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— Pas possible. Vous connaissez Mathieu Mathieu ?

— C'est pas son nom… Le prénom, oui… Mathieu, justement. Mathieu Mathias, ça y est ! Et je peux même vous dire qu'il est recherché par la police… Quoique non, maintenant il y a prescription… Attendez, nous allons voir ça… Il me semble qu'il avait tué sa femme alors qu'il se trouvait en état d'ivresse…

Il compulse son fourbi à la lettre « M ». Ses doigts menus feuillettent des fiches à une allure de rotative en folie.

— Nous disons, Mathias… MA… THI… AS ! Ça y est !

Il cramponne un rectangle de bristol auquel est épinglée une photographie. Pas d'erreur, avec dix ou douze années de moins sur les côtelettes, c'est bien le même bonhomme que sur la photographie des pêcheurs réunis.

Il lit :

Mathias Mathieu, né le 18 janvier 1905 à Bézezy-le-Fignedé (Seine-et-Eure), domicilié impasse du Professeur Grodu, à Asnières. Marié à Le Gougnafié Solange. Tourneur sur jugulaires. A tué sa femme le 23 avril 1953 au cours d'une crise d'éthylisme. A disparu. Recherché par le parquet de la Seine.

Je rends le carton au père Cataplasme.

— Merci. C'est tout ce que je voulais savoir.

Eh bien, on dirait que les choses ont l'air de se précipiter, non ?

Ragaillardi, je grimpe chez le Vieux.

Les mains au dos, le front plissé, la rosette éclatante et l'œil troublé, le Boss arpente la moquette de son burlingue.

— A votre avis, mon bon ami (car je suis en train de redevenir son bon ami). A votre avis, répète-t-il (car il sait que vous avez la mémoire qui roule sur la jante) ce serait donc le jardinier qui aurait tué le comte de Martillet-Fauceau ?

Je branle le chef.

— Pas forcément, monsieur le directeur…

Il fronce les sourcils.

— Comment, pas forcément ?

— J'ai l'impression que le comte s'est suicidé. Ecoutez, je vais vous donner ma version des événements. Gaétan de Martillet-Fauceau reçoit un coup de fil délirant de cette folle Natacha qui lui signifie que tout est terminé entre eux. Il la supplie. Elle est intransigeante. Il est comte avant tout. Son esprit descendant de Croisé reprend le dessus. Il menace de se suicider. Elle rit et lui raccroche au nez. Alors, il se tire…

— Trois balles dans le cœur ! plaisante le Boss.

— Parfaitement. N'oubliez pas qu'il était penché au-dessus de la table supportant le téléphone. Pour tourner l'arme contre sa poitrine il a dû prendre appui avec le bras sur ladite table. Son doigt s'est crispé… Les trois balles sont parties… Il est tombé…

— Mais il…

— Je sais, interrompé-je : il tenait le combiné de sa main droite et il n'était pas gaucher. Mais à mon avis, c'est là que Mathieu Mathias est intervenu. Alerté par les détonations le jardinier est entré. Personne n'apparaissant, il s'est livré à une mise en scène pour une raison que j'ignore encore mais qu'il nous expliquera, j'espère, si on lui remet la main dessus.

— C'est insensé ! s'écrie le Tondu. En général, ce sont les crimes qu'on essaie de camoufler en suicide, et non pas les suicides qu'on travestit en meurtre !

— En général, c'est vrai, monsieur le directeur ; mais il est des exceptions pour confirmer la règle. Je sens que Mathieu est l'une de ces exceptions.

— Soit, après ?

— Après, il a repris son travail et a attendu. Le valet de chambre a donné l'alarme et Mathieu est allé quérir le docteur.

Le Boss est de plus en plus sceptique. Il se renfrogne et son nez pompe un air qui lui reste sur les éponges.

— Pourquoi a-t-il disparu ?

Je me marre.

— Ça y est, j'ai trouvé. Voilà ce qui s'est passé, patron. Mathieu fait le jardin. Trois détonations éclatent. Il entre, voit son patron mort et comprend qu'il s'est suicidé. Dans le tiroir où le comte rangeait son revolver il y a quelque chose qui excite la convoitise de Mathieu : de l'argent ! Il l'empoche. Mais il craint d'éveiller les soupçons en donnant l'alarme. Alors il veut faire croire au vol. Il colle l'appareil téléphonique dans la main du comte. Puis il emporte le fric, le cache dans sa gamelle et enterre celle-ci dans les rosiers. La suite, nous la connaissons : il va chez le docteur, il répond aux questions des enquêteurs, etc… Le lendemain, il revient déterrer sa gamelle, puis il disparaît.

— Après avoir tué son chien ?

— Oui. N'oubliez pas que Mathieu est un ivrogne. Une brute qui a jadis trucidé son épouse. Son chien voulait le suivre. C'était trop risqué. Alors, il a éventré la pauvre bête d'un coup de fourche et il est parti. Sans doute est-il allé s'installer dans un quelconque village, comme il le fit il y a plus de dix ans : Peut-être, plaisanté-je, se fait-il appeler Mathias Mathias maintenant ? Nous le retrouverons, patron. Et vous verrez que j'ai vu juste.

Le Vieux sourit.

— Après tout, c'est possible. Ma conviction à moi est qu'il a assassiné le comte.

Il fait claquer ses doigts.

— Mais dites donc, j'y pense, et les autres candidats ?

— Ça n'a rien à voir avec Mathieu, monsieur le directeur. D'ailleurs le troisième est mort accidentellement.

Il hausse les épaules.

— Et le second s'est tranché la gorge en se rasant ?

— Non. D'après moi, seul le deuxième meurtre est vraiment un meurtre.

Le Boss hausse les épaules.

— Un suicide, un meurtre, un accident ? C'est bien ça ?

— Exactement, patron.

— Vous aurez du mal à faire accepter ça aux journalistes !

— J'aurai des preuves !

— Dieu vous entende. Mais il me semble que vous oubliez un détail important.

— Lequel ?

Il s'assied à son bureau et caresse du bout des doigts les dorures de son sous-main de cuir repoussé.

— L'attentat dont vous fûtes victimes ce matin, Bérurier et vous !

Je fais la grimace. C'est pourtant vrai. Je n'y pensais plus. Ma parole, il va me flanquer le cafard, ce vieux bonze. Je préfère m'en aller.

CHAPITRE XVII

Je vérifie l'alibi du gendre de feu Lendoffé avant de reprendre la route de Bellecombe. De ce côté-ci, pas de problème : inscrivez pas de chance et effacez le tableau. Le bambocheur a bel et bien passé l'autre nuit à Pantruche, en galante compagnie comme il m'en a fait l'aveu. Deux heures plus tard, je débouche sur la place de la mairie de Bellecombe. Elle est noire de monde. Pas la mairie, la place.

Juché sur un tonneau, Diogène triomphant, coiffé d'un canotier chevaleresque et flanqué de Morbleut et d'un Pinuche plus cachenézé que jamais, Béru prononce une allocution qui soulève les foules.

— Ce matin z'encore, l'assassin a essayé de m'avoir. Mais, je vous l'ai annoncé, pas plus tard qu'hier soir, Bérurier, on ne se le fait pas si vite ! Me revoilà plus que jamais, mes amis. Et moi, Béru, je vous l'annonce. Quand c'est que je serai votre député, jamais les affaires seront allées aussi mieux et jamais Bellecombe sera été si bellecombais !

On le porte en triomphe, Pinuche rit à travers son rhume.

Je fends là populace pour arriver jusqu'à lui.

— Il n'y a pas eu de bobo, pendant mon absence, Vieillard ?

— Penses-tu ! proteste Pinaud. C'est fou ce qu'il est aimé, notre Gros !

Il renifle à plusieurs reprises et dit en toussotant dans le creux de sa main.

— Par exemple, je me demande pourquoi il s'est adjoint un adjoint pareil ! Il n'avait qu'à me faire signe, je lui aurais volontiers rendu ce service !

Morbleut qui a l'oreille fine pour un ancien gendarme devient écarlate.

— Vous, le poisson-chat, fait-il au débris, je vous abstiens de ce genre de réflexions. Je suis l'ami intime d'Alexandre et…

— L'ami intime d'Alexandre, c'est moi, certifie le brave et doux Pinuche. Demandez plutôt au commissaire San-Antonio.