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Chapitre LXXVII

Servilité des ministres

Toute la conduite des ministres fut de cette force. Les agents du pouvoir qu’ils osèrent destituer furent remplacés par des gens faibles ou déshonorés. On s’aperçut bientôt et avec étonnemnent que chaque jour la cause des Bourbons perdait des partisans. Les ministres firent tant de folies, qu’ils persuadèrent au peuple, qu’au fond du cœur, le roi était le plus grand ennemi de la charte. Ces ministres avaient devant les yeux la cour de Louis XVI et le sort de Turgot. Pensant toujours que l’autorité royale allait se réveiller et saurait récompenser ceux qui l’auraient devinée en sachant la respecter durant les mauvais jours, ces malheureux ne songeaient qu’à lutter de servilité pour avancer en grade.

Chapitre LXXVIII

La charte

Quoiqu’en aient dit Montesquieu et beaucoup d’autres, il n’y a que deux sortes de gouvernements: les gouvernements nationaux et les gouvernements spéciaux.

À la première classe appartiennent tous les gouvernements où l’on tient pour principe que tous les droits et tous les pouvoirs appartiennent toujours au corps entier de la nation, résident en lui, sont émanés de lui et n’existent que par lui et pour lui.

Nous appelons gouvernements spéciaux tous ceux, quels qu’ils soient, où l’on reconnaît d’autres sources légitimes de droits et de pouvoirs que la volonté générale: tels que l’autorité divine, la naissance, un pacte social exprès ou tacite où les partis stipulent comme puissances étrangères l’une à l’autre[193].

Quoique vicieuse par le fond, quoique n’étant pas même un contrat entre le peuple et un homme, comme la constitution d’Angleterre en 1688, notre charte eût satisfait tout le monde. Le peuple français est trop enfant pour y regarder de si près. D’ailleurs cette charte est passable, et, si jamais elle est exécutée, la France sera très heureuse, plus heureuse que l’Angleterre. Il est impossible dans ce siècle de faire une mauvaise charte; il n’est aucun de nous qui en demi-heure n’en écrive une excellente. Ce qui eût été le dernier effort du génie du temps de Montesquieu, aujourd’hui est un lieu commun. Enfin toute charte exécutée est une bonne charte[194].

Il suffisait pour mettre le trône du plus sage et du meilleur des princes à l’abri des tempêtes, que le peuple crût qu’on voulait sincèrement la charte. Mais c’est ce dont les prêtres et les nobles firent tout au monde pour le dissuader.

Cent mille prêtres et cent cinquante mille nobles furieux n’étaient surveillés, comme tout le reste de la nation, que par huit imbéciles qui ne pensaient qu’au cordon bleu. Les nobles voulaient et veulent leurs biens. Quoi de plus simple que de leur rendre l’équivalent en rentes sur l’État? Par là ces gens, qui n’ont point d’opinion et n’ont que des intérêts, étaient attachés au crédit public et à la charte comme à un mal nécessaire.

Les ministres qui n’écrivaient pas une ligne, qui ne donnaient pas un dîner, sans violer l’esprit de la charte, accumulèrent bientôt les violations matérielles. Mme la maréchale Ney ne revenait jamais de la cour sans avoir les larmes aux yeux[195]

Chapitre LXXIX

Violations de la charte

1. L’article 260 du Code pénal maintenu par la charte défend, sous peine de prison et d’amende, de forcer les Français à célébrer les fêtes ou dimanches et à discontinuer leur travail. Une ordonnance de police ordonna précisément le contraire et en termes ridicules. Elle prescrivait à tous les Français de quelque religion qu’ils fussent, de tendre le devant de leurs maisons dans toutes les rues où devaient passer les processions du Saint-Sacrement.

On ne manqua pas de faire de ces processions qui furent la risée de tous les partis. Tant que la religion catholique n’aura pas de bonnes places à donner, elle sera ridicule en France. Personne n’y croit plus depuis longtemps. La religion est à jamais perdue en France depuis que l’abbé Maury a voulu la faire servir de bouclier aux privilèges des nobles.

2. Le 10 de juin, six jours après la charte qui promettait la liberté de la presse (article 8), parut l’ordonnance du ministre de l’intérieur qui rétablissait la censure. Ce qu’il y eut de plus ridicule, c’est qu’on fit de cette ordonnance une loi. De longtemps en France, l’avenir ne sera rien pour le gouvernement.

3. Le 15 juin et le 15 de juillet, deux ordonnances sur le recrutement de la garde royale violèrent, au détriment de l’armée, l’article 12 de la charte.

4. Le 21 juin et le 6 de juillet, on, établit un Conseil d’État, qui, au mépris de l’article 63, fut érigé en tribunal extraordinaire.

5. Le 27 juin, l’article 15, le plus important de tous, celui qui déclare que le pouvoir législatif réside dans le roi, les pairs et les députés, fut violé pour une bagatelle, par une ordonnance qui annulait un impôt établi par la loi du 22 ventôse an 12[196].

6. Le 16 décembre, on mit à la demi-solde les officiers non employés; cela était en opposition directe avec l’article 69. Cette mesure pouvait être nécessaire, mais il fallait faire une loi, la faire pour un an, la faire en tremblant, la demander à genoux. De ce moment, l’armée fut perdue pour les Bourbons. En France, sur dix hommes que l’on rencontre, huit ont fait la guerre dans un temps ou dans un autre et les deux autres mettent leur vanité à partager les sentiments de l’armée. À cette époque, des anecdotes fâcheuses commencèrent à circuler. Un duc royal demande à un officier quelles campagnes il a faites. — «Toutes.» — «Avec quel grade?» — «Comme aide de camp de l’empereur.» On lui tourne le dos. À la même question, un autre répond qu’il a servi vingt-cinq ans. — «Vingt-cinq ans de brigandages.» La garde déplaît dans une manœuvre; on dit à ces vieux soldats, illustrés par tant de victoires, qu’il faut qu’ils aillent en Angleterre apprendre à manœuvrer des gardes du roi d’Angleterre.

Des soldats suisses sont appelés à Paris, tandis qu’on met des soldats français à la demi-solde. Six cents nobles, pour lesquels les Parisiens trouvèrent le nom, devenu si célèbre, de voltigeurs de Louis XIV, et pareil nombre d’enfants, sortis à peine du collège, sont recouverts d’habits ridicules inventés par le cardinal de Richelieu, et gardent la personne du roi qui semble se défier de sa garde. Dès qu’on a un corps privilégié à Paris, on doit s’attendre à des insolences et il faut savoir les empêcher comme Napoléon. Les scènes du café Montansier irritèrent vivement la vanité nationale.

La vieille garde impériale, ce corps si brave et si facile à gagner, est outrageusement exilée de la capitale. Le maréchal Soult, ministre de la guerre, veut la rappeler; un contre-ordre, mille fois plus outrageant que la première mesure, l’arrête à moitié chemin. Les Chouans, ces gens liés avec l’étranger, sont dans la plus haute faveur[197].

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[193]

Commentaires sur l’Esprit des Lois, p. 13, 14, Liège, 1817.

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[194]

Idée de B[enjamin] Constant.

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[195]

Interrogatoire du maréchal Ney.

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[196]

Hobhouse, I, p. 63.

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[197]

Hobhouse, I, p. 88.