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Je passe devant ce monstre endormi pour franchir le seuil du palace. Dehors, le portier est en train de maîtriser trois pékinois en laisse, tandis qu’un chauffeur octogénaire aide une mémère centenaire à se hisser dans une Rolls millénaire.

— Vous chassez à courre, mon pote ? lui fais-je à mi-voix.

Il rit en biais, sur quatre centimètres carrés de visage, et murmure :

— Poupette et sa meute ! Vous parlez d’une tranche de vie !

Les horribles cadors jappent comme des perdus, leurs gros yeux globuleux exorbités. Enfin ils grimpent à leur tour dans le carrosse. La vioque passe un visage pareil à un accordéon fardé par la portière.

— Merci, mon ami, dit-elle. Il faut toujours être bon pour les animaux ; ce sont les seuls véritables compagnons de l’homme !

— Et ta sœur ? grommelle le portier, qui tonitrue dans le sonotone de la médème :

— Certainement, madame la comtesse !

L’auto s’évacue avec une lenteur de travelling.

— Quant au pourboire, me dit l’homme galonné, je suppose qu’elle fera un virement sur mon compte chèques postaux.

Je glisse un petit bifton dans sa grande main.

— Dites, camarade, j’ai besoin d’un tuyau… Ce matin, d’assez bonne heure, la petite Noire qui était au service de Patricia Sam-Hart est sortie.

— Oui, reconnaît le portier. Drôlement bien roulée, entre parenthèses, cette fille…

— Je crois qu’une bagnole l’attendait, non ?

— Exact. Elle est sortie, elle a regardé à gauche, à droite, comme si elle cherchait quelqu’un.

« Vous voulez un taxi, miss ? je lui ai proposé. À ce moment-là, une voiture s’est avancée. « Je crois que c’est ça », m’a-t-elle répondu. Le chauffeur de l’auto s’est adressé à elle et elle a pris place…

— Que lui a-t-il dit ?

— Je l’ignore, il y avait toute la largeur de la terrasse entre nous.

— C’était quoi, comme auto ?

— Une DS noire.

— Vous avez reluqué la vitrine du conducteur ?

— Un noiraud, mais il avait un chapeau à large bord… Vous le décrire vraiment, c’est impossible ! De même que je n’ai pas pris garde au numéro de la bagnole.

Je remercie et vais rejoindre le quadrimoteur affalé dans le hall. Je le secoue. Progressivement, le Gros coupe les gaz et se réveille.

— T’as du neuf ? me demande-t-il en bâillant comme le tunnel sous le Mont-Blanc.

Je lui narre. C’est du neuf qui fait pas progresser outre mesure.

— Pas dif, détermine Sa Rondeur, quand l’Hyène a appris le décès de la vraie Patricia, il a kidnappé sa soubrette pour l’empêcher de causer. D’où je conclus que la soubrette savait des choses. Je me garderai bien de t’accabler, Mec, mais hier soir, quand tu t’es aperçu qu’il y avait maldonne, au lieu d’aller te zoner, t’aurais mieux fait de cuisiner la femme de chambre…

Il parle d’or, j’en conviens.

— Quand j’ai pigé cette monstrueuse erreur, Gros, je n’ai eu qu’une idée en tronche : l’oublier et laisser le Vieux aux prises avec ses responsabilités.

Je la boucle, fasciné par une pensée qui radine en droite ligne du sous-sol de ma mémoire.

Comme un dingue je me précipite vers les téléphones, je cramponne l’annuaire par numéros des Alpes-Maritimes (006, James Bond est battu d’une encolure), et je cherche à quoi, ou plutôt à qui, correspond le 34-21-19. En trois coups de langue sur l’index (afin de mieux tourner les pages) je découvre que ce téléphone est celui de la villa Rio Negro, à Cap-d’Antibes.

Nous frétons un taxi, et, en route !

— Tu crois qu’il s’agit d’une relation à la Patricia ? demande Bérurier, tout en respirant voluptueusement les senteurs de safran qui s’échappent des restaurants bordant le littoral.

— J’en suis persuadé. Quand la pauvre fille est rentrée, elle a rouscaillé à propos de cet appel et a déclaré qu’elle rappellerait ce matin…

On roule lentement, vu qu’il y a beaucoup de circulation. Le ciel est bleu, avec juste quelques écharpes de nuages, comme écriraient les dames du Femina dans leurs œuvres. La mer est frangée d’écume, ainsi qu’elles ne manqueraient pas d’ajouter. Comme on arrive devant le restaurant Tétou, Bérurier implore le chauffeur de s’arrêter. Il passe sa tête cabossée à l’extérieur et hume longuement, longuement, religieusement ; non pas l’air marin, mais les effluves de bouillabaisse qui s’échappent de l’honorable établissement.

— Ça va aller, maintenant, fait-il, comme la douairière en digue-digue après qu’on lui eût fait renifler des sels.

Il ajoute :

— Moi, si j’étais riche, la bouillabaisse, je ne ferais que ça…

Un portail de bois hérissé de fers pointus… La plaque grillagée d’un parlophone dans le pilier. Je sonne. Ça ne répond pas. J’attends, je resonne, puis re-resonne, mais en vain.

Dans la maison voisine, une soubrette me crie « qu’ils sont repartis ».

— Alors il n’y a plus personne ? m’alarmé-je.

— Non, me répond la mignonne enfant, car elle est ravissante, cette gamine, malgré sa bosse, la moustache qui masque son bec-de-lièvre et son strabisme convergent.

Sans me demander si je vais, ou non, la formaliser, je me penche sur la serrure. L’outil que vous connaissez bien, et qui, je le précise pour ceux qui me posent la question, a exactement la forme d’un chtreukshertpiètz, mais en plus pointu, me donne accès à la propriété.

Je débouche dans un grand jardin plein d’arbres exotiques. Toutes les essences les plus rares, depuis la chelkejème à fleurs persistantes, jusqu’au supérantart à feuilles caduques (de Berry), en passant par l’hesso tigrée à multiples actions pontificales… À droite, une piscine en forme de haricot… Au fond, une maison de style provençal ; et puis, plus au fond encore, la mer qu’on voit danser pour le 14 juillet le long des golfes clairs… Une féerie ! Hollywood ! Maison et Jardin ! Paul et Virginie ! Robinson et Crusoé !

Je remonte l’allée en foulant le merveilleux gravier rose qui chante sous mes semelles. J’atteins le perron, j’ouvre la double porte… Un immense living majestueusement carrelé s’offre à moi. C’est clair, c’est net, c’est pimpant, ça fait vacances… Au premier, sont les chambres, comme vous liriez dans un bouquin mal traduit de l’anglais. De belles chambres, luxueuses. Mais j’ai beau chercher, je n’y trouve aucun effet personnel. Cette demeure fait penser à une maison qu’on loue au mois. Chacun arrive avec un minimum d’effets qu’il remporte intégralement. Elle se patine, sans s’imprégner vraiment d’une présence… Je vais rôder près des postes téléphoniques, sans succès. Pas le moindre bout de note… Les corbeilles à papier sont vides. L’anonymat, quoi ! Va falloir questionner le voisinage.

Comme je ressors, j’avise, sortant d’un petit appentis, Bérurier, armé d’une épuisette de forte taille.

— Tu vas à la pêche, Gros ?

— Exaquete ! murmure-t-il sans s’arrêter.

— Et tu pêches quoi ? insisté-je en lui emboîtant le pas, le rouget ?

— Plutôt la morue, répond le Mastar. Et d’après sa couleur, ça pourrait bien être celle que tu t’es embourbée cette nuit.

CHAPITRE V

Tout n’est que réminiscences…

En me penchant au-dessus de la piscine dont l’eau bleue miroite au soleil, je repense au film « Sunset Boulevard »… Ce type noyé qui flottait, la face tournée vers le fond, les bras en croix…