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– Je crois, dit Anne d’Autriche en fixant son regard, qui, dédaigneux chez une femme, devenait terrible chez une reine, je crois que vous menacez la mère de votre roi.

– Madame, dit d’Artagnan, je menace parce qu’on m’y

force. Je me grandis parce qu’il faut que je me place à la hauteur des événements et des personnes. Mais croyez bien une chose, Madame, aussi vrai qu’il y a un cœur qui bat pour vous dans cette poitrine, croyez bien que vous avez été l’idole constante de notre vie, que nous avons, vous le savez bien, mon Dieu, risquée vingt fois pour Votre Majesté. Voyons, Madame, est-ce que Votre Majesté n’aura pas pitié de ses serviteurs, qui ont depuis vingt ans végété dans l’ombre, sans laisser échapper dans un seul soupir les secrets saints et solennels qu’ils avaient eu le bonheur de partager avec vous ? Regardez-moi, moi qui vous parle, Madame, moi que vous accusez d’élever la voix et de prendre un ton menaçant. Que suis-je ? un pauvre officier sans

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fortune, sans abri, sans avenir, si le regard de ma reine, que j’ai si longtemps cherché, ne se fixe pas un moment sur moi. Regardez M. le comte de La Fère, un type de noblesse, une fleur de la chevalerie ; il a pris parti contre sa reine, ou plutôt, non pas, il a pris parti contre son ministre, et celui-là n’a pas d’exigences, que je crois. Voyez enfin M. du Vallon, cette âme fidèle, ce bras d’acier, il attend depuis vingt ans de votre bouche un mot qui le fasse par le blason ce qu’il est par le sentiment et par la valeur.

Voyez enfin votre peuple, qui est bien quelque chose pour une reine, votre peuple qui vous aime et qui cependant souffre, que vous aimez et qui cependant a faim, qui ne demande pas mieux que de vous bénir et qui cependant vous… Non, j’ai tort ; jamais votre peuple ne vous maudira, Madame. Eh bien ! dites un mot, et tout est fini, et la paix succède à la guerre, la joie aux larmes, le bonheur aux calamités.

Anne d’Autriche regarda avec un certain étonnement le visage martial de d’Artagnan, sur lequel on pouvait lire une expression singulière d’attendrissement.

– Que n’avez-vous dit tout cela avant d’agir ! dit-elle.

– Parce que, Madame, il s’agissait de prouver à Votre Majesté une chose dont elle doutait, ce me semble : c’est que nous avons encore quelque valeur, et qu’il est juste qu’on fasse quelque cas de nous.

– Et cette valeur ne reculerait devant rien, à ce que je vois ?

dit Anne d’Autriche.

– Elle n’a reculé devant rien dans le passé, dit d’Artagnan ; pourquoi donc ferait-elle moins dans l’avenir ?

– Et cette valeur, en cas de refus, et par conséquent en cas de lutte, irait jusqu’à m’enlever moi-même au milieu de ma cour

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pour me livrer à la Fronde, comme vous voulez livrer mon ministre ?

– Nous n’y avons jamais songé, Madame, dit d’Artagnan

avec cette forfanterie gasconne qui n’était chez lui que de la naï-

veté ; mais si nous l’avions résolu entre nous quatre, nous le ferions bien certainement.

– Je devais le savoir, murmura Anne d’Autriche, ce sont des hommes de fer.

– Hélas ! Madame, dit d’Artagnan, cela me prouve que c’est seulement d’aujourd’hui que Votre Majesté a une juste idée de nous.

– Bien, dit Anne, mais cette idée, si je l’ai enfin…

– Votre Majesté nous rendra justice. Nous rendant justice, elle ne nous traitera plus comme des hommes vulgaires. Elle verra en moi un ambassadeur digne des hauts intérêts qu’il est chargé de discuter avec vous.

– Où est le traité ?

– Le voici.

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XCVI. Comme quoi avec une plume et une

menace on fait plus vite et mieux qu’avec

l’épée et du dévouement (Suite)

Anne d’Autriche jeta les yeux, sur le traité que lui présentait d’Artagnan.

– Je n’y vois, dit-elle, que des conditions générales. Les in-térêts de M. de Conti, de M. de Beaufort, de M. de Bouillon, de M. d’Elbeuf et de M. le coadjuteur y sont établis. Mais les vô-

tres ?

– Nous nous rendons justice, Madame, tout en nous pla-

çant à notre hauteur. Nous avons pensé que nos noms n’étaient pas dignes de figurer près de ces grands noms.

– Mais vous, vous n’avez pas renoncé, je présume, à

m’exposer vos prétentions de vive voix ?

– Je crois que vous êtes une grande et puissante reine, Madame, et qu’il serait indigne de votre grandeur et de votre puissance de ne pas récompenser dignement les bras qui ramèneront Son Éminence à Saint-Germain.

– C’est mon intention, dit la reine ; voyons, parlez.

– Celui qui a traité l’affaire (pardon si je commence par moi, mais il faut bien que je m’accorde l’importance, non pas que j’ai prise, mais qu’on m’a donnée), celui qui a traité l’affaire du rachat de M. le cardinal doit être, ce me semble, pour que la récompense ne soit pas au-dessous de Votre Majesté, celui-là

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doit être fait chef des gardes, quelque chose comme capitaine des mousquetaires.

– C’est la place de M. de Tréville que vous me demandez là !

– La place est vacante, Madame, et depuis un an que

M. de Tréville l’a quittée, il n’a point été remplacé.

– Mais c’est une des premières charges militaires de la maison du roi !

– M. de Tréville était un simple cadet de Gascogne comme moi, Madame, et il a occupé cette charge vingt ans.

– Vous avez réponse à tout, monsieur, dit Anne d’Autriche.

Et elle prit sur un bureau un brevet qu’elle remplit et signa.

– Certes, Madame, dit d’Artagnan en prenant le brevet et en s’inclinant, voilà une belle et noble récompense ; mais les choses de ce monde sont pleines d’instabilité, et un homme qui tomberait dans la disgrâce de Votre Majesté perdrait cette charge demain.

– Que voulez-vous donc alors ? dit la reine, rougissant d’être pénétrée par cet esprit aussi subtil que le sien.

– Cent mille livres pour ce pauvre capitaine des mousquetaires, payables le jour où ses services n’agréeront plus à Votre Majesté.

Anne hésita.

– Et dire que les Parisiens, reprit d’Artagnan, offraient l’autre jour, par arrêt du parlement, six cent mille livres à qui

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leur livrerait le cardinal mort ou vivant ; vivant pour le pendre, mort pour le traîner à la voirie !

– Allons, dit Anne d’Autriche, c’est raisonnable, puisque vous ne demandez à une reine que le sixième de ce que proposait le parlement.

Et elle signa une promesse de cent mille livres.

– Après ? dit-elle.

– Madame, mon ami du Vallon est riche, et n’a par consé-

quent rien à désirer comme fortune ; mais je crois me rappeler qu’il a été question entre lui et M. de Mazarin d’ériger sa terre en baronnie. C’est même, autant que je puis me le rappeler, une chose promise.

– Un croquant ! dit Anne d’Autriche. On en rira.

– Soit, dit d’Artagnan. Mais je suis sûr d’une chose, c’est que ceux qui en riront devant lui ne riront pas deux fois.

– Va pour la baronnie, dit Anne d’Autriche, et elle signa.

– Maintenant, reste le chevalier ou l’abbé d’Herblay,

comme Votre Majesté voudra.

– Il veut être évêque ?

– Non pas, Madame, il désire une chose plus facile.

– Laquelle ?