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monstration pour éclater, tous les sentiments d’hostilité qu’elle

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renfermait éclatèrent à la fois. Les cris : « À bas le Mazarin ! À

mort le cardinal ! » retentirent de tous côtés.

En même temps, par les rues de Grenelle-Saint-Honoré et du Coq, un double flot se rua qui rompit la faible haie des gardes suisses, et s’en vint tourbillonner jusqu’aux jambes des chevaux de d’Artagnan et de Porthos.

Cette nouvelle irruption était plus dangereuse que les autres, car elle se composait de gens armés, et mieux armés même que ne le sont les hommes du peuple en pareil cas. On voyait que ce dernier mouvement n’était par l’effet du hasard qui aurait réuni un certain nombre de mécontents sur le même point, mais la combinaison d’un esprit hostile qui avait organisé une attaque.

Ces deux masses étaient conduites chacune par un chef, l’un qui semblait appartenir, non pas au peuple, mais même à l’honorable corporation des mendiants ; l’autre que, malgré son affectation à imiter les airs du peuple, il était facile de reconnaî-

tre pour un gentilhomme.

Tous deux agissaient évidemment poussés par une même

impulsion.

Il y eut une vive secousse qui retentit jusque dans la voiture royale ; puis des milliers de cris, formant une vraie clameur, se firent entendre, entrecoupés de deux ou trois coups de feu.

– À moi les mousquetaires ! s’écria d’Artagnan.

L’escorte se sépara en deux files ; l’une passa à droite du carrosse, l’autre à gauche ; l’une vint au secours de d’Artagnan, l’autre de Porthos.

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Alors une mêlée s’engagea, d’autant plus terrible qu’elle n’avait pas de but, d’autant plus funeste qu’on ne savait ni pourquoi ni pour qui on se battait.

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XCVIII. Où il est prouvé qu’il est quelquefois

plus difficile aux rois de rentrer dans la

capitale de leur royaume que d’en sortir

(Suite)

Comme tous les mouvements de la populace, le choc de

cette foule fut terrible ; les mousquetaires, peu nombreux, mal alignés, ne pouvant, au milieu de cette multitude, faire circuler leurs chevaux, commencèrent par être entamés.

D’Artagnan avait voulu faire baisser les mantelets de la voiture, mais le jeune roi avait étendu le bras en disant :

– Non, monsieur d’Artagnan, je veux voir.

– Si Votre Majesté veut voir, dit d’Artagnan, eh bien, qu’elle regarde !

Et se retournant avec cette furie qui le rendait si terrible, d’Artagnan bondit vers le chef des émeutiers, qui, un pistolet d’une main, une large épée de l’autre, essayait de se frayer un passage jusqu’à la portière, en luttant avec deux mousquetaires.

– Place, mordioux ! cria d’Artagnan, place !

À cette voix, l’homme au pistolet et à la large épée leva la tête ; mais il était déjà trop tard : le coup de d’Artagnan était porté ; la rapière lui avait traversé la poitrine.

– Ah ! ventre-saint-gris ! cria d’Artagnan, essayant trop tard de retenir le coup, que diable veniez-vous faire ici, comte ?

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– Accomplir ma destinée, dit Rochefort en tombant sur un genou. Je me suis déjà relevé de trois de vos coups d’épée ; mais je ne me relèverai pas du quatrième.

– Comte, dit d’Artagnan avec une certaine émotion, j’ai frappé sans savoir que ce fût vous. Je serais fâché, si vous mou-riez, que vous mourussiez avec des sentiments de haine contre moi. Rochefort tendit la main à d’Artagnan. D’Artagnan la lui prit. Le comte voulut parler, mais une gorgée de sang étouffa sa parole, il se raidit dans une dernière convulsion et expira.

– Arrière, canaille ! cria d’Artagnan. Votre chef est mort, et vous n’avez plus rien à faire ici.

En effet, comme si le comte de Rochefort eût été l’âme de l’attaque qui se portait de ce côté du carrosse du roi, toute la foule qui l’avait suivi et qui lui obéissait prit la fuite en le voyant tomber. D’Artagnan poussa une charge avec une vingtaine de mousquetaires dans la rue du Coq et cette partie de l’émeute disparut comme une fumée, en s’éparpillant sur la place de Saint-Germain-l’Auxerrois et en se dirigeant vers les quais.

D’Artagnan revint pour porter secours à Porthos, si Porthos en avait besoin ; mais Porthos, de son côté, avait fait son œuvre avec la même conscience que d’Artagnan. La gauche du carrosse était non moins bien déblayée que la droite, et l’on relevait le mantelet de la portière que Mazarin, moins belliqueux que le roi, avait pris la précaution de faire baisser.

Porthos avait l’air fort mélancolique.

– Quelle diable de mine faites-vous donc là, Porthos ? et quel singulier air vous avez pour un victorieux !

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– Mais vous-même, dit Porthos, vous me semblez tout

ému !

– Il y a de quoi, mordioux ! je viens de tuer un ancien ami.

– Vraiment ! dit Porthos. Qui donc ?

– Ce pauvre comte de Rochefort !…

– Eh bien ! c’est comme moi, je viens de tuer un homme dont la figure ne m’est pas inconnue ; malheureusement je l’ai frappé à la tête, et en un instant il a eu le visage plein de sang.

– Et il n’a rien dit en tombant ?

– Si fait, il a dit… Ouf !

– Je comprends, dit d’Artagnan ne pouvant s’empêcher de rire, que, s’il n’a pas dit autre chose, cela n’a pas dû vous éclairer beaucoup.

– Eh bien, monsieur ? demanda la reine.

– Madame, dit d’Artagnan, la route est parfaitement libre, et Votre Majesté peut continuer son chemin.

En effet, tout le cortège arriva sans autre accident dans l’église Notre-Dame, sous le portail de laquelle tout le clergé, le coadjuteur en tête, attendait le roi, la reine et le ministre, pour la bienheureuse rentrée desquels on allait chanter le Te Deum.

Pendant le service et vers le moment où il tirait à sa fin, un gamin tout effaré entra dans l’église, courut à la sacristie, s’habilla rapidement en enfant de chœur, et fendant, grâce au respectable uniforme dont il venait de se couvrir, la foule qui

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encombrait le temple, il s’approcha de Bazin, qui, revêtu de sa robe bleue et sa baleine garnie d’argent à la main, se tenait gravement placé en face du Suisse à l’entrée du chœur.

Bazin sentit qu’on le tirait par sa manche. Il abaissa vers la terre ses yeux béatement levés vers le ciel, et reconnut Friquet.

– Eh bien ! drôle, qu’y a-t-il, que vous osez me déranger dans l’exercice de mes fonctions ? demanda le bedeau.

– Il y a, monsieur Bazin, dit Friquet, que M. Maillard, vous savez bien, le donneur d’eau bénite à Saint-Eustache…

– Oui, après ?…

– Eh bien ! il a reçu dans la bagarre un coup d’épée sur la tête ; c’est ce grand géant qui est là, vous voyez, brodé sur toutes les coutures, qui le lui a donné.

– Oui ? en ce cas, dit Bazin, il doit être bien malade.

– Si malade qu’il se meurt, et qu’il voudrait, avant de mourir, se confesser à M. le coadjuteur, qui a pouvoir, à ce qu’on dit, de remettre les gros péchés.

– Et il se figure que M. le coadjuteur se dérangera pour lui ?

– Oui, certainement, car il paraît que M. le coadjuteur le lui a promis.

– Et qui t’a dit cela ?

– M. Maillard lui-même.

– Tu l’as donc vu ?