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Tu veux que j’interrompe, laisse passer une page de publicité ? Non, tu peux suivre ? Ça te fatigue pas le cérébral ? T’as pas de fourmis dans le cervelet, bien vrai ? D’ac.

En Amérique, Arthur commence à faire carrière. Il est reconnu, fêté, adulé, acidulé, branlé, logé, nourri, tout ! De tempérament volcano-volage, il passe entre d’autres cuisses. Délaisse la Sdenka. Elle pleure, lui supplille la pitié. Il la console temps à autre d’un petit coup d’archet vite fait ; badigeon express. Puis va ailleurs, plus loin, là où la gloire le réclame. Sdenka, la pauvre gredine, se retrouve seule, sans ressources (mêmes thermales). Heureusement, grâce à Rubinyol, elle s’est fait quelques relations haut placées. Entre autres un général qui la branche sur les services secrets U.S. Ne réunit-elle pas toutes les qualités requises pour devenir une bonne espionne ? Elle est slave, jolie, instruite. Elle sait se servir d’un couvert à poissons, parle huit langues et suce comme une reine. Alors ?

Elle devient vite une gente agente, très active, bien rétribuée. Parcourt le monde. Vit dans les palaces. Baise avec les plus grands. Fréquente les ambassades, les chancelleries, le Vatican, le reste !

Elle hante (comme on dit puis) les plus grands coiffeurs, telle Mireille Mathieu dont le sien habite Le Creusot et fabrique aussi les casques des C.R.S. Elle est l’amie des artistes universels, des savants de réputation mondiale, des bâtisseurs façon Merlin (surnommé Rommel 2 parce qu’il a reconstruit le mur de l’Atlantique). Bref, elle est une souveraine dans son genre. Quelqu’un d’important, de fêté, et qui affure de la fraîche. Sa seule plaie vive ? Son amour pour Arthur, qui n’est pas payé de retour. Chaque fois qu’elle le peut, elle le traque pour connaître l’extase Et lui, qui n’en est pas à un coup de queue près et joue sur plusieurs claviers, ne rechigne pas à lui donner satisfaction entre deux concerts, entre deux trains. Elle tente le grand coup (si l’on peut imprimer ainsi) en se faisant faire un enfant par lui). La voilà enceinte une première fois, elle prévient Arthur, le brigand bien-aimé fait la sourde oreille. Elle a son enfant, mais l’abandonne à sa naissance. Quelle curieuse mouche — ou araignée — pique alors cette femme pour qu’elle ait soudain besoin d’être à nouveau enceinte du grand Arthur. Mystère. Le fait est là. Son amour déçu exige cette compensation. Elle veut garder, pendant neuf mois dans ses flancs, la trace de sa dernière étreinte avec l’amant idolâtré. Et par deux fois, encore, elle connaîtra le bonheur de la maternité. Les enfants ne l’intéressent pas. Lorsqu’elle les porte, elle va cacher sa taille dans une île des Bahamas ou des Hébrides (abattues), voire de Grèce. Puis elle accouche secrètement et fait déposer le fruit de sa passion (joli, non ?) dans le pays où il fut conçu : Rome pour Pietrini, Varsovie pour Inkerman, Paris pour Smoulard. De quelle manière s’y prend-elle ? Point d’interrogation. Elle a des appuis, des zélés, des obscurs qui lui sont tout dévoués. Et enfin, un jour, tout de suite après la naissance de son dernier, elle part « en mission » dans son pays d’origine, la Russie. C’est là qu’on perd sa trace. Elle s’évapore. Fini de Sdenka. Les services secrets américains essaient d’en savoir plus. Mais le brouillard demeure entier. On enquête discrètement au sein de sa famille, du moins de ce qu’il en reste. Zéro. Sdenka a disparu. Elle s’est engloutie dans les steppes de son immense pays. Un coup du Guépéou ? Sûrement. On la porte disparue.

Ce bougre de comte Yabézeff se tait. Son cigare le fait tousser. Des gouttes de transpiration ressemblant à de la sueur en forme de sudation perlent à ses tempes aussi dégarnies qu’une choucroute de restaurant à prix fixe. Je te parie que le Davidoff est trop costaud pour sa pomme. Pourtant il continue stoïquement de le téter, expulsant des bouffées de plus en plus orageuses.

— Passionnant, votre exquise Excellence, déclamé-je. Mais comment le prince Boufftapine a-t-il été au courant de cette extravagante histoire d’amour ?

L’homme au col d’hermine s’ébroue. Les poils blancs de sa fourrure continuent de voleter autour de lui. Il ressemble à une vieille locomotive sibérienne haletant dans une tempête de neige.

— Dans la vie, il y a toujours hasard ! annonce-t-il.

Ensuite de quoi, il se dégueule légèrement dessus, parce que franchement, il n’a pas l’habitude du cigare, surtout à cinq heures trente-quatre du matin.

Mathias et moi faisons semblant de nous apercevoir de rien. Il est des instants qu’on doit se garder d’interrompre.

— Quel hasard, ô cher duc ? le monté-je en grade, manière de le survolter.

Il tousse, se paie une seconde petite giclette et repart. Peu de temps avant qu’il ne prenne sa retraite, le Père G 7, né prince Boufftapine, a chargé un client à Charles-de-Gaulle. Soudain, en le contemplant dans son rétroviseur, il sursaute : ce passager de son bahut n’est autre que Rubinyol, l’homme exécré qui a détruit sa vie. Il ne peut se contenir. Il le prend à partie. Rubinyol fait amende honorable. Il regrette, ignorait que la Sdenka était pareillement aimée du prince. La vie est mal faite quand elle oublie d’assurer la réciprocité en amour. Comme souvent, les deux rivaux sympathisent. Parvenus à l’hôtel d’Arthur, ils restent ensemble pour continuer la discussion. Vodka et re-vodka. Souvenirs, confidences. Ils se beurrent la gueule, se disent tout. Rubinyol fait état de ses enfants inconnus. Lui non plus n’a pas la fibre paternelle développée. Il les cite en référence de la fantaisie de Sdenka. Comme on en raconte une bien bonne. Quand le prince et le virtuose se quittent, ils en ont l’un et l’autre un grand coup dans les galoches.

Et puis Arthur repart après son concert, ailleurs, très loin…

Le prince reste à ruminer cette nouvelle tranche de vie de la femme aimée qu’il ignorait jusqu’alors.