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On voit encore mieux le combat du génie du grand homme contre le cœur du tyran dans son règne des Cent Jours. Il appelle Benjamin Constant et Sismondi; il les écoute avec plaisir en apparence, mais bientôt il revient avec passion aux lâches conseils de Regnault de Saint-Jean d’Angély et du duc de Bassano. Et de tels hommes montrent combien la tyrannie l’avait déjà corrompu. Du temps de Marengo il les eût repoussés avec mépris.

Ce sont ces deux hommes qui l’ont perdu plus que Waterloo. Qu’on ne dise pas que les conseils lui ont manqué. J’ai vu à Lyon un de ses officiers lui conseiller par écrit d’abolir du même coup la nouvelle noblesse et l’ancienne. C’est Regnault, je crois, qui lui conseilla d’intituler sa nouvelle constitution Acte additionnel. En une matinée, il perdit le cœur de dix millions de Français et des seuls dix millions qui se battent et qui pensent. Dès lors ceux qui l’entouraient virent sa perte inévitable. Comment vaincre onze cent mille soldats qui marchaient sur la France? Il lui fallait un escamotage politique avec la Maison d’Autriche et à mesure qu’il s’éloignait des gens à talents, les alliés les appelaient dans leurs conseils.

Ses justifications qui partent de Sainte-Hélène veulent bien l’excuser sur l’extrême médiocrité des gens de sa famille. Les talents ne manquent jamais et naissent en foule dès qu’ils sont demandés. D’abord il éloigna Lucien; il ne tira pas un assez grand parti de Soult, de Lezay Marnezia, de Levoyer d’Argenson, de Thibaudeau, du comte de Lapparent, de Jean de Bry et de mille autres qui se seraient présentés. Qui devinait au temps de l’empereur les talents du comte Decazes? Le malheur de sa famille est donc une pauvre excuse; il n’eut pas de gens à talent parce qu’il n’en voulut pas. La seule présence de Regnault suffisait pour décourager tout ce qu’il y avait de bon.

Il est heureux pour tous ces gens-là d’avoir eu de tels successeurs[224].

Chapitre LXXXVII

Conclusion

Nous avons représenté Napoléon avec les traits qui nous semblent résulter des récits les plus fidèles; nous-même nous avons habité sa cour plusieurs années.

C’est un homme doué de talents extraordinaires et d’une dangereuse ambition, l’être le plus admirable par ses talents qui ait paru depuis César, sur lequel il nous semble l’emporter. Il est plutôt fait pour supporter l’adversité avec fermeté et majesté que pour soutenir la prospérité sans s’en laisser enivrer. Emporté jusqu’à la fureur quand on contrarie ses passions, mais plus susceptible d’amitié que de haine durable, entaché de quelques-uns des vices indispensables à un conquérant, mais non pas plus prodigue de sang ni plus indifférent envers l’humanité que les César, les Alexandre, les Frédéric, gens auprès desquels on le placera et dont la gloire va tomber tous les jours. Napoléon a été engagé dans plusieurs guerres qui ont fait répandre des flots de sang, mais dans aucune, si l’on excepte la guerre d’Espagne, il ne fut l’agresseur. Il a été sur le point de faire du continent de l’Europe une vaste monarchie. Ce projet, s’il a existé, est sa seule excuse pour n’avoir pas révolutionné les États qu’il conquit et n’en avoir pas fait des appuis de la France pu les jetant dans la même route morale. La postérité dira que ce fut en repoussant les attaques de ses voisins qu’il étendit son empire. «Les circonstances, en me suscitant des guerres, dit-il, m’ont fourni des moyens d’agrandir mon empire et je ne les ai pas négligés.» Sa grandeur d’âme dans l’infortune et sa résignation ont été égalées par quelques-uns, surpassées par personne. M. Warden rend souvent témoignage à ces vertus, et nous pouvons ajouter qu’elles sont sans ostentation aucune. Sa manière d’être à Sainte-Hélène est pleine de naturel. C’est peut-être la chose dans les temps modernes qui rappelle le plus les héros de Plutarque. Un de ceux qui le visitèrent à l’île d’Elbe, lui montrant sa surprise du calme admirable avec lequel il supportait le changement de sa fortune: «C’est que tout le monde, répliqua-t-il, en a été, je crois, plus étonné que moi. Je n’ai pas une trop bonne opinion des hommes et je me suis toujours méfié de la fortune; d’ailleurs, j’ai peu joui; mes frères ont été beaucoup plus rois que moi. Ils ont eu les jouissances de la royauté, je n’en ai presque eu que les fatigues.»

FIN
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[224]

Raisonnable, mais style froid et dur.