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MARC LEVY

VOUS REVOIR

2005

Et si c’était vrai… 2

ROBERT LAFFONT

Arthur régla sa note au comptoir de l’hôtel. Il avait encore le temps de faire quelques pas dans le quartier. Le bagagiste lui remit un ticket de consigne qu’il enfouit dans la poche de sa veste. Il traversa la cour et remonta la rue des Beaux-Arts. Les pavés lavés à grands jets d’eau séchaient sous les premiers rayons de soleil. Dans la rue Bonaparte, quelques devantures s’animaient déjà. Arthur hésita devant la vitrine d’une pâtisserie et poursuivit son chemin. Un peu plus haut le clocher blanc de l’église de Saint-Germain-des-Prés se découpait dans les couleurs de cette journée naissante. Il marcha jusqu’à la place de Fürstenberg, encore déserte. Un rideau de fer se levait. Arthur salua la jeune fleuriste vêtue d’une blouse blanche qui lui donnait une ravissante allure de chimiste. Les bouquets anarchiques qu’elle composait souvent avec lui fleurissaient les trois pièces du petit appartement qu’Arthur occupait il y a deux jours encore.

La fleuriste lui rendit son salut, sans savoir qu’elle ne le reverrait pas.

En rendant les clés à la gardienne la veille du week-end, il avait refermé la porte sur plusieurs mois de vie à l’étranger, et le plus extravagant projet d’architecture qu’il avait réalisé : un centre culturel franco-américain.

Peut-être reviendrait-il un jour en compagnie de la femme qui occupait ses pensées. Il lui ferait découvrir les rues étroites de ce quartier qu’il aimait tant, ils marcheraient ensemble le long des berges de la Seine où il avait pris goût à se promener, même les jours de pluie, fréquents dans la capitale.

Il s’installa sur un banc pour rédiger la lettre qui lui tenait à cœur. Quand elle fut presque achevée, il referma l’enveloppe en feuille de Rives sans en coller le rabat et la rangea dans sa poche. Il regarda sa montre et reprit le chemin de l’hôtel.

Le taxi ne tarderait pas, son avion décollait dans trois heures.

Ce soir, au terme de la longue absence qu’il s’était imposée, il serait de retour dans sa ville.

1.

Le ciel de la baie de San Francisco était rouge flamboyant. Au travers du hublot, le Golden Gate émergeait d’un nuage de brume. L’appareil s’inclina à la verticale de Tiburon, il perdit lentement de l’altitude, cap au sud, et vira à nouveau en survolant le San Mateo Bridge. Depuis l’intérieur de la cabine, on avait l’impression qu’il allait se laisser glisser ainsi vers les marais salants qui luisaient de mille éclats.

*

Le cabriolet Saab se faufila entre deux camions, coupa trois files en diagonale, ignorant les appels de phares de quelques conducteurs mécontents. Il abandonna la Highway 101 et réussit à emprunter de justesse la bretelle qui menait à l’aéroport international de San Francisco. Au bas de la rampe, Paul ralentit pour vérifier son chemin sur les panneaux indicateurs. Il râla après s’être trompé d’embranchement et fit une marche arrière sur plus de cent mètres afin de retrouver l’entrée du parking.

*

Dans le cockpit, l’ordinateur de bord annonça l’altitude de sept cents mètres. Le paysage changeait encore. Une multitude de tours, plus modernes les unes que les autres, se découpait dans la lumière du couchant. Les volets d’ailes se déployèrent, augmentant la voilure de l’appareil et l’autorisant à réduire encore sa vitesse. Le bruit sourd des trains d’atterrissage ne tarda pas à se faire entendre.

*

À l’intérieur du terminal, le panneau d’affichage indiquait déjà que le vol AF 007 venait de se poser. Paul déboula hors d’haleine de l’escalator et se précipita dans l’allée. Le marbre était glissant, il dérapa dans le virage, se rattrapa de justesse à la manche d’un commandant de bord qui marchait en sens inverse, eut à peine le temps de s’excuser et reprit sa course folle.

*

L’airbus A 340 d’Air France avançait lentement sur le tarmac, son drôle de museau se rapprochait de façon impressionnante de la vitre du terminal. Le bruit des turbines s’étouffa dans un long sifflement et la passerelle de quai se déploya jusqu’au fuselage.

*

Derrière la cloison des arrivées internationales, Paul se courba, mains en appui sur les genoux, à la recherche d’un second souffle. Les portes coulissantes s’effacèrent et le flot des premiers passagers commença de se déverser dans le hall.

Au loin, une main s’agitait dans la foule, Paul se fraya un chemin à la rencontre de son meilleur ami.

— Tu me serres un peu fort, dit Arthur à Paul, qui lui donnait l’accolade.

Une kiosquière les regardait, attendrie.

— Arrête, ça devient très gênant, insista Arthur.

— Tu m’as manqué, tu sais, dit Paul en l’entraînant vers les ascenseurs qui menaient au parking ; son ami le regarda, moqueur.

— Qu’est-ce que c’est que cette chemise hawaïenne, tu t’es pris pour Magnum ?

Paul se regarda dans le miroir de la cabine et fit une moue en refermant un bouton de sa chemise.

— Je suis allé ouvrir la porte de ton nouveau chez-toi à Delahaye Moving, reprit Paul. Les déménageurs ont livré tes cartons avant-hier. J’ai mis un peu d’ordre, comme je pouvais. Tu as acheté tout Paris ou tu as laissé quand même deux ou trois choses dans leurs magasins ?

— Merci de t’être occupé de ça ; l’appartement est bien ?

— Tu verras, je pense que tu vas aimer, et puis tu n’es pas loin du bureau.

Depuis qu’Arthur avait achevé l’imposante construction du centre culturel, Paul avait tout fait pour le convaincre de revenir vivre à San Francisco. Rien n’avait compensé le vide qu’avait creusé dans sa vie le départ de celui qu’il aimait comme un frère.

— La ville n’a pas tant changé, dit Arthur.

— Nous avons construit deux tours entre la 14e et la 17e Rue, un hôtel et des bureaux, et tu trouves que la ville n’a pas changé ?

— Comment se porte le cabinet d’architecture ?

— Si l’on met de côté les problèmes que nous avons avec tes clients parisiens, tout va à peu près bien. Maureen rentre de vacances dans deux semaines, elle t’a laissé un mot au bureau, elle bout d’impatience à l’idée de te retrouver.

Pendant la durée du chantier à Paris, Arthur et son assistante se parlaient plusieurs fois par jour, elle avait géré pour lui toutes les affaires courantes.

Paul faillit manquer la sortie de l’autoroute et traça une nouvelle diagonale pour rejoindre la bretelle qui desservait la 3e Rue. Un concert de Klaxons salua sa manœuvre périlleuse.

— Je suis désolé, dit-il en regardant dans son rétroviseur.

— Oh, ne t’inquiète pas, une fois que tu as connu la place de l’Étoile, tu n’as plus peur de rien.

— C’est quoi ?

— Le plus grand circuit d’autos tamponneuses au monde, et c’est gratuit !

Arthur avait profité d’un arrêt au croisement de Van Ness Avenue pour ouvrir la capote électrique. La toile se replia dans un grincement terrible.

— Je n’arrive pas à m’en séparer, dit Paul, elle a quelques rhumatismes mais elle tient le coup, cette voiture.

Arthur baissa la vitre et huma l’air qui venait de la mer.

— Alors, Paris ? demanda Paul plein d’enthousiasme.

— Beaucoup de Parisiens !

— Et les Parisiennes ?

— Toujours élégantes !