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Les toilettes sont désertes. Un murmure d’eau. Des effluves de désinfectant. On y passerait ses vacances. Que viens-je chercher céans ? Un indice ? L’indice de quoi ? Je visite chacune des cabines, mais t’as vite exploré un cagoince. Quand tu as maté la cuvette et la chasse d’eau, tu peux rentrer chez toi manger ta soupe et loncher ta bergère, ta besogne est terminate. Et puis les femmes de ménage ont fourbi les lieux depuis la visite du maître.

J’ai dans ma tête une musique triste : du Chopin, interprété par Arthur. Feu Arthur, mort si tragiquement, si misérablement. Les notes pleuvent de ses doigts merveilleux. Pourquoi ces vouatères ont-ils tant d’éloquence ? Est-ce bien l’endroit du recueillement que le petit endroit ? J’ai des aminches qui font un complexe de Murano et qui ont foutu des glaces partout dans leur appartement, y compris sur la face intérieure de la porte des chiches. Si bien que tu peux te contempler dans la posture la moins glorieuse de ton existence. Et méditer. Et comprendre. Et devenir mieux.

Je revois la noble carcasse de Rubinyol dans celle du piano. Ses cheveux blancs, ses épais sourcils servant d’auvent à la plus affûtée des ironies.

Pourquoi César Pinaud a-t-il disparu ? Parce qu’il était censé avoir vu des choses compromettantes ? Des choses qu’en réalité il n’a pas su voir, sinon il me les aurait rapportées.

Pourquoi Arthur s’est-il assis un moment avant de venir ici ?

Un grand type blondasse entre, avec un attaché-case à la main, l’air digne, distant.

Je fais mine de me laver les salsifis tandis qu’il va s’enfermer dans un chiottard où il commence par balancer un grand pet sauvage. Le coup de semonce. S’étant donné le « la », il se met à fredonner un air tzigane vachement laxatif.

Chacun s’organise l’existence à sa convenance, hein ?

Je sèche mes mains dans la soufflerie d’air chaud. Proche de celle-ci, se trouve un cendrier mural basculant. Et je le contemple parce que tes yeux, quand tu ne dors pas, tu dois bien les poser sur quelque chose, non ? Qu’autrement tu ne sais pas quoi foutre de ton regard. A défrimer cette conque métallique, je me l’approprie somme toute. Ce que tu contemples longuement finit par t’appartenir un instant, ou alors je te plains. Je découvre des poils dans la charnière du couvercle. Des poils longs et gris. Je fais jouer le couvercle. A l’intérieur du cendrier il y a des mégots de belle taille. Mais ce sont les poils qui m’intéressent. Ceux-ci sont coincés dans la charnière. Le bas de la touffe adhère à cette gaze spéciale dont on fait les postiches. Patiemment, je m’emploie à dégager ma trouvaille.

Le grand blond à l’attaché-case ressort, toujours aussi guindé.

Il ne pète plus, ne chante plus. Il vient de se quitter pour réintégrer cet aspect de lui qu’il a mis au point pour les autres. Il se lave les mains soigneusement, se sèche, rajuste son nœud de cravate, plaque une méchette rebelle au-dessus de son oreille et sort en me laissant son mépris, comme on dépose un pourboire dans une assiette de dame Pipi.

Ça y est : la touffe est à moi.

Voir Martial d’urgence.

* * *

Le Rouillé est un expert de grande valeur qui n’aura jamais d’avenir parce qu’il s’intéresse trop au passé. Toujours à regretter des trucs enfuis, cette betterave. Il chiale sur son enfance, son adolescence, les débuts de son mariage, l’avant-naissance de son premier, sa scarlatine, son accident de Solex, ses premières vacances aux Baléares. Il regrette le temps où il gagnait moins, où de Gaulle dirigeait la France, où Anquetil remportait les Tours de France et où on pouvait se faire sucer convenablement au Bois pour trente francs.

J’entre dans son antre alors qu’il est en train d’examiner quelque chose de jaune sur un linge blanc.

— Qu’est-ce que c’est ? m’intéressé-je.

— Les selles de mon petit dernier, commissaire ; depuis quelques jours il pleure la nuit, chose qui ne lui arrivait jamais.

— Quel âge a-t-il ?

— Deux mois.

— Comment peux-tu parler de « choses qui ne lui arrivaient jamais » ; faut bien qu’il commence, non ! Dis-moi plutôt ce que c’est que ça, bien que j’aie déjà mon idée sur la question.

Le Rouquemoute est un minutieux. Il place la touffe sur le valdingueur à rotule de son microscope.

— Une particule de sourcil postiche, commissaire, assure-t-il catégoriquement.

— Pas de moustache ?

— Non, commissaire : de sourcil.

ORLY

La Ricaine s’appelle j’sais pas comment : Tina, Tania, Dyana, un truc à la gomme de ce tonneau. Je lui ai fait répéter à deux reprises sans piger, vu qu’elle me répond à travers trois cents grammes de chewing-gum à la chlorophylle. Et puis les Ricains, tu remarqueras, ont horreur de répéter. Pour eux ça représente une déperdition de temps et d’énergie. Une fois à la rigueur, mais alors, ils articulent plus du tout. C’est des drôles de gus. Plus ça va, plus ils me semblent appartenir à une autre planète. Ils auront toujours un certain quelque chose de pas terminé. Une façon d’être d’ailleurs, de se comporter autrement que nous. Moi, ils me font chier. D’accord, ils viennent nous sauver la mise quand on se lance dans des guerres au-dessus de nos moyens, et je les en remercie grandement. Mais je suis pas client. C’est viscéral. Tiens, si je te disais que je leur préfère les Anglais, ces cons, malgré tout leur égoïsme et cette manière irritante de causer sur la pointe des dents en laissant les sentiments au vestiaire du club.

Mais la mère Dyana (tiens, je lui cloque d’autor ce blaze) tout ce qui m’intéresse, c’est son cul quinquagénaire, point à la ligne. J’ai la trique. Les voyages, ça porte aux sens. Je ne pense plus qu’à l’enfourner grand veneur, la belle. Lui donner un échantillonnage du Tout-Paris. Elle m’a expliqué qu’elle continue sur Copenhague. Elseneur, c’est son rêve tout beau. Hamlet au lard ! Depuis toujours… Sa correspondance est pour dans trois plombinettes. Alors je lui explique qu’autour d’Orly y a de somptueux hôtels avec l’eau chaude à tous les étages et vue sur les pistes. Qu’on ferait bien de s’y « reposer » un couple d’heures. Reposer aussi, c’est un euphémisme. Les subtilités du langage comptent parmi les humbles joies du quotidien. Poupette, on va lui enregistrer ses samsonites ; et puis on frète un sapin pour le Chibrotel, dernière-née des réalisations. Elle est partante, sans fausse confusion. Elle est en manque de bite, Mistress. En Tunisie, elle a pas trop osé se faire engouffrer par les Arbis. Ils ont la phobie des maladies, en plus du reste, les Amerloques. Alors, bon, on exécute my programme et nous voilà à la réception marbreuse (y en a qui disent marmoréenne, mais c’est moins explicite) du Chibrotel. Je leur déclare que c’est juste pour un moment de repos, qu’on vient de très loin, qu’on a dû voyager debout parce qu’il y avait trop de peuple dans le zinc, tout ça, le blabla habituel, par respect humain, pas avoir trop l’air de ce qu’on est : deux êtres surchauffés de l’entre-deux.

Le préposé s’en branloche que tu peux pas savoir l’à quel point. Et nous déboulons dans une chambre sobre mais confortable, pourvue d’un frigo. Une demie de champ met de la maïzéna dans nos relations. C’est la première fois que je la vois vraiment de face, la Dyana. Dans le Boeinge elle présentait son bon profil. Ici, c’est pas pareil. Elle accuse son pedigree, Mémère ! Ses années de nourrice ont compté double, pardon ! Un peu fanaga du cou, avec des amorces de bajoues qui la font un brin ressembler à un hamster. Ses hanches sont larges. J’espère qu’elle renifle pas trop, la vioque. Moi, tu connais ma phobie des odeurs. Je suis un hyper-nasal. Je capte les senteurs les plus ténues. Je vois des fois, en société, je m’arrête pile de jacter. Les gens me regardent, m’attendent les explications. Et je demande exa-brutal : « Qui s’est oint de baume du Tigre ? » Ou bien un pote de rencontre, je luis fais : « Tu viens de te farcir une gonzesse qui se parfume au « Foumenplein », de Craven. » L’olfactif, je le prône toujours. Tous mes polars, relis-les bien. L’importance du nez dans ma prose. Tout a une odeur : une feuille de papier blanc, une capote anglaise neuve, un ticket de métro, un panneau indicateur, le vent qui passe.