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Ça signifie que la maison souhaitée s’élève dans la première clairière en bordure du petit lac se trouvant dans l’île située dans le grand lac. Lequel grand lac…, etc. Car, en Finlande, les lacs sont gigognes, comme les comptes bancaires des Iraniens installés à Genève.

Et voilà que nous partons dans la forêt finnoise, toute bruissante de colibrius et fleurant good la résine et l’aiguille de pin. La petite Chaglaate m’explique qu’elle m’adore, que je l’ai commotionnée et que son rêve joli serait de devenir ma femme. Et poum ! Sans autre forme de procédé. Merci, mam’zelle. Je lui roule une galoche humide de promesse, manière de lui donner à accroire que je suis very happy, christmas et tout. Note qu’elle a raison de demander. C’est mieux que ces rombiasses pourlécheuses qui te rôdent autour avec des anneaux nuptiaux plein les orbites, en essayant de t’amener à composition. Avec ces gourdegandines, t’es obligé de finasser, biaiser, slalomer, feinter, éluder, à en perdre le souffle, le boire, le manger et l’envie de les calcer. La môme Chaglaate dépose son jeu sur la table. Je lui rétorque, après ce mimi goulu, que je suis en pleine carrière et qu’un gars ne peut mener deux choses aussi importantes qu’une carrière et un foyer de front, sans risquer de voir pousser des cornes sur ledit front. Un peu plus tard, je reviendrai la chercher, et si elle est toujours disponible, nous aviserons. Quitte, si elle ne l’est plus, à cocufier son époux à la santé de nos souvenirs.

Béru, qui déteste que je cause étranger, s’arrête pour licebroquer sur la mousse finlandaise, laquelle feutre son émission. L’air embaume. Il vibre. L’once croix raie dans une immense église aux vitraux d’émeraude. C’est capiteux, monastique, dérapant (à cause des aiguilles de pin) et extra-hygiénique.

Bon, tout ça.

Voilà que nous parvenons en vue de l’exploitation des Tanktuuvouudraä, une solide construction au toit massif. Un grand gonzier brun à moustache rousse et aux yeux verdâtres scie des troncs de sapin pour les déguiser en planches. Car c’est un forestier. La nuance entre un forestier et un bûcheron est la suivante : le forestier scie dans le sens de la longueur, toujours. Tandis que le bûcheron, vu qu’il fait des bûches, scie dans le sens de la largeur. Le premier prolonge la vie de l’arbre puisqu’il permet de le convertir en meubles ou en charpentes. Le second est son incinérateur, compte tenu que tu ne peux extraire autre chose d’une bûche que des calories.

Chaglaate s’approche et lui demande s’il ne serait pas, d’hasard, M. Tanktuuvouudraä.

Le gars cesse de scier et déclare :

— Danlkuü laaba léyeth.

— Il nous prie d’entrer, m’explique ma compagne.

Il est plus âgé qu’il n’y paraît, le père de la fameuse Ianora. Mais il se tient droit comme un « ï » tréma. Déjà, notre arrivée remue le ménage et des îliens surgissent par tous les pores de la maison : des vieux, des jeunes, des comme ci, des comme ça. On est le pôle (Nord) d’attraction de la crèche.

On entre dans une grande belle pièce carrelée, avec la télé couleur, un fauteuil à bascule pour le chef-grand-père, une immense table, des bocaux de harengs : à la crème, à la tomate, au paprika, à la graisse de phoque, au sucre candi, à la russe, de la Baltique, salés, à la laitance de cachalot, au foutre de marsouin, à la confiture de framboises du cercle arctique, à l’alcool de sapin, aux oignons, au sirop d’érable, au râble de lièvre, au rabe de râble, au miel, à l’huile de foie de morue et de chez Fauchon.

Le grand moustachu va chercher une boutanche d’akvavit (et bien), des verres finement ciselés. Il sert une tournanche pour le plus grand bonheur du Mastar, lequel demande à la forestière, une belle blondinette de cent quatre-vingts livres à fibrome, la permission de goûter aux z’harengs (terribles). La dame comprend et apporte une assiette. Mister Mammouth s’installe comme devant une batterie et commence à piocher dans les bocaux, usant de deux cuillers à la fois.

Je dicte les questions au fur et même à mesure. Le plancheur de troncs écoute, vidant son verre, le remplissant à nouveau, jusqu’à tant que Bérurier, agacé par ce manège solitaire, lui pique la boutanche d’un geste péremptoire en grommelant :

— Dis, tu permets, Narcisse, tu vas pas t’faire ta joie de viv’ tout seul !

— Vous avez bien une fille appelée Ianora ? questionne ma blonde Chaglaate.

— Fign’dée, répond le déboiseur en acquiescant.

— Elle fut bien élue Miss Finlande en 1967 ? continue ma jolie partenaire.

— Stéggzaatt, dit le brun à moustache rousse (ou bien il se teint les tifs, ou bien il a bu son café dans un seau de minium).

— Où se trouve votre fille présentement ?

— Aa Méémle !

Chaglaate me traduit :

— Elle est à Méémle.

C’est en Finlande, ça ?

— Il s’agit du prochain village, sur l’île Nfojuurédriien.

— Qu’y fait-elle ?

Elle pose la question dans sa gutturoulade habituelle.

— Baalpoö ! rétorque laconiquement le sapinmicide.

— Rien, traduit Chaglaate.

— Comment cela, rien ?

La question part dans le collimateur.

— Ianora nooraä pluu léklamsée, murmure le papa.

Et il récupère sa bouteille d’akvavit pour s’en litrogner une rasade épique.

— Mon Dieu ! a balbutié Chaglaate.

— Quoi donc, my love ?

— Il dit que Ianora est morte. Elle repose au cimetière de l’île Nfojuurédriien.

Une minute de silence.

Ou presque, car les femmes de l’assistance publique en profitent pour placer une petite chialerie express, vite fait sur le gaz.

Merde, comme disait la reine d’Angleterre, le jour où elle a pris le pan de sa robe d’amazone dans les étriers du colonel des horse-guards. Voilà que notre aventure tourne court. Le fil se brise. La môme tant recherchée et dont le portrait semble avoir motivé plusieurs meurtres est cannée également.

— Depuis longtemps ? je questionne.

Question torpille larguée ! Ça double les voyelles et pose du tréma à répétition dans le landerneau.

Réponse : elle est morte en 1971 à la suite d’une fausse couche. N’ayant pu percer au cinéma suédois, et après avoir posé pour quelques revues salopes danoises, elle est rentrée au bercail afin d’y épouser un autre forestier. Une mauvaise chute alors qu’elle allait devenir mère. Et c’est la vraie fausse couche. Puis l’hémorragie interne fulgurante. Le médecin se trouve dans l’île Héviilène, à deux heures de vingt chevaux Johnson d’ici. Il est arrivé trop tard pour la sauver, mais à temps pour délivrer le permis d’inhumer. Navrant. Pauvre petite reine de beauté, désenchantée puis terrassée à la fleur de l’âge. Pardon : de l’âage.

Alors ?

D’où vient tout ce bingntz autour de la photo ?

De son vivant, Ianora Tanktuuvouudraä a dû connaître une aventure particulière, non ? Des gens bizarres. Faire des trucs pas luthériens, j’sais pas. Peut-être au cours de sa période suédo-danoise ?

Bérurier déclare que tous ces harengs, pas mal, mais ça donne soif, et part en quête, à cause de ce moustachu de chiotte qui accapare la boutanche.

Je m’escrime, toujours par l’exquis canal de Chaglaate, à poser des questions au père. Qui fréquentait-elle, la petite Ianora ? Lorsqu’elle s’est repointée au patelin, a-t-elle reçu des visites ? A-t-elle parlé de son existence à Stockholm et à Copenhague ?

— Non, non, que fait le père. Personne n’est venu. Elle nous a rien raconté, sinon ses échecs : la queue dans les maisons de production pour essayer de décrocher un bout de frime. Et puis les queues dans les studios d’art où elle posait nue, le cul bien présenté, les cuisses plus écartées que les bras à de Gaulle quand il faisait du ville à ville pour « Je-vous-ai-comprendre ». Et les gonziers mal lavés, puant le bouc, qu’elle devait pomper en gros plan avec des mines extasiées de septième-ciel-tout-le-monde-descend !