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Pendant ce temps, miss Tresses achève de remonter la barrière. Y me reste plus qu’un vilain à jetonner. Manque de bol, ce foie-jaune a eu le temps d’extirper sa rapière de son étui, et il me praline. Des valdas me susurrent des bouts de Te Deum aux oreilles. Heureusement que je suis d’une mobilité qui foutrait des complexes à un pou sélectionné pour les jeux olympuces. Un saut à gauche, un autre à droite, un troisième au milieu, un quatrième en avant, et il a ses coups de crosse art chit et pisse copaux à gauche de sa hure. J’ai assené tellement fort que son étiquette se décolle et lui pend sur la joue.

Va falloir qu’elle se fasse ravaler la façade, cette bonne jonquille sans jonque. L’expression « rentrer chez soi l’oreille basse » va prendre toute sa signification.

— Et ben, tu t’annonces (apostolique), oui ! beugle le Faramineux.

Je saute dans la jeep.

— Cocher, au bois ! Et ne ménagez pas l’attelage ! lancé-je d’une voix aussi gaillarde que la prose de mon éminent confrère Robert Gaillard.

CHAPITRE VIII

LES FEUX PASSENT DU ROUGE AU… BLANC

La jeep caracole (à manger de la tarte) sur la route défoncée. La vitesse nous file des claques savoureuses à travers la frime. C’est bon le souffle de la liberté. Pour un peu, je chanterais.

Assis à côté de la Grignette, je la prends par l’épaule et la serre contre moi.

— Ah ! ma petite poule, lui dis-je, ma petite poule, sans toi !

— Sans moi vous alliez vous rhabiller, tonton et toi, assure la Jeanne Hachette du pauvre.

Elle tortille du buste pour m’échapper.

— Mais c’est pas une raison pour te permettre des prévôtés av’c’ moi, Antoine ! Mémé me disait : « Méfie-toi toujours des hommes qu’ont trop d’effusion dans le sentiment ».

J’ai idée que sa fameuse mémé l’a un peu traumatisée, Marie-Marie, et que si elle applique scrupuleusement ses préceptes, elle aura beaucoup de mal, plus tard, à se dégauchir un nez-pou.

— Dites donc, ma révérende mère, lui dis-je, que jetiez-vous derrière l’auto pendant que je tournais la manivelle ?

— Je vidais une boîte de clous, Antoine. Je m’en ai désemparée dans l’atelier avant de filer. Comme ça, s’ils nous coursent, faudra qu’ils emportent des rustines, j’t’l’dis !

Le Mastar tombeauouverte sur quelques kilomètres again, puis il se tourne vers nous.

— Alors ? fait-il, dans quelle direction se dirigeâmes-t-on ?

— Y a pas trente-six solutions, mon pote : allons nous planquer dans la forêt pendant quelques jours, ensuite de quoi nous aviserons. Notre seule base en ce pays, qui était l’hacienda de don Enhespez, est fichue maintenant.

— Le pauvre bonhomme, soupire le Compatissant…

— Ils l’ont drôlement arrangé, renchérit la môme. Quand je pense qu’il rouspétait à cause de ses orchites… Comme quoi Mémé avait raison quand é’m’ disait : « On n’emporte pas la France à la semelle de ses souliers. »

— Ça, c’était pas mémé, mais Danton, rectifie-je.

Marie-Marie sort ses deux dents vipérines.

— J’ai jamais connu de Danton, j’t’dis que c’était mémé, quoi, nom d’Dieu !

— Qu’est-ce qu’on va becqueter, en forêt ? Tu peux me le dire ? s’inquiète le Filiforme. Si c’est pour me farcir le régime écureuil, merci bien, j’sors d’en prendre. Mon bide fait tellement de plis qu’avec la peau en rabe tu pourrais te confectionner un abat-jour.

Je lui tapote l’épaule.

— Dans ces contrées, le gibier foisonne, mec ! Y aura du rôti à tous les repas !

— Tu jures ?

— Ma parole ! T’as jamais mangé du tamanoir à la broche, dis ?

— C’est bon ?

— Fabuleux ! Et un cuissot de vigogne, donc ! Aux aromates ! Sans parler du condor sur canapé !

Tandis qu’il salive à outrance, nous quittons la route qui va de Santa-Maria Kestuféla à Riquita pour plonger dans la forêt. Un ruisseau peu profond, minuscule affluent du de Profundis, y coule.

— Roule dans la flotte ! conseillé-je à l’Éminent, de cette manière ils perdront notre piste.

Béru admet que l’idée is good et s’engage dans le lit de ce petit cours d’eau. Notre guinde tangote de plus en mieux, tante essuie bien que la chère Marie-Marie finit par s’endormir dans mes bras.

On véhicule commak pendant plusieurs plombes. Le Mastar a mis les phares et on voit bondir des flopées d’animaux dans la lumière. C’est plein d’insectes titubeurs, d’oiseaux tous plus nocturnes les uns que les autres, de mammifères jamais vus sur les planches du Larousse. La végétation ne végète pas, je vous le garantis. Elle se paie du luxuriant, la gueuse ! Les lianes guirlandent au-dessus du ruisseau. Les racines aquatiques forment une barrière continue. Bref, comme on dit après une longue tirade, ça devient franchement inextricable. On se prend des coups de fouet dans la pêche à tout moment.

— Ça commence à bien faire ! gronde le conducteur. Le premier routier que j’aperçois, je m’arrête ! On est bonnards pour jouer « Tarzan s’évade » dans ton jardin bouquiniste ! Ah, mince, je préfère le bois de Boulogne.

Je calcule que nous avons dû mettre une dizaine de kilomètres entre nos poursuivants et nous. Et quels kilomètres ! C’est pas de la tarte ! Jamais ils n’auront l’idée de venir nous repiquer ici.

— C’est bon, Pépère, essaie de sortir du ruisseau et de dégauchir un brin de clairière où nous pourrons bivouaquer.

Dix minutes plus tard, nous stoppons en bordure d’un élargissement du cours d’eau. Il y a des rochers et du sable. On carre la jeep dans une anfractuosité et on s’aménage un campement à la va-vite !

Les banquettes du véhicule et une couvrante servant de plaid constituent un plumard de fortune sur lequel nous nous alignons.

— J’ai faim ! gémit Béru avant de sombrer dans les vapes.

— Qui dort dîne ! riposté-je avec ce don de la répartie et ce sens de l’image-choc qui assurent la pérennité de mon œuvre.

Effectivement, terrassés par la fatigue, l’émotion, la nuit et le silence, nous rejoignons miss Tresses au pays fabuleux des songes où, au possible, nul n’est tenu[14].

Le ram’dage des oiseaux m’éveille. Dans la nature, ce sont les zizes qui font le plus de bruit, remarquez-le. Rien de plus gueulard, de plus varié, de plus perçant, de plus aigu, de plus strident que les cris des emplumés de frais.

Je tâche à me désengourdir. Sous quelque latitude qu’on se trouve, les nuits sont fraîches et vous nouent les muscles quand vous dormez à la belle étoile.

Bérurier et sa nièce roupillent toujours. Je me lève et, en guise de petit déjeuner, les considère attentivement. Spectacle attendrissant cil en fût. Comme ces deux êtres s’incorporent bien à la nature ! Comme ils tiennent bien leur place dans le concert vivant qui m’environne. « Ah ! me dis-je en aparté pour ne pas les réveiller, que la vie est donc une belle et noble chose ! De toute beauté ! Lorsqu’elle s’épanouit en pleine nature et en toute liberté et que l’homme a donc de la chance de posséder simultanément des testicules et le sens poétique. » Cet hommage muet, mais qui n’en est pas moins vibrant, rendu à la créature, sinon au créateur, je me penche simultanément sur le ruisseau et la situation. La seconde n’a pas la limpidité du premier, croyez-le bien. Certes, nous avons magistralement rempli notre mission et nous nous trouvons vivants et libres, but it is not yet tout à fait in the pocket, hélas ! (In english : « Alas ».) Vous pouvez compter que les Chinetoques remuent tout le patelin pour nous récupérer. M’est avis que les poulets du Rondubraz au grand complet : les en civil, les en militaires, les C.R.S.[15], les gares de mobiles, les indicateurs, les contre-indiqués, les cons tractuels tout ce qui est flic ou enfoiré, tout ce qui appréhende, tabasse, menotte, matraque, quartiélatine, enfonce, défonce, foule, refoule, défoule, foulicide ! Tout ceux qui font pleurer d’humiliation, de rage et de gaz lacrymogène ! Tous les mousquetaires du mousqueton. Ceux qui ont leur conscience pour eux, et celle du ministre de l’intérieur pour les autres ! Ceux pour qui le verbe n’est que procéverbe. Ceux à qui on met une jugulaire pour leur permettre de mieux juguler. Ceux qui épient et ceux képient ! Ceux qui ne mettent qu’un « r » à bourrique parce qu’ils ont l’autre sur la figure ! Les inculqués de frais ! Ceux qui doivent se gaver de bananes puisqu’ils protègent tous les régimes ! Ceux qui forcent les retraites pour mériter la leur ! Ceux qui débloquent et reblotent derrière les grillages de leurs fourre-cons blindés. Et puis d’autres et d’autres encore sont en train de se remuer le panier (à salade) pour alpaguer le singulier trio que nous nous sommes mis à trois pour constituer[16].

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14

De toute beauté !

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15

C.R.S. : Corps Rondubrazien de Salopard.

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16

Je sais qu’au hasard de ma route, je rencontrerai des connards qui m’objecteront « Ben, naturellement qu’il faut se mettre à trois pour faire un trio ». À ceux-là je préfère dire m… tout de suite pour le cas où je raterais leur trajectoire.