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Oui : probablement un comédien. Et la gonzesse, une comédienne ? Je pense cela très vite, parce que t’as pas besoin de t’installer dans une chaise longue avec un verre d’orangeade glacée entre les doigts pour gamberger et que la pensée c’est foudroyant, galopant, bioutifoule d’instantanéisme, moi je dis.

— Il est beau tout plein, ce garçon, fais-je.

Mathias a un sourire qui se voudrait sarcastique, mais lui, le jour où il ressemblera à Méphisto, malgré son incendie portatif, moi je serai confondu avec monseigneur Makarios, le pauvre, qu’avait une si jolie barbe à gros flocons.

— Savez-vous l’âge qu’il a ?

— Là-dessus une petite trentaine, disons vingt-sept piges. Plus dix depuis la photo, également trente-sept.

— Ajoutez cinquante ans de plus, commissaire !

Je considère le Rouillé et je me demande à quoi il joue. Il est tout frais et il sent l’air humide. Au lieu d’inciser dans le vif du sujet, je le contourne.

— Tu es sorti ?

— J’ai fait un saut jusqu’à la Grande Taule, commissaire.

— Pour quoi faire ?

— Une petite virée aux sommiers. Ç’a été la croix et la bannière pour me faire ouvrir la vieille ganache de permanence. Et pourtant Rabouin me connaît. Mais enfin je vous ramène l’identité de ce personnage.

Il tapote le second rectangle, le petit, celui qui est écrit.

Mon geste est mal assuré et mon regard pis encore quand je saisis ce document pour lui prendre connaissance.

« Prince Ivan Bouffmapine, né à Saint-Pétersbourg le 14 juillet 1891. Officier dans l’armée du tsar. Se battit avec énergie contre les communistes lors de la révolution d’Octobre. Il fut fait prisonnier, s’évada aussitôt et quitta la Russie via la Finlande qui venait de proclamer son indépendance. Il y séjourna un certain temps, participant aux luttes qui opposèrent les troupes du général Mannerheim aux révolutionnaires rouges, lesquels furent vaincus. Il vint ensuite s’établir en France où il vécut depuis lors, seul et sans enfant. Il se trouve actuellement dans la maison de retraite des anciens chauffeurs de taxi.

Je dépose la fiche sur la photo, croise mes mains subclitoriciennes et me mets à fixer mon collaborateur comme un gosse réveillé en sursaut regarde son papa déguisé en Père Noël, la nuit du 24 au 25 décembre.

— Assieds-toi, fils !

Le Rouquin se pose sur un bord de fauteuil.

— Ça veut dire quoi, ce cirque, mon gars ? attaqué-je.

— Que la photographie publiée dans votre canard finnois en 1967 date de 1917 ou 18, monsieur le commissaire.

— Sûr ?

Il arrondit sa main pour en faire un toussoir et tousse dans le creux, bien humblement.

— Je suis navré, monsieur le commissaire. Lorsque vous m’avez demandé de contretyper la photographie dans l’atlas d’Arthur Rubinyol, je l’ai fait à la va-vite, sans prendre le soin d’étudier le grain de l’image.

— Je te l’avais pas demandé, mon grand garçon, rassuré-je.

Mais cet inquiet, ce scrupuleux n’entend pas mon absolution de cette oreille.

— C’est une précaution que je prends presque toujours, monsieur le commissaire. Si je l’avais fait, je vous aurais averti que cette photo avait été impressionnée sur de la pellicule Kodakzev 14 et que donc, fatalement, elle datait de soixante ans. Si vous l’examinez au microscope, vous constaterez que le grain de la Kodakzev 14 est en forme d’étoile et qu’il est plus espacé que…

Je cisaille ses commentaires au ras de la pâquerette.

— Donc, cette photo remonte à une soixantaine d’années ?

— A peu près.

— Et re-donc, la dame aussi a plus de quatre-vingts piges ?

— Bien sûr.

— Si bien qu’elle n’est pas la sœur des trois copains assassinés !

— Impossible.

— Alors, leur mère ?

— Probablement.

— Attends, ces types avaient tous les trois dans les quarante carats, non ?

— A quelques années près.

— Dis donc, elle les a eus sur le tard !

— Cela arrive.

— Comment as-tu obtenu l’adresse actuelle du prince Bouffmapine ?

— J’ai un ami qui est chef de bureau au Service des étrangers ; comme cela urgeait, je l’ai tiré du lit.

— Bravo.

Un temps.

Mathias ôte son bout de cul du fauteuil.

— Je réveille Bérurier ou bien on y va sans lui ? me demande-t-il.

Un ronflement plus véhément qùe les autres m’incite à la pitié.

— Laisse-le roupiller. Tu ne tombes pas de sommeil, toi ?

— Pensez-vous, monsieur le commissaire, c’est bien trop passionnant !

SAINT-GLINGLIN-SUR-LOING

Je suis pas raciste, mais franchement, les rouquins de la trempe de Mathias, t’es obligé de baisser ta vitre au bout d’un moment.

C’est insistant comme odeur ; outrageant, presque, moi je trouve. Ça désoblige l’olfactif. Ça porte au cœur en catimini. A force qu’on roule dans les banlieues lointaines qui finissent par se changer en proche province, j’y tiens plus de ses senteurs fauves, à l’Incendié. Avec ça qu’une nuit à peu près blanche te barbouille l’homme, tu comprendras que, sournoisement, je dégringole ma glace.

Frileux, la Carotte remonte le col de son veston, comme le font les condamnés à mort au théâtre avant de se mener fusiller, vu que ça frappe le sentiment du public, ce geste, cette attitude clochardienne.

Je crois bon de me justifier.

— J’ai les paupières lourdes, comprends-tu, fils ?

Il sourit.

— Oui, et je fouette, n’est-ce pas ? Il faudra qu’aux prochaines vacances je me mette au point un déodorant, un vrai. Tous ceux que j’ai essayés ne faisaient qu’accroître mon odeur.

Je proteste pour la forme ; respect humain oblige :

— Tu débloques, mec !

— Non, non, commissaire, je suis au courant. Le drame, c’est qu’on ne se sent pas soi-même, comprenez-vous ? C’est à force de voir les gens froncer les narines autour de soi qu’on finit par avoir des doutes. C’est un de mes gosses qui m’a affranchi, un jour, au cirque. Je lui faisais visiter la ménagerie. Il m’a dit : « Ça sent pire que dans ta chambre ! »

Mathias a un rire creux, lointain.

— Notez, ajoute-t-il, qu’il y a des femmes que ça excite. Elles prennent ça pour une garantie de virilité.

— J’espère que tu ne les déçois pas ?

Il ne peut pas rougir, c’est exclu, mais il a un ébrouement silencieux :

— Oh, moi, vous savez : bon époux, bon père, boulot-boulot, j’ai une vie sentimentale sans histoire.

— Tu ne vas pas me dire que la Claudette te file pas un petit coup de polish sur Nestor, quand vous êtes seuls ?

Ça lui coupe le sifflet. Il demeure silencieux. Qui ne dit rien consent. Lui, c’est plutôt qui ne dit rien, qu’on sent !

Et nous voici devant un panneau bleu sur lequel est rédigé en blanc : « St Glinglin s/Loing » parce que les panneaux indicateurs (de police en l’occurrence) ont tous les mêmes dimensions, que la localité se nomme Saint-Lô ou Saint-Glinglin-sur-Loing.

— C’est ici, déclare le Brasero, content de la diversion opportune.

Je lève le pinceau et roule à l’allure d’un corbillard en maraude. Saint-Glinglin-sur-Loing est un gros bourg qui s’étire sur la rive droite du, tu sais quoi ? Loing ! Il ne comporte qu’une rue principale, vachement principale, bordée de maisons d’un côté et de Loing de l’autre. J’aime les toits d’ardoise des demeures cossues, le cinéma Kursal, le garage du Loing, l’église Saint-Pierre-Paul-Jacques, le grand magasin des Dames-du-Loing, le groupe Jean-Jaurès, la poste, la poissonnerie Carpala, les Messageries de la Presse, la polyclinique du Dr Touchérec, la mairie, la boucherie Paul Dagnot, la pharmacie de l’angle, le Hall de l’électroménager, l’Hôtel du Loing, la boulangerie Jean Fourne, la gendarmerie, les Caves du Loing, le Palais du Meuble, le café du Petit Loing, l’Auto-Ecole Viradroite, le Tabac du Voltigeur, le cours de danse de Mlle Jeté-Bâtu, les Cycles du Loing et enfin, oh ! oui ; oh ! yes ; oh ! da ; oh ! si : la maison de retraite des Chauffeurs de Taxis Parisiens, dont le fort portail peint en vert bronze est sommé d’une banderole de fer, verte itou, très véry jolie bioutifoule, sur laquelle on a rédactionné la raison sociale de l’établissement en caractères de La Bruyère dorés.