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– Certainement, j’étais là quand il est tombé.

– Et que faisais-tu là ?

– Tiens ! je criais : « À bas Mazarin ! à mort le cardinal ! à la potence l’italien ! » N’est-ce pas cela que vous m’aviez dit de crier ?

– Veux-tu te taire, petit drôle ! dit Bazin en regardant avec inquiétude autour de lui.

– De sorte qu’il m’a dit, ce pauvre M. Maillard : « Va chercher M. le coadjuteur, Friquet, et si tu me l’amènes, je te fais mon héritier. » Dites donc, père Bazin, l’héritier de M. Maillard, le donneur d’eau bénite à Saint-Eustache ! hein ! je n’ai plus qu’à me croiser les bras ! C’est égal, je voudrais bien lui rendre ce service-là, qu’en dites-vous ?

– Je vais prévenir M. le coadjuteur, dit Bazin.

En effet, il s’approcha respectueusement et lentement du prélat, lui dit à l’oreille quelques mots, auxquels celui-ci répondit par un signe affirmatif, et revenant du même pas qu’il était allé :

– Va dire au moribond qu’il prenne patience, Monseigneur sera chez lui dans une heure.

– Bon, dit Friquet, voilà ma fortune faite.

– À propos, dit Bazin, où s’est-il fait porter ?

– À la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.

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Et, enchanté du succès de son ambassade, Friquet, sans quitter son costume d’enfant de chœur, qui d’ailleurs lui donnait une plus grande facilité de parcours, sortit de la basilique et prit, avec toute la rapidité dont il était capable, la route de la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.

En effet, aussitôt le Te Deum achevé, le coadjuteur, comme il l’avait promis, et sans même quitter ses habits sacerdotaux, s’achemina à son tour vers la vieille tour qu’il connaissait si bien.

Il arrivait à temps. Quoique plus bas de moment en mo-

ment, le blessé n’était pas encore mort.

On lui ouvrit la porte de la pièce où agonisait le mendiant.

Un instant après Friquet sortit en tenant à la main un gros sac de cuir qu’il ouvrit aussitôt qu’il fut hors de la chambre, et qu’à son grand étonnement il trouva plein d’or.

Le mendiant lui avait tenu parole et l’avait fait son héritier.

– Ah ! mère Nanette, s’écria Friquet suffoqué, ah ! mère Nanette !

Il n’en put dire davantage ; mais la force qui lui manquait pour parler lui resta pour agir. Il prit vers la rue une course dé-

sespérée, et, comme le Grec de Marathon tombant sur la place d’Athènes son laurier à la main, Friquet arriva sur le seuil du conseiller Broussel, et tomba en arrivant, éparpillant sur le parquet les louis qui dégorgeaient de son sac.

La mère Nanette commença par ramasser les louis, et ensuite ramassa Friquet.

Pendant ce temps, le cortège rentrait au Palais-Royal.

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– C’est un bien vaillant homme, ma mère, que ce

M. d’Artagnan, dit le jeune roi.

– Oui, mon fils, et qui a rendu de bien grands services à votre père. Ménagez-le donc pour l’avenir.

– Monsieur le capitaine, dit en descendant de voiture le jeune roi à d’Artagnan, Madame la reine me charge de vous inviter à dîner pour aujourd’hui, vous et votre ami le baron du Vallon.

C’était un grand honneur pour d’Artagnan et pour Porthos ; aussi Porthos était-il transporté. Cependant, pendant toute la durée du repas, le digne gentilhomme parut tout préoccupé.

– Mais qu’aviez-vous donc, baron ? lui dit d’Artagnan en descendant l’escalier du Palais-Royal ; vous aviez l’air tout soucieux pendant le dîner.

– Je cherchais, dit Porthos, à me rappeler où j’ai vu ce mendiant que je dois avoir tué.

– Et vous ne pouvez en venir à bout ?

– Non.

– Eh bien ! cherchez, mon ami, cherchez ; quand vous

l’aurez trouvé, vous me le direz, n’est-ce pas ?

– Pardieu ! fit Porthos.

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Conclusion

En rentrant chez eux, les deux amis trouvèrent une lettre d’Athos qui leur donnait rendez-vous au Grand-Charlemagne pour le lendemain matin.

Tous deux se couchèrent de bonne heure, mais ni l’un ni l’autre ne dormit. On n’arrive pas ainsi au but de tous ses désirs sans que ce but atteint n’ait l’influence de chasser le sommeil, au moins pendant la première nuit.

Le lendemain, à l’heure indiquée, tous deux se rendirent chez Athos. Ils trouvèrent le comte et Aramis en habits de voyage.

– Tiens ! dit Porthos, nous partons donc tous ? Moi aussi j’ai fait mes apprêts ce matin.

– Oh ! mon Dieu, oui, dit Aramis, il n’y a plus rien à faire à Paris du moment où il n’y a plus de Fronde.

Madame de Longueville m’a invité à aller passer quelques jours en Normandie, et m’a chargé, tandis qu’on baptiserait son fils, d’aller lui faire préparer ses logements à Rouen. Je vais m’acquitter de cette commission ; puis, s’il n’y a rien de nouveau, je retournerai m’ensevelir dans mon couvent de Noisy-le-Sec.

– Et moi, dit Athos, je retourne à Bragelonne. Vous le savez, mon cher d’Artagnan, je ne suis plus qu’un bon et brave campagnard. Raoul n’a d’autre fortune que ma fortune, pauvre

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enfant ! et il faut que je veille sur elle, puisque je ne suis en quelque sorte qu’un prête-nom.

– Et Raoul, qu’en faites-vous ?

– Je vous le laisse, mon ami. On va faire la guerre en Flandre, vous l’emmènerez ; j’ai peur que le séjour de Blois ne soit dangereux à sa jeune tête. Emmenez-le et apprenez-lui à être brave et loyal comme vous.

– Et moi, dit d’Artagnan, je ne vous aurai plus, Athos, mais au moins je l’aurai, cette chère tête blonde ; et, quoique ce ne soit qu’un enfant, comme votre âme tout entière revit en lui, cher Athos, je croirai toujours que vous êtes là près de moi, m’accompagnant et me soutenant.

Les quatre amis s’embrassèrent les larmes aux yeux.

Puis ils se séparèrent sans savoir s’ils se reverraient jamais.

D’Artagnan revint rue Tiquetonne avec Porthos, toujours préoccupé et toujours cherchant quel était cet homme qu’il avait tué. En arrivant devant l’hôtel de La Chevrette, on trouva les équipages du baron prêts et Mousqueton en selle.

– Tenez, d’Artagnan, dit Porthos, quittez l’épée et venez avec moi à Pierrefonds, à Bracieux ou au Vallon ; nous vieilli-rons ensemble en parlant de nos compagnons.

– Non pas ! dit d’Artagnan. Peste ! on va ouvrir la campagne, et je veux en être ; j’espère bien y gagner quelque chose !

– Et qu’espérez-vous donc devenir ?

– Maréchal de France, pardieu !

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– Ah ! ah ! fit Porthos en regardant d’Artagnan, aux gasconnades duquel il n’avait jamais pu se faire entièrement.

– Venez avec moi, Porthos, dit d’Artagnan, je vous ferai duc.

– Non, dit Porthos, Mouston ne veut plus faire la guerre.

D’ailleurs on m’a ménagé une entrée solennelle chez moi, qui va faire crever de pitié tous mes voisins.

– À ceci, je n’ai rien à répondre, dit d’Artagnan qui

connaissait la vanité du nouveau baron. Au revoir donc, mon ami.

– Au revoir, cher capitaine, dit Porthos. Vous savez que lorsque vous me voudrez venir voir, vous serez toujours le bienvenu dans ma baronnie.

– Oui, dit d’Artagnan, au retour de la campagne j’irai.

– Les équipages de M. le baron attendent, dit Mousqueton.