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Des larmes couleur de gomme arabique dégoulinent sur sa frime amaigrie.

— Pas ma faute, mon San-A. C’est mon organise qui déclarait forfait. Je cotonnais des flûtes ; j’avais des vertiges.

— Sac à lard, va !

Il met sa main flasque sur mon épaule.

— Jockey, je vais aller jusqu’au bout de mon calvaire, mec. Banco pour la gastronomie fakir ! Tiens, je me paie un coup de sauna en supplément pour espier. Seulement j’ai pas bon espoir, mon pote, parce que, pour tout te dire, je viens de piger une chose : c’est que mon esquelette à lui tout seul, il pèse sûrement plus de soixante-deux kilos ! Faudra sûrement m’emputasser d’un jambon pour que je fasse le poids, et encore, je me demande…

CHAPITRE II

ET QUATRE JOURS PLUS TARD…

— À combien en sommes-nous, mon cher San-Antonio.

Changement à vue… Et à ouïe !

Le Vioque est tout miel. Une vraie pâtisserie turque.

— La décélération se poursuit, Patron. Bérurier a encore perdu trois kilos, ce qui nous l’amène à soixante-douze !

— Il supporte ?

— On l’encourage. Il fume beaucoup, il lit énormément…

— Peut-on savoir quoi ? gouaille le Raclé de l’occiput.

— La vie des saints, monsieur le directeur. Car il est éclairé par la flamme des martyrs. Dans son état, maigrir est une philosophie. Depuis qu’il l’a compris, il s’est conditionné et placé en état d’héroïsme. Béru fait don de sa graisse à la France !

— Complimentez-le pour moi et dites-lui de ma part que ce sacrifice figurera à son dossier.

— Peut-être serait-il opportun que vous le lui disiez vous-même, Patron ? Même la flamme des martyrs a besoin d’être ranimée…

— Amenez-le au téléphone !

Je dis à Pinuche d’aller quérir le maigre héros.

— Oh ! pendant que j’y pense, fait le Big Old Boss, on a téléphoné de chez Bérurier pour signaler que sa petite nièce est seule chez lui depuis trois jours. J’ai l’impression que la dame Bérurier met à profit la cure de son époux pour se dévergonder, vous devriez aller voir ce dont il s’agit et prendre les dispositions qui s’imposent, mon bon ami.

— Comptez sur moi, monsieur le directeur.

— En fin de journée passez donc me voir ; maintenant que notre bonhomme est presque à point, il convient d’arrêter notre plan d’action…

— Avec plaisir. Je vous passe le Gr… Je veux dire Bérurier, rectifié-je, car il serait malséant de continuer d’appeler « le Gros » le fantôme titubant qui vient d’entrer au salon. Béru vu dans un miroir déformant. Béru dont la peau pend. Un Béru blafard, cerné, creusé, rongé, évidé. Son ancien ventre fait des vagues. Son cou est une fraise de chair. Il s’est voûté. Il marche comme un cent-cinquantenaire, à petits pas flottants, comme on marche par gros temps sur le pont d’un navire.

Le Lapinaud des champs le soutient, les yeux embués. C’est vrai qu’il fait moribond, notre Fakir.

— Pour toi : le Patron ! annoncé-je en lui remettant solennellement le combiné.

Il porte l’appareil à son oreille d’un geste indécis. Sa voix pâlotte murmure un « allô » de jeune fille pubère.

On perçoit les vibrations hymnenationalesques du Dabe. Progressivement Béru rectifie la position, se redresse, bombe le torse, lève le menton. Ses bajoues lui font des favoris. Il ressemble à Sa Majesté France-Soir-Joseph empereur d’Autruche. Il murmure, trémole, puis galvanise des « Je vous remercie, monsieur le directeur ! Jusqu’au bout, monsieur le directeur ! Rien ne m’arrêtera, monsieur le directeur ! Le pays peut compter sur moi ! »

Là-dessus on l’embarque au sauna. Laronde et Pinuche décident une belote pendant que l’ex-Mastar pleurnichera ses ultimes kilos de graisse.

Je les laisse rallier Paris et railler Paris d’une voix éraillée[2].

— C’est un escandal purée simple ! me déclare la pipelette du Maigre. Et les Bérurier feraient pas partie de la police que je déposerais une plainte sur le parquet, m’sieur le commissaire.

Elle accordéonne des rides, la Vigilante. Elle aigrette du chignon. Agénor, son gros chat rouquin, plus taillé qu’un poirier au printemps, écoute avec intérêt Truc Machin parler de la grande détresse du dollar au journal Tell est visé.

La loge sent Agénor et la soupe réchauffée.

— Racontez-moi ça, chère madame, l’adoucis-je.

Dame Cerbère croise son fichu noir sur l’emplacement de sa défunte poitrine.

— C’est un’ honte, redémarre-t-elle. M’aginez-vous qu’y a quatre jours, la grosse Bérurier est été chercher sa petite nièce de la campagne orpheline dont on devait la placer à l’insistance Publique. Vous allez me ’bjecter que ça partait d’un bond naturel. Soite ! Seulement, quand on décide de faire le bien, faut pas le faire mal, m’sieur le commissaire.

— Que s’est-il donc passé ?

— Ne bougez pas, j’y viens. Elle installe la gamine dans son appartement. Et puis, dès le lendemain, volatil pas que cette grosse vache (c’est de la Bérurier que je m’esprime) fiche le camp en java, selon son ordinaire lorsque son gros sac-à-vinasse est absent. Depuis trois jours elle est pas reparue et la gosse moisit toute seulette là-haut.

Elle essuie un pleur qui ne vient pas.

— Peut-on comporter de la sorte, monsieur le commissaire ? Je vous fais juge.

Je la remercie de cette promotion. Elle ajoute :

— J’aurais bien dit à la petite de venir chez moi, mais mon Agénor supporte pas les enfants. Que voulez-vous : lui et moi, on n’est plus de la première jeunesse…

In petto je me dis qu’ils ne sont pas non plus de la seconde.

— On a nos habitudes, comprenez-vous ?

— Je sais ce que c’est que les vieux ménages, assuré-je. Très bien, je vais régler cette question, chère madame. Merci d’avoir prévenu…

— Ça m’a coûté cinquante centimes de téléphone, dit-elle.

Je sors une pièce en simili argent, représentant notre simili république en pleines semailles, et la dépose sur la toile cirée décolorée de la table.

— Merci, ronchonne la concierge. Seulement j’ai téléphoné du bistrot à côté où, décemment, y a fallu que je buvasse un café. Un café, c’est un franc !

Je me dégoussette d’une nouvelle république un tant soit peu fatiguée.

— Sans parler que j’étais si tellement émue que j’ai dû boire un petit calva à deux francs, continue la vieille personne.

Je lui refile une pièce argentée et m’élance dans l’escadrin avant qu’elle ne se fasse payer des vacances aux Baléares.

Parvenu sur le somptueux paillasson des Bérurier (son motif représente une vache pâturant dans des alpages, un blason en quelque sorte) je tends l’oreille. Réaction très superflue, car il n’est pas besoin de tendre l’oreille pour percevoir le vacarme provenant de chez le Maigre. La radio mugit à s’en faire péter les transistors. Elle ne diffuse pas : elle profuse. Un groupe anglo-franco-bellevillois est en train de vacarmer un nouveau tube intitulé C. for moon. Et, dans l’appartement, quelqu’un lui fait un brin de conduite (puisqu’il s’agit d’un tube) en tapant sur une casserole avec, supposé-je, un instrument un tantinet contondant. Je sonne. Long est le silence à se rétablir lorsqu’une radio anglo-saxonne.

Je resonne, impétueusement, puis je ponctue du poing, du pied et de la voix. Enfin, premier résultat, le solo de casserole s’interrompt. Deuxième résultat, une petite voix mélécassise de l’autre côté de la porte :

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