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Puis vais la reposer de la pointe du scoubidoche sur le № 824 de son canard de chiasse.

Elle s’efforce de respirer. Cherche des yeux sa gentille culotte que j’ai envoyée chez Plume dans ma frénésie, ne la trouve pas, y renonce.

Le plus cocasse, c’est qu’on n’a pas même échangé un baiser. Rien. La big lonche animale. L’état d’urgence. De résurgence.

Elle saute au sol en riant. Me baragouine mes trémas de quoi refaire tous les passages cloutés de Paname.

Et puis elle s’aperçoit qu’on a chiffonné la page 89 de la revue en brossant. Du couché, fallait y aller, non ? Pas lésiner sur la frottaille.

Du plat de la main, elle lisse le désastre. Et je regarde s’activer sa jolie dextre. Délicat spectacle. Cette gonzesse, un qui aurait du temps et qui saurait vingt mots de finnois pour les périodes de transe, il en ferait un chef-d’œuvre du tagada.

Mais ma pensée la quitte. Je viens de découvrir qu’il n’existe pas de page 88 à cet exemplaire du Dypaä Cekkoneri. Par voie de conséquence (et de fait) la page 87 a disparu aussi, rien n’étant plus malaisé que d’arracher une page 88 sans toucher à la page 87.

Essaie, et si tu y parviens, je te rachète les deux séparément.

Je prie la môme de constater la mutilation dont a souffert cet exemplaire du № 824. En écartant bien la revue on s’aperçoit que la page disparue fut découpée avec une lame de rasoir. Ça la contriste, la petite Chaglaate, les Finlandais, à l’instar des Finnois, étant gens d’ordre et de rangement. Ça traîne du sang suédois plein ses veines, ces mammifères-là. Un poil de cul qui dépasse un autre et ils en font une maladie.

— Je suppose, lui dis-je, qu’il existe d’autres exemplaires de ce numéro ?

— Bien entendu, me répond-elle, malgré qu’elle n’ait plus de culotte. Allons à la réserve.

Cette fois, c’est dans les sous-sols qu’elle m’entraîne. Bérurier nous rejoint à l’ascenseur. Quelque chose me surprend dans sa mise. Il est porteur d’une grosse pochette qu’il n’avait pas lorsque nous sommes arrivés. Une pochette blanche, avec une affriolante dentelle à la taille et à l’emplacement des cuisses.

HELSINKI (suite)

M. Kipeët Pluokksonkuü, le rédacteur en chef du journal, est entièrement barbouillé de consternation. La collection amputée d’une feuille, voilà qui perturbe singulièrement les fondements du journal, et le sien propre (enfin j’espère qu’il l’est).

Il est tout chauve, tout rose, tout sans importance, cet homme. Pas gros, mais les joues lourdes, façon bull mastiff et avec un regard couleur d’eau-de-vie quand on a fini de bouffer les cerises qui y macéraient (je me demande où je vais chercher des comparaisons pareilles, moi. Faut quand même avoir l’esprit dérangé).

Bon, passons sur cet exemplaire rasoirdé. Mais y a ultra-pire : plus un seul № 824 dans les réserves ! Alors là ! Alors là ! Il aurait une langue comestible, ce veau, il la donnerait au chat volontiers, espère !

Je lui demande s’il se rappelle le contenu des pages 87 et 88, mais comment veux-tu : il n’était pas encore au Dypaä Cekkoneri en 67. D’ailleurs toute la rédaction a changé en 70, année où l’ancien Dypaä a fusionné avec Nuüvelöbs.

Nous restons sur notre faim.

Bérurier, qui calme la sienne en dévorant une quantité de sandwiches au caribou puisés dans l’appareil distributeur mis à la dispose des journalistes et qui — ô miracle ! — fonctionne aussi avec des jetons de téléphone français, Bérurier, reprends-je, laisse tomber son hypothèse.

— Si vous voudrez mon avis, les mecs, y a lulure qu’on a dégagé ces canards. D’après selon moi, c’te photo avait dû fout’ la merde au moment de sa paraison.

PARIS

— Sais-tu quelque chose à propos du quatrième ?

Nous sommes toujours dans l’antichambre directoriale, en attente du Vioque. Tu te souviens ? Ah ! faut faire gambiller ta matière grise dans ce polar, mon drôle ; à la manière que je t’y balade d’avant en arrière, tantôt précédant l’action, tantôt lui cavalant au prose. Faut lutter contre l’engourdissement cérébral. Faire naufrage dans son propre esprit, c’est le pire qui peut arriver aux hommes. Un brin de gymnastique intellectuelle ne nuit pas. Bon, s’il y a des birbes abasourdis par l’existence qui peinent pour suivre, ils n’ont qu’à sauter en marche et vite aller se faire foutre. Mais j’engage les plus jeunes à continuer, tenir bon, pas se laisser décoller par une pointe de vitesse. Ce Sana, je l’ai décidé ainsi, vagabond du chronologique. Fallait. Tout ce qui s’est passé est si rapide, échevelé, haché, multiple, différent.

Donc, on attend le Dirluche. Il en met du temps pour expliquer ma brutale carence à la dame ricaine et douiller la piaule. Je pige son calcul d’avoir voulu s’en charger lui-même étant donné qu’on a besoin de lui pour décider. Les inférieurs privés de leur chef sont des rouages sans remontoir. Ça vient du système qui supprime les initiatives. Un gars qui en prend est mis dare-dare sur la touche. C’est pourquoi tant de seconds, en matière d’administration, sont des moudus, des connards-traîne-dossiers, jus de chique et cerveau poisseux, soumis de nature, approbationnistes inconditionnels. Ils sous-commandent. L’autorité, pour eux, c’est de transmettre. Ce ne sont pas des hommes, mais des courroies.

Béru vient de m’expliquer en détails son fiasco de Rome. La manière qu’il s’est laissé biter par un gusman au self-control étourdissant. Et alors, on se récapitule le tableau de chasse des « autres ». Arthur Rubinyol, décédé ; Moshé Inkermann, décédé ; Aldo Petrini, décédé ! Recta. Travail soigné, implacable. Et tous trois assassinés de la même manière : éventrés. Le premier par un lion, les deux suivants au lingue. Ne reste plus que le quatrième. Il me turlubite la pensarde, ce petit dernier.

— Non, j’sais rien, j’reviens d’rentrer ; j’attends le Daron. Tu croyes qu’il va bientôt viendre ?

Son doute est conspué par l’organe du Tondu, réverbéré par la cage d’ascenseur.

— Comment se fait-il que la cabine soit en haut lorsque j’arrive, Poilala ?

Voie éperdue du brigadier Poilala :

— C’est M. Pinaud qui l’a empruntée, monsieur le directeur et qui aura omis de la renvoyer !

— Et vous ne pouviez pas la rappeler, me sachant sorti, Poilala ? Je vous croyais mieux organisé. Vous me décevez, Poilala. Oh que vous me décevez !

Le ton du malheureux Poilala, écrasé de honte et de désespoir, fendrait le cœur d’un artichaut.

— C’est une inadvertance, monsieur le…

L’Archichauve imperturbe :

— Inattendue chez un garçon comme vous que je trouvais sérieux…

Pendant tout ça, la cabine s’enfonce avec son ronron laborieux et hydraulique. On a le temps de faire trois aller-retour à pince pendant qu’elle descend. Mais pour le Vieux, cet ascenseur est sacré car il est le véritable carrosse de sa puissance. Nul autre que lui n’a le droit de l’utiliser.

D’ailleurs, sa réaction vient en son temps.

— Poilala !

— Monsieur le… ?

— En vertu de quoi César Pinaud s’est-il servi de mon ascenseur ?

— C’est que… Vous savez qu’il n’est pas très bien en ce moment, monsieur le…

— Est-il capable de marcher ?

— Certes, monsieur le…

— Un homme qui peut marcher n’est jamais très mal, Poilala.

— C’est vrai, monsieur le…

— Curieux que vous ne protégiez pas mieux un ascenseur de fonction, placé sous votre surveillance. Poilala, mon garçon, vos facultés baisseraient-elles ?