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Seulement, le bon Dieu, lui aussi vous le connaissez ! Il s’y entend comme pas trois pour faire la sourde oreille, vous accuser non-réception de votre message.

Dans le hall, en réclamant ma clé au préposé, j’en profite pour lui demander le numéro d’appartement de Simon Cutepley. Vu que celui de la Hyène est contigu, il me sera de la sorte fastoche de le trouver sans éveiller l’attention, vous mordez l’astuce du mec ? Merci.

L’Hyène ! Je vous jure, les hommes sont des mômes. Plus ils sont socialement grands, plus ils sont intellectuellement débiles ! Le fin des fins, pour eux, c’est de se référer aux animaux. Il a accédé au règne supérieur, mais il a la nostalgie du bestiau, l’homme. Voyez les emblèmes royaux, par exemple ; tenez, celui de l’Angleterre, c’est quoi ? Un lion ! Et ceux des anciens monarques ? Des aigles ! Pourquoi pas une araignée, un dindon, un poireau ou du persil ? Pourquoi le laurier est-il plus noble qu’une belle botte de carottes, hein ? Le lion, roi, a-t-on décrété, des animaux, représente-t-il donc l’ambition suprême de la royale family, dites ? Alors leur rêve, aux souverains, ce serait d’être enfermés dans une cage, une patte sur un morcif de barbaque en poussant des petits rugissements d’aise ? Moi je veux bien, même que ça me ferait plus plaisir que de voir parader les gardes rouges sous leurs bonnets à poil ; tellement mécanisés les pauvres, tellement rabotés qu’on a envie de s’approcher avec un tournevis à la main, dès que l’un d’eux a un battement de paupière, histoire de vérifier ce qui ne colle pas dans ses rouages, s’il serait pas en train de chauffer une bielle, ou s’il aurait pas un boulon qui a pété son joint !

Ah ! Ces souverains, quels garnements ! Quoiqu’un gosse, quand il joue, quand il délire, il se prend jamais pour un aigle à deux tronches, pour un lion, une licorne ou un ours, vous remarquerez ! Il dit qu’il est d’Artagnan, Anquetil, James Bond, ou quelque autre mec fameux, héroïque et glorieux. Il se compare à des gars qui se sont dépassés, qui ont assuré leur légende, assumé leur vie, prolongé leur destin, pas à un truc qui rugit ou qui pond des œufs. Mais les grands, si ! Les Ricains, pourtant terre à terre, pourtant démocrates, eux aussi ont adopté l’aigle. Bande de crêpes, va ! Mômeries ! La devise universelle ? Toujours plus con !

On s’en débarrassera jamais, de la connerie ! Plus gluante, plus indélébile que le péché universel, elle est ! L’essuyer, c’est la doper ! Infinie, saharienne, océanique, cosmique ! On ne peut pas lutter. On a cru qu’avec l’instruction obligatoire on allait enrayer le fléau : mes choses ! Savoir et intelligence ne sont même pas cousins germains ! Pas même parents pauvres ! À l’échelle de la haute instruction, on retrouve les mêmes mômeries : le Nobel, le doctorat honoris causa, les décorations, les grades, les titres, les estrades, les lauriers que je vous causais y a un instant et qui sont tellement mieux à leur place dans le civet de lapin que sur le crâne chenu d’un savantissimo. Partout, toujours, dans les religions, les politiques, chez les rois, chez les sauvages, faut des oripeaux, de l’encens et des rites ; des courbettes, des chants de grâces, du plumeau, de la « chair à appâter ». Comment voulez-vous qu’on s’en sorte, mes drôles ? Et puis après tout, s’en sortir pour quoi faire ? Pour aller où ? La destination changera jamais : tchernoziom, fin de section ! Pascal a aussi bien pourri que ceux qui ne l’ont jamais lu.

Mais je suis, je cause, je tartine, je me fignole la gamberge alors que je suis payé pour vous raconter une history bien bathouze, frémissante, suspensive, avec viol, sang chaud, sang-froid à tous les étages.

On m’apprend donc que Simon Cutepley occupe l’appartement 612 bis, au sixième. Je réponds « merci bien » et je m’engage dans l’escalier.

Le 612 bis se trouve au bout du couloir. Si bien que « Dieu soit loué », un seul autre appartement lui est contigu. Je toque discrètement, pour si des fois la fausse Patricia Sam-Hart avait des larbins privés. Bien m’en prend car ça se met à remuer à l’intérieur. La porte s’ouvre sur une mignonne femme de chambre en noir et blanc (c’est elle qui est noire et ses vêtements qui sont blancs).

— What do you want ? me demande-t-elle en anglais et en supprimant les « r », ce qui n’est pas gênant, cette phrase n’en comprenant pas.

— Mister Cutepley, please, réponds-je, en chiquant au gnace qui se goure de lourde.

— Next door, répond obligeamment la ravissante brunette en me montrant la lourde du 612 bis.

Comme je ne me refuse rien pour mon standinge, j’y vais d’un « thank you véry much » qui ferait baver de jalousie M. Wilson soi-même.

La soubrette est réellement adorable. Moi, j’adore les Noires. D’abord elles sont plus faciles à repérer quand on les emmène aux sports d’hiver, et puis elles ont beau se faire décolorer les crins, elles ne ressemblent pas pour autant à des Scandinaves. Celle-ci est toute jeune. Elle a des traits réguliers, des dents blanches, des yeux très clairs et alors un châssis qui donnerait la chair de poule à un fabricant de bromure.

Je lui décoche mon sourire antiraciste numéro 1, celui qui est reconnu d’utilité publique et qui a tant fait pour le rapprochement des peuples et le repeuplement des proches. Elle y répond par un autre sourire.

— Vous ne faites pas partie du personnel de l’hôtel, lui demandé-je en anglais, mais en prenant soin de vous le traduire pour si des fois vous seriez incapable de lire le New York Herald Tribune.

— Non, me répond-elle, je suis au service de miss Patricia Sam-Hart.

— Si votre maîtresse est aussi belle que vous, ça ne me déplairait pas qu’elle devienne aussi la mienne, plaisanté-je, pour moi tout seul, car ce machin-là en anglais ne veut plus rien dire du tout.

Elle rit tout de même.

— Vous n’allez pas au Festival ? m’enquiers-je.

— Oh, non, quand je vais au cinéma, c’est à mes frais.

Ancillaire jusqu’à la moelle, quoi ! Pas résignée : acquise au système. Nuance !

Je prends une attitude de cinéma, style : le type qui baratine une fille dans un encadrement de porte. Je prends appui contre le montant et je croise mes jambes. Quand on est en smoking, vous remarquerez qu’une attitude désinvolte est davantage payante. Les petites soubrettes noires, elles sont pas plus connes que les bonniches made in Bretagne, mais elles sont tout aussi candides. Ça la flatte d’être baratinée par un beau gars (les frais de pommade sont à ma charge, laissez !).

— Vous trouvez pas qu’on s’harmonise merveilleusement ? je lui demande : vous êtes une Noire vêtue de blanc et moi un Blanc vêtu de noir, c’est un signe, non ?

Elle rit derechef.

— Et puis vous vous appelez Katy, dis-je, et il se trouve que je raffole de ce prénom.

— Comment savez-vous ça ? sourcille la douce enfant, émerveillée par mon sens divinatoire.

— La liste des choses que je ne sais pas tiendrait au dos d’un timbre-poste, fais-je, en m’efforçant de détacher mes yeux de la médaille qui lui pend au cou et sur laquelle le mot Katy est écrit en toutes lettres.

Elle a un hochement de menton.

— Et vous, vous allez au festival ?

— Je devais, mais je commence à ne plus en avoir envie. Votre patron s’y trouve ?

— Je vous dis que c’est une patronne, rectifie Katy, miss Patricia…

— Sam-Hart, c’est vrai, m’excusé-je. Si elle est au festival, elle ne rentrera pas avant une heure avancée de la nuit, ma colombe. Le film de ce soir va l’occuper un bout de temps : trois heures de projection, une heure pour sécher ses larmes car il est triste, une autre heure pour remettre son rimmel en place et une autre encore pour se remonter le moral avec du champagne, ça nous laisse six heures pour lier connaissance, vivre une grande histoire d’amour et prendre rendez-vous pour demain…