon d’avoir corrompu pendant sa campagne d’Italie, non pas la discipline, mais le caractère moral de son armée. Il encouragea parmi ses généraux le pillage le plus scandaleux[14]. Oubliant le désintéressement des armées républicaines, ils furent bientôt aussi rapaces que les commissaires de la Convention. Mme Bonaparte faisait de fréquents voyages à Gênes, et mit, dit-on, en sûreté cinq ou six millions. En cela, Bonaparte fut criminel envers la France. Quant à l’Italie, des pillages cent fois plus révoltants encore n’auraient pas été un prix excessif pour l’immense bienfait de la renaissance de toutes les vertus. C’est un argument des aristocrates que celui des crimes qu’entraîne une révolution. Ils oublient les crimes qui se commettaient en silence avant la Révolution.

L’armée d’Italie donna le premier exemple de soldats se mêlant du gouvernement. Jusque-là, les armées de la République s’étaient contentées de vaincre ses ennemis. On sait qu’en 1797, il se forma, dans le conseil des Cinq-Cents, un parti opposé au Directoire[15]. Les projets des meneurs pouvaient être innocents, mais certainement leur conduite les exposait au soupçon. Quelques-uns étaient royalistes, on ne peut en douter; la plupart peut-être n’avaient d’autre intention que de mettre un terme au gouvernement arbitraire et à la scandaleuse corruption du Directoire. La marche qu’ils adoptèrent, fut de retirer les impôts au gouvernement et de soumettre ses dépenses à une enquête rigide. Le Directoire, de son côté, profitant des effets de ce plan d’attaque, répandit dans les armées que toutes les privations qu’elles éprouvaient, étaient l’effet de la trahison du Corps Législatif qui cherchait à détruire les défenseurs de la Patrie pour pouvoir ensuite rappeler librement les Bourbons. Le général en chef de l’armée d’Italie encouragea publiquement ces bruits dans une proclamation à ses troupes. Cette armée osa envoyer des adresses au gouvernement. Elle se permettait des reproches, aussi peu mesurés qu’inconstitutionnels, contre la majorité du Corps Législatif. Le dessein secret de Bonaparte était de suivre ces adresses et de marcher sur Paris avec une partie de son armée sous prétexte de défendre le Directoire et la République, mais, dans le fait, pour s’arroger une part principale dans le gouvernement. Ses projets furent renversés par la révolution du 18 fructidor, qui eut lieu plus tôt et plus facilement qu’il ne le croyait (4 septembre 1797, 18 fructidor an V). Cette journée qui détruisit complètement le parti opposé au Directoire, lui ôta tout prétexte de passer les Alpes. Il continua à parler des Directeurs avec le dernier mépris. L’incurie, la corruption et les fautes grossières de ce gouvernement faisaient le texte habituel de ses conversations. Il les terminait ordinairement en faisant remarquer aux généraux qui l’entouraient, que, si un homme parvenait à concilier la nouvelle manière d’être de la France à l’intérieur avec le gouvernement militaire, il pourrait facilement faire jouer à la République le rôle de l’ancienne Rome.

Chapitre VII

Idées politiques de Bonaparte

Quoique Napoléon ait dit à l’île d’Elbe qu’il continua à être bon républicain jusqu’à son expédition d’Égypte, quelques anecdotes racontées par le comte de Merveldt prouvent qu’à l’époque dont nous parlons, son républicanisme était déjà fort chancelant. Merveldt fut un des négociateurs autrichiens à Leoben et plus tard à Campo-Formio. Comme son premier intérêt était de faire tomber la République, il laissa entrevoir que le général Bonaparte était en position de se mettre à la tête de la France ou de l’Italie. Le général ne répondit pas, mais ne sembla pas du tout révolté; il parla même de la tentative de gouverner la France par des corps représentatifs et des institutions républicaines, comme d’une simple expérience. Encouragé par ces dispositions, Merveldt hasarda, avec l’approbation de sa cour, de lui proposer une principauté en Allemagne. Le général répondit qu’il était flatté de cette offre, qui ne pouvait provenir que de l’opinion distinguée qu’on voulait bien avoir de ses talents et de son importance, mais qu’il serait peu raisonnable à lui de l’accepter. Un pareil établissement devait tomber à la première guerre de l’Autriche contre la France. Si l’Autriche avait un fardeau inutile, et, si la France triomphait, elle proscrirait un citoyen perfide qui aurait accepté le secours de l’étranger. Il ajouta avec franchise, que son but était d’obtenir une place dans le gouvernement de sa patrie, et que, si jamais il pouvait mettre le pied à l’étrier, il ne doutait pas d’aller loin.

вернуться

[10]

Voir tous les livres anglais, même les plus estimés de 1800 à 1810, et, ce qui est encore moins généreux, les Considérations de Mme de Staël, composées après les massacres de Nîmes.

вернуться

[11]

Stendhal avait d’abord écrit: «les vieilles dynasties de l’Europe». Puis il changea dynasties par aristocraties en ajoutant en note: «dynasties, plus vrai et moins clair». N.D.L.É.

вернуться

[12]

Beaucoup de furent.

вернуться

[13]

Pour voir Napoléon en Italie sous un vrai jour, il faut monter son âme par un volume de Tite Live. On se purifie ainsi de toutes les petites idées modernes et fausses.

вернуться

[14]

La fortune de Masséna, d’Augereau, de… etc., etc., etc. Un chef de bataillon passe à Bologne, allant faire une expédition dans l’Apennin; il n’avait pas même de cheval; il repasse quinze jours après, il avait dix-sept charrettes chargées lui appartenant et trois voitures avec deux maîtresses. Les trois quarts des sommes pillées furent mangées dans le pays.

вернуться

[15]

Mémoires de Carnot.