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— Et ton oncle ? m’enroué-je, redoutant un nouveau désastre.

— Je l’ai mis sous clef pour éviter qu’il déconne !

— Il s’est laissé faire ? s’étonne Pinuche.

— Si vous croireriez que j’y ai demandé son avis, glousse l’impertinente.

Elle glisse deux doigts dans la petite poche ventrale du bloudjine et en extrait une clé plate.

— Tenez, chef, me dit-elle, mission terminée !

— Mon Dieu, bêle Zébut, mais c’est la clé du sauna !

— Tu l’as bouclé dans le sauna ? m’effaré-je.

— Ben, je l’ai enfermé là où qu’il se trouvait !

Misère ! Ça fait plus de quatre plombes que nous sommes partis !

— Elle l’a tué ! s’enroue le vieux Crabe. Elle l’a tué ! Quatre heures dans une atmosphère à 90°, personne ne le supporterait.

On ventraterre jusqu’à la fonderie. Pas un bruit, pas un son, toute vie est éteinte. Il ne doit subsister d’Alexandre-Benoît Bérurier qu’une flaque et un pyjama.

En flageolant des phalangettes je déboutonne la porte. Décidément, c’est la journée des visions de cauchemar… Notre cher ex-Gros gît sur les lattes de bois, la bouche ouverte, les yeux ouverts, en chien de fusil. Le thermomètre marque cent degrés.

— Vite ! fait Pinaud en posant son veston avant de franchir le seuil de l’enfer.

On empoigne le Gros, on le sort de la chaudière. Dieu, qu’il est léger ! Une plume ! La douche crépite sur son corps fumant. Il ouvre un œil. Il nous sourit !

— Je voudrais voir Berthe, fait-il dans un souffle.

— Tu la reverras bientôt, promet-je impudemment, en formant des vœux pour que ce ne soit pas au ciel.

— Où qu’elle est ?

— Elle soigne ton copain Alfred qui a eu un accident.

— De voiture ?

— Non, il est tombé sur la tête !

Nous admirons la constitution de ce vaillant Béru qui, après quelques deux cent cinquante minutes passées dans un creuset ardent, trouve le moyen de penser à sa femme et à l’amant d’icelle.

— M’semble que je pourrai plus jamais remarcher, geint-il. Cette fois, chuchote notre infortuné compagnon, j’ai la silhouette Dachau, les gars. Si vous tousseriez un peu trop fort et que la fenêtre soye ouverte, vous entenderiez plus jamais causer de moi. Vous voulez bien me poser sur la bascule, qu’on susse à quoi s’en tenir ?…

Nous souscrivons à sa requête.

— Alors ? demande le gisant.

— Cinquante-cinq kilos, annonce en bredouillant Pinaud. On ne doit pas pouvoir faire mieux dans le genre.

Cette déclaration, loin d’affliger le malheureux, lui communique un regain d’énergie.

— Cinquante-cinq kilos, murmure-t-il, mais alors, va falloir que je rengraisse.

— En effet.

— Donc, je peux me permettre un gueuleton à tout casser sans faillir à mon devoir ?

— Tu y as droit ! Fais ton menu, Pinaud ira au pays chercher ce que tu désires…

Une immense béatitude se lit aussitôt sur la frime ravagée du fakir.

— Eh bien ? demande gentiment la Vieillasse en lui bassinant les tempes où perlent encore les ultimes gouttes de sueur.

— Bouscule-moi pas : je pense, susurre le Désenflé d’une voix lointaine.

Il remue faiblement les lèvres.

— Pour commencer, avant toute chose, y me faudrait une bouteille de Muscadet bien frappée, annonce-t-il.

— Tu l’auras, promet la Pinuche.

— Ensuite, mon repas, je compte l’attaquer à la sournoise, dans le léger pour me réduquer les mandibules. Tiens, je démarrerais bien par une paire d’andouillettes…

— D’accord.

— Et puis tu ramèneras une choucroute garnie, Pinaud. Mais pas garnie façon petite bêcheuse, surtout ! Je vois du lard, beaucoup de lard, du fumé, du pas fumé, du demi-sel ; un jambonneau, aussi et surtout : bien gras.

— Avec des francforts ?

— Un chapelet complet, comme pour une neuvaine, mec ! Le reste du menu, je le laisse à ton espérience, mais une supposition que tu dénichasses une belle côte de bœuf, ce serait pas plus bête qu’aut’chose…

Nous le portons sur son lit. Maintenant je sais qu’il passera à travers les barreaux ! Il convient donc de préserver cette marge de sécurité si rudement acquise.

— Ne rapporte que la côte de bœuf, chuchoté-je à l’oreille de Pinuche.

— Mais que dira-t-il ? s’inquiète le Trémoleur.

— Rien, puisqu’il aura la bouche pleine.

J’ajoute, pour calmer les scrupules du bonhomme :

— Un trop gros repas, dans son état, pourrait avoir de funestes conséquences.

Le bigophone grelotte. C’est le Vieux qui me rancarde à propos d’Alfred. Le pommadin vient d’être placé sous une tente à oxygène. On lui file du sérum et du raisin par tous les tuyaux pour essayer de le requinquer. Si dans 48 plombes il s’est cramponné, on se risquera à le trépaner. Le Raclé a filé une méchante armada de roycos sur cette affaire ; mais il exige qu’on s’embarque dare-dare pour l’Amérique du Sud, Béru, Marie-Marie et Bibi. Il sait que lorsque le Tout-maigre sera rendu à la vie civile il voudra revoir son équipière. On serait obligé de le mettre au parfum et, dès lors, fou d’anxiété, il deviendrait bon à nibe pour sa mission. Le plus sage est de lui préserver le mental en l’embarquant dès cette noye. Nos places sont retenues. On parachèvera son entraînement là-bas…

À mon sens, la précaution est bonne.

— Pinaud n’est pas du voyage ? m’enquiers-je.

— Non, fait le Boss, tout compte fait je préfère le mettre également sur l’enquête du salon de coiffure car il offre l’avantage de parfaitement connaître les protagonistes de ce drame.

Je toussote avant de déballer le plus gros.

— Vous savez, monsieur le directeur, que Bérurier a encore perdu neuf kilos. Il peut désormais passer sans difficulté entre ces satanées cellules photo-électriques, si bien qu’il est superflu que nous nous encombrions de cette gosse.

Une espèce de petit léopard fulgure dans la pièce. C’est Marie-Marie.

Avant que j’aie eu le temps de la reconnaître, elle m’a déjà arraché l’appareil des mains.

— C’t’un menteur, m’sieur ! clame le monstre. Mon onc’ a maigri, c’est vrai, seulement il est tellement ramolli qu’il pourrait pas traverser le terrain de foteballe de Savigny sans déclencher les signals électriques si on en mettrait seulement un à chaque bout. Non, croyez-moi : vous feriez une connerie en m’envoyant pas là-bas !

CHAPITRE IV

C’EST AU PIED DU MUR QU’ON VOIT LE COLIMAÇON

L’hacienda de don Enhespez, notre correspondant rondubrazien, est située à une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau, à une cinquantaine à reptation de serpent et à une soixantaine à marche de facteur rural de la base Santa-Maria Kestuféla.

C’est un vaste domaine qui s’étend sur la rive opposée du lac Papabezpa, lequel aurait pu être le plus grand d’Europe s’il ne se trouvait en Amérique du Sud.

Étrange homme en vérité que ce don Enhespez. Très grand, très maigre, très jaune de peau, très blanc de poil, très ridé de partout il fait penser, aux dires de Béru, à un serment de vigne. Vêtu d’un pantalon de velours et, comme l’a écrit Ponson du Terrail, d’une chemise de la même couleur, chaussé de bottes de gaucho — en accordéon — la taille ceinte d’une cartouchière aux incrustations de cuivre, le personnage a tout ce qu’il faut pour entrer dans la légende et y trouver une place assise.

Je connais son curriculum dans les grandes lignes, comme disait un gars travaillant aux P. et T. En réalité don Enhespez est français. C’est un ancien bagnard expédié à Saint-Laurent-du-Maroni pour y purger vingt ans malgré ses protestations d’innocence. Comprenant que ça n’est pas avec une forte dose de sulfate de soude qu’il les purgerait, le bagnard préféra s’évader et atteignit sans trop d’encombres (la circulation à l’époque n’étant pas ce qu’elle est devenue, dirait Monseigneur Françaijevousai, l’homme au pif en forme de Bretagne), le Rondubraz. Pérégrinateur-né, il parvint jusqu’à San-Kriégar où il se plaça comme valet d’écurie dans ce domaine qui maintenant est le sien. À l’époque, la propriété appartenait à une riche vieille veuve du nom d’Isabelle Silroa-Savéssa y Godré, dont les aïeux, non seulement remontaient à Christophe Colomb, mais encore plus haut ! Histoire classique du plongeur devenant patron de l’hôtel. Notre ami s’embourba mémère, la réussit admirablement et la dame, les yeux cernés par la reconnaissance, le coucha sur son testament après l’avoir couché dans son plumezingue. Mais cette réussite sociale n’apaisa pas l’amertume de don Enhespez. Il refusait d’être un bagnard en rupture de bang et continua à distance de clamer son innocence, tante est si bien que le Vieux (encore jeune à l’époque), intéressé par son cas, se livra à une contre-enquête et démontra l’innocence de notre hôte. Réhabilitation, musique et morgues ! Entre les deux hommes, ce fut à la vie à la mort. Vous comprenez donc que nous possédons en don Enhespez un allié à toute épreuve. C’est pour vous démontrer la chose que je me suis permis ce bref résumé de sa vie. Ne m’en veuillez pas, j’agis pour votre bien.