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Debout dans une voiture découverte, brandissant un drapeau rondubrazien (le nouveau, celui qui représente un papillon blanc posé sur une banane) ? Berthe Bérurier en personne. Plus mahousse, plus bourrelée, plus fondante que jamais, les aigrettes de ses verrues au vent ! Elle rit à la foule embrasée. Elle distribue des baisers. Elle fait claquer son drapeau neuf ! Elle glousse parce que deux ou trois gaillards barbus lui patouillent la géographie sous prétexte d’assurer son équilibre.

Ses lèvres remuent. On n’entend pas : elle doit lancer des « Muchas gracias ». (Car elle a toujours été douée pour les langues, Berthy ; c’est pas Alfred le pommadoche qui me contredira s’il s’en tire.)

— Berthe ! clamé-je.

Hélas, dans le vacarme elle n’entend pas ! Elle ne me voit pas ! Elle passe, héroïne de légende, sur sa route triomphale, jonchée d’étendards.

« Que viva Bertaga ! » trépigne-t-on autour de moi… La robuste guerrière s’éloigne. Je vois son dos gras, son gros cou violacé, ses cheveux ébouriffés par le vent. Et puis la gloire l’escamote. À nouveau c’est la foule, la cohorte de guérilleros, les chants libérateurs.

Et puis il ne reste plus qu’une kermesse sédentaire.

Je m’ébroue lentement. Ibernacion sort de sa planque. On se regarde, Pinaud et moi, longuement, avec un peu de crainte, comme si nous doutions de nos sens, de nous, de la vie…

— C’était bien elle, hein ? fait-il en reniflant son émotion.

— Oui, Pinuche, c’était bien elle.

Je restitue au diplomate ses lunettes.

— Où l’emmènent-ils, Excellence ?

— Au palais présidentiel, naturellement ! Ils vont vraisemblablement la nommer présidente de la République. Heureusement, nous n’avons pas eu à intervenir, ajoute-t-il.

Nous rebroussons chemin pour regagner l’ambassade.

Je devrais être soulagé, et pourtant je suis déçu. Un malaise indéfinissable me taraude.

— Tu as l’air triste ? murmure la tendre Ibernacion.

Au lieu de lui répondre, j’interpelle Pinuche dans le rétroviseur.

— Après tout, était-ce bien elle, dis, César ?

Il titille entre le pouce et l’index la pointe carbonisée de sa moustache.

— Ben oui, non ? Une pareille ressemblance, ce serait inconcevable. J’ai reconnu ses grains de beauté, sa moustache, son triple menton ! Pour être elle, c’est elle !

— Qu’elle se prête à cette mascarade ne te paraît pas incroyable ?

— Non, pourquoi ? Voilà une femme qu’on avait emprisonnée et que l’on délivre au moment de la fusiller. C’est normal qu’elle déguste son miracle. Tout à l’heure, une fois que les acclamations se seront tassées, elle s’expliquera et les guérilleros la relâcheront !

La voix nette d’Ibernacion fauche notre espoir :

— S’ils se sont trompés, ils la fusilleront, dit-elle catégoriquement.

CHAPITRE XIV

D’ÉMOTIONS EN ÉMOTIONS… DE SURPRISES EN SURPRISES…

M. Antidémoc lance une dernière phrase vibrante et raccroche. Il a de la colère aux commissures des lèvres et sa rage fait un halo autour de ses yeux.

— Quel pays ! Quel pays ! Ah ! je vous jure : vivement ma rue Gay-Lussac…

— Que vous a-t-on répondu, Excellence ?

— Ils ne veulent pas en démordre : la présidente ne nous recevra qu’après-demain…

La présidente ! Ça me fait tout chose de voir appliquer à la Gravosse un tel qualificatif. Berthe présidente de la nouvelle république rondubrazienne ! Tu parles, Charles ! comme disait jadis m’sieur Pompidou…

— Je te dis que ça n’est pas la nôtre, Pinuche ! Elle ne parle pas espago, Berthe, que je sache, sinon quelques mots appris au cours de ses vacances aux Baléares. Et puis s’il s’agissait d’elle, elle recevrait notre ambassadeur…

Le Débris écarte les journaux étalés sur le burlingue ministre de notre hôte pour mieux admirer les photographies qui les illustrent.

— Écoute, San-A. Tu vas pas me dire que c’est un sosie, ça ! C’est Berthe ! Et d’ailleurs j’ai suivi sa piste depuis la France… Un télégraphiste l’avait vue sortir de chez Alfred entre deux types bruns qui l’ont fait monter dans une voiture. Heureusement, le gosse a remarqué une vignette de l’agence Hertz collée sur la vitre arrière du véhicule, grâce à ça…

Un fracas lui coupe la parole. Nous enregistrons une entrée en force des six gosses de l’Excellence (on s’ennuie dans certains postes !). La marmaille chiale comme si un garde mobile français venait de la dissuader.

— Papa ! brame la fille aînée, elle nous a encore battus !

Marie-Marie pénètre à son tour dans le cabinet du ministre de la France exemplaire.

— C’te connerie ! s’indigne la petite peste. À veut qu’on jouille au papa et à la maman. C’est moi, vu mon âge, que je faisais le p’pa ; c’est donc normal que j’y mette des beignes, non ? Et que je taloche les mouflets, matière de les éduquer. Écoutez, m’sieur l’ambas, sans être mauvaise langue, vos chiares, je les trouve un peu bêcheurs. Vous les flanqueriez à la communale ça leur ferait les panards.

Antidémoc sourit. Marie-Marie a le don de charmer les hommes adultes, quand bien même elle moleste leur progéniture.

— Allons, allons, réconciliez-vous, fait-il, car c’est le rôle d’un ambassadeur que de mettre de la vaseline partout où ça coince.

— Des clous, je déteste les pimbêches ! riposte l’Effrontée.

Puis, m’interpellant :

— Dis, Antoine, il va tarder encore longtemps, m’n’onc’ ? J’aimerais bien retourner à Paname…

Je me rembrunis et, instantanément, Pinaud larmoie.

Qu’est-il devenu le président consort ? Vit-il encore ou bien sa bonne bouille commence-t-elle de se ratatiner entre les mains des irréductibles réducteurs Livaros ?

Cher Béru !

— J’espère qu’il va arriver, mélancolis-je.

— T’espères, t’espères, et si il aurait un empêchement de fromageur ; hein, Antoine ? Au lieu d’espérer, tu ferais mieux de t’occuper de lui.

Le reproche me cingle. Certes, depuis deux jours que nous sommes à l’ambassade, à essayer de contacter la célèbre Bertaga, j’ai souvent eu l’envie de partir à la recherche de Béru… Mais où le retrouver ? Puis-je, sans une forte escorte, retourner chez les Livaros de la forêt ?

Ma valse-hésitation confine à la lâcheté à mesure que le temps passe. A-t-il hésité, Béru, à venir nous sauver lorsque, ligotés aux poteaux de torture, nous attendions non pas une collation, mais une décollation effroyable ? Non ! Il a eu l’audace de leur interpréter un numéro d’illusionniste, aux Livaros, en utilisant la peau de la vigogne qu’il avait tuée (et probablement bouffée). Plus pathétiquement, encore : n’est-il pas demeuré sur place, comme ces animaux courageux qui se sacrifient au profit de leur tribu en s’offrant en holocauste au chasseur ?

— Je vais partir à sa recherche, ma mignonne ! me décidé-je tout de go.

— Je t’accompagne, dit la Vieillasse ! Pourvu qu’on le retrouve…

— Dis voir, Antoine, murmure Marie-Marie…

— Oui, ma poule ?

— Appelle-moi pas « ma poule » Mémé t’entendrait, elle tordrait son nez. Je voulais te demander : il était habillé comment t’est-ce que, tonton, la dernière fois ?

— En vigogne, Marie-Marie, ne puis-je me retenir de déclarer. Il s’était affublé d’une peau de bête pour impressionner les Indiens.

— Mais sous sa peau de bête ? Réfléchis voir…