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— Ouais ?

— Bravo, ça vient ! le complimenté-je.

— Oh, toi, y' a que le turbin qui t'intéresse, reproche le Déjeté. Ma santé, tu t'en balances éperdument ! Y en a qui feraient un geste, qui vous offriraient une petite boutanche d'huile de foie de morue pour vous requinquer, mais tézigue, c'est malgache bonne eau ! Travail, famine, patrie, comme c't' ordure de Date ! Ah, putasse, le jour que j'ai empreinté ce laissez-passer, j'eusse mieux fait de me plonger les paluches dans un bénitier plein d'acide sulfurique !

Ses jérémiades irritent prodigieusement notre hôte, homme d'action avant tout.

— C'est une pleureuse, votre collaborateur ! déclare sèchement don Enhespez. Vous espérez sérieusement qu'il peut entreprendre une mission aussi périlleuse ? Vous savez, mon vieux, que les Chinetoques de la base ne sont pas des plaisantins.

Son mépris met l'ex-Gravos en rogne.

— Ah ! vous, le cous-bois, je vous interdis de vous mêler de mes oignes, sinon je vais engraisser les lois de l'hospice-alité. Vos Chinois, j'en ai rien à branler et c'est pas encore z'eux qui me flanqueront la jaunisse !

— Ils sont terribles, soupira don Enhespez. Depuis qu'ils ont sournoisement investi ce pays, tout a changé. Il y a dans l'air je ne sais quelle angoisse explosive. Les Rondubraziens n'osent plus parler, chacun se croyant espionné par les autres. Notre gouvernement a peur. Il sait que, sous couvert d'accords industriels, il a introduit le loup dans la bergerie. Ces gens s'implantent, noyautent, contaminent. Si ça continue, d'ici deux ans le Rondubraz sera colonisé proprement. Et les Américains laissent faire ! On dirait qu'ils sont là d'assumer leur rôle à présent et qu'eux-mêmes sont touchés par le courant jaune. Un jour, il les entraînera…

Ayant dit, don Enhespez se sert une coupe de Dom Pérignon.

Interjection, l'accorte servante métisse de don Enhespez, pénètre dans la pièce et vient chuchoter quelque chose dans l'étagère à crayon de notre hôte.

— Ah bien, fait ce dernier.

Et de nous annoncer :

— Le maquilleur est ici, mon bon Krackzek. Interjection va vous conduire à la salle de bains où cet homme s'occupera de votre grimage.

Béru sort sans trop rechigner, fasciné par le valseur de la servante.

— Vous paraissez bien soucieux ? me demande Enhespez, en allumant un long cigare noir aussi odorant qu'un poste de police an moment où messieurs les poulagas se déchaussent pour s'oxygéner les durillons.

Soucieux ! Admettez qu'il y a de quoi ! Nous voici au seuil de la grande aventure. Déjà la batterie attaque son roulement précédant le sent de la mort. Béru usurpant l'identité d'un Tchèque sans parler une broque de sa pseudo-langue maternelle (ce qui fait de lui en quelque short, un Tchèque sans provisions), va se présenter dans le nid de guêpes bardé de clôtures électrifiées. Ce, en compagnie d'une innocente petite fille. A eux deux, ils vont risquer une partie sans précédent : ruiner tout le bénéfice de cette exploitation chinoise minutieusement réalisée. Et pendant que l'étrange couple tentera cette périlleuse mission, Alfred le merlan rend son âme pommadée à Dieu, en France cependant qu'on demeure sans la moindre nouvelle de la Baleine de ces messieurs ! Le plus pire, comme dit Béru, c'est que votre vaillant, votre fougueux, votre téméraire San-Antonio doit en l'occurrence se contenter d'un rôle aussi subal que terne, que dis-je, un rôle ! Un emploi de régisseur. Il a juste le droit de frapper les trois coups et de faire les rideaux. Tout ça parce qu'un jour, un Béru plein de beaujolpif a cru bon de jouer les Bayard en apposant l'empreinte de ses francforts sur un document à pièce unique. Chaque fois que j'évoque son filoutage, je me dis, que c'est bien fait pour ses pinceaux, tout ce qui arrive…

Je m'arrache à ma songerie pour prendre en considération la remarque Enhespez.

— Je le suis, cher monsieur, je le suis. Il m'est insupportable d'envoyer la petite fille dans cette galère.

L'ancien bagnard vide sa coupe.

— Je comprends ce que vous éprouvez, mais je ne suis pas de votre avis, commissaire.

— Vraiment ?

— Je pense que cette gosse constituera un bouclier. Elle donne une garantie d'authenticité au personnage de votre gars. Généralement, un type chargé d'une pareille mission ne prend pas ses auxiliaires à la maternelle ! Malgré leur méfiance, les jaunes n'y verront que du bleu.

Je salue la fine boutade d'un sourire. Peut-être a-t-il raison. Pourtant, je contre-objecte :

— D'accord pour l'entrée en matière, mais songez à la conclusion. Le coup perpétré, en admettant qu'il réussisse, il va falloir les récupérer…

— Votre plan a prévu cette phase de l'opération, riposte philosophiquement le maître de San Kriégar, pourquoi ne s'accomplirait-il pas de bout en bout ?

— Tout de même, dis-je sourdement (bien que je jouisse parfaitement de mes facultés auditives). S'il arrivait quoi que ce soit à cette petite, je ne le supporterais pas.

Un instant plus tard, Bérurier revient. Est-ce bien Béru, cet homme minée, au regard sombre, aux sourcils touffus, à la moustache en paquet de tabac ? Une balafre sillonne sa joue droite, une tache de vin marque son cou. Il a le cheveu plus fourni et châtain clair. Bref, il est devenu Krackzek, le gus intercepté par nos services.

— Et commak, Mec ? se marre le Diminué, est-ce que je conserve tout mon sexe à pile ?

— Il est décuplé, le rassuré-je. S'il y a des Chinoises dans le camp, elles vont instituer le numéro d'appel pour obtenir tes faveurs.

— Maintenant, tranche don Enhespez, passons dans mon bureau afin que nous fassions le point avant le déclenchement de l'opération.

Son burlingue est une vaste pièce aux murs revêtus de bambou. Une photographie en couleurs du maréchal de Gaulle trône en bonne place. Ce n'est pas par erreur que je parle du maréchal de Gaulle. Don Enhespez voue au président-directeur général une telle admiration, qu'il a remplacé sur la photo les deux chétives étoiles du boss par une superbe constellation. Je suppose que cette profonde vénération résulte du grand âge de notre hôte et du fait qu'il vit à quelque huit mille kilomètres de l'amère Patrie. Mais passons.

— Mettez-vous dans le fauteuil, commissaire, dit-il, vous présiderez.

Les bonshommes, y peuvent pas se départir de leurs grésidenceries. C'est toujours embusqué dans leurs faits et gestes, cette notion hiérarchique de la sonnette et de la carafe de flotte : Du discours surtout ! De l'emphase. Les hommes, ils ont moins besoin de présider que d'être présidés. Avoir quelqu'un à applaudir, à jalouser, à critiquer, à élire et à supporter. Pouvoir lancer au creux d'une phrase, mine de rien : « Comme me disait l'autre jour le président Dugenou… » Vous le constatez une fois de plus :. à partir de trois gus, faut une présidence. Un qui la séancétouverte à tout va. Un qui jedonnelaparole. Un qui ordredujoure. Un qui mesdamesmessieuse. Président des petits ramoneurs du Haut Var, des Blanchisseurs d'Abidjan, des Cocus du Seizième, des constipés de France, des endeuillés du slip, des collectionneurs de véroles, des raies publiques, de la chambre des pères, de la chambre des pairs et de la chambre des paires (de choses).

— Je n'en ferai rien, me récusé-je. J'assurerai si vous le permettez la vice-présidence tandis que Bérurier s'occupera du secrétariat général.

Don Enhespez sourcille, mais ne riposte pas.

— Je propose de procéder à une analyse complète de la conjoncture, déclare-t-il. Commissaire, nous vous écoutons.

Bravo, me v'là rapporteur. Je décide de me détendre un peu le mental en m'offrant une petite parodie de conseil of administration.

— Messieurs, déclaré-je, examinons préalablement les faits. Jusqu'à ces dernières années, le Rondubraz était considéré comme étant une petite nation plutôt déshéritée du continent sud-américain..Mais, voici cinq ans, deux ingénieurs français : M. Clovis Racheinbaum et Jules Kliktomops découvrirent un important gisement de sulfocradingue dans la région de Santa-Maria Kestuféla.