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— O.K. !

Elle m’accompagne jusqu’à la porte, on se fait miauler le dernier et nous nous désunissons pour le meilleur et pour le soupir.

Je grimpe dans ma cage à dorme pour attendre que mes quatre gouttes de « Good night les copains » aient fait leur œuvre et pour préparer mon matériel.

Une plombe plus tard, un ravissant jeune homme qui ressemble à moi-même autant que le père du duc de Bordeaux ressemble à mon cul frappe à la porte de l’appartement de miss Patricia Sam-Hart. L’homme dont à propos duquel je vous cause porte maintenant une gabardine en nylon léger par-dessus son smokinge, des chaussons caoutchoutés par-dessus ses targettes vernies et des gants de caoutchouc par-dessus ses mains aristocratiques. Il a coiffé une perruque de beatnik qui lui descend jusqu’au bassin (qu’il a aquitain et qui le fait ressembler au président Antoine — pas Pinay, Antoine tout court).

Personne ne répondant à son toc-toc, le personnage étrange et mystérieux sort de son imper un instrument qu’il a baptisé Sésame, en souvenir de son ami d’enfance Ali-Baba, et se met à tutoyer la serrure. Plein succès. Elle s’ouvre aussi facilement que, naguère, les jambes de la chère Katy.

L’homme entre. La porte se referme.

Faut voir comme elle en concasse, ma dulcinée du Toboggan ! Allongée sur le canapé, mains jointes, jupe retroussée… Je constate qu’avant de s’endormir elle a reçu un coup de tubophone car j’avise un feuillet près de l’appareil. Je lis : « Appeler le 34-21-19 ».

J’enregistre, puis je me mets en quête d’une bonne planque pour attendre le retour de la fausse miss Sam-Hart. Sa chambre est un coinceteau idéal. J’ai déjà mon petit plan pour ce qui est de « l’opération De Profundis » : la fenêtre… Elle donne sur un balcon isolé de celui des autres appartements par une double cloison agrémentée de plantes grimpantes. On est au sixième… Sans parachute, ça peut avoir des conséquences sur l’organisme, non ? Si je sais bien m’y prendre, ça risque même de passer pour un suicide.

Je fais jouer l’ouverture de la fenêtre de manière à pouvoir l’ouvrir du bout du pied le moment venu, ensuite de quoi je referme les rideaux et reste planqué derrière. Ça n’a rien de génial en fait de cachette, je sais bien, mais je n’ai pas la possibilité de me déguiser en peigne fin et de me planquer dans le tiroir de la coiffeuse, non ? Faut excuser la soumission du superman à la loi des volumes trop simples. Une pièce cubique, avec deux ou trois petits meubles et un lit trop bas pour que je me love en son rez-de-chaussée, c’est pas bézef. Alors, quoi, les rideaux, tout comme dans les bons vieux films d’épouvante de jadis. Maintenant il s’agit d’attendre. Je m’installe dans l’embrasure, jambes repliées, et le temps s’écoule…

C’est longuet, mais la seule chose dont on soit vraiment certain en ce monde, c’est que les secondes s’égrènent inexorablement. Certaines paraissent plus longues que d’autres, selon l’emploi qu’on en fait, certes, pourtant y a pas à douter du calibrage… Je me dis que ces minutes passeront, qu’elles passeront en foule, sur la face des mers, sur la face des monts, sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule comme un hymne confus des morts que nous aimons. Qu’est-ce qui m’arrive ? Voilà que je vous victorhugose ma belle littérature, par inadvertance. Comme si elle avait besoin de ça, ma prose ! Elle prendra bien des vers toute seule, comme tout un chacun.

Sur le coup de deux heures du matin, on carillonne à la grille du parc. La môme Katy n’en finit pas de se réveiller. Je vais vous faire une confidence, les gars : moi aussi j’en écrasais. Mais je suis lucide le premier. Ça tabasse en force à la porte. Enfin la jeune Noire (qui vraiment ne passe pas de nuits blanches) geint, grogne, bavoche et se traîne jusqu’à la lourde où elle se fait savonner les portugaises de première. Nerveuse, l’Hyène ! Elle tolère pas qu’on la fasse poireauter dans un couloir d’hôtel.

— Je m’étais endormie, mademoiselle, plaide Katy.

L’autre veut pas le savoir. Elle dit qu’elle paie et qu’elle veut être servie. C’est l’argument magistral, l’artiche. Ceux qui paient achètent avant tous des droits. Le droit d’être servi, d’avoir une auto en état de marche, une chambre confortable, une heure d’amour sans vérole, un avion qui ne tombe pas, et tout à lavement, comme dit si justement Bérurier.

Lorsqu’elle a bien houspillé sa larbine, elle lui demande s’il y a eu des appels tubophoniques, ce à quoi mam’zelle Noirasson rétorque que oui, et que le monsieur du 34-21-19 a réclamé sa patronne pour une urgence urgente. Patricia Sam-Hart dit qu’elle n’en a rien à foutre (comme elle le dit en anglais c’est moins choquant) et qu’elle appellera cet animal demain, ce qui personnellement m’étonnerait, vu les projets que j’ai et qui la concernent étroitement. M’est avis que, tout Hyène qu’elle soit, elle (ou plutôt il) a picolé sauvagement. Ça s’entend à sa rogne exagérée, à ses syllabes qui se dérobent, à sa respiration haletante.

À la fin, elle dit à Katy d’aller se pieuter. Lorsque la femme de chambre est partie, Patricia décroche le bignou et ordonne à la standardiste qu’on ne la dérange sous aucun prétexte. Comme elle est naze, elle tartine un couplet qui sert admirablement mon opération, comme quoi la vie la fait chier et qu’elle ne veut plus avoir de rapports, fussent-ils sexuels — avec ses contemporains. Vous trouvez pas qu’elle est drôlement coopérative, cette gosse ? Quelques instants avant de se faire buter, elle clame qu’elle en a marre de l’existence ; peut-on souhaiter mieux lorsqu’on est embusqué derrière les rideaux d’une fenêtre par laquelle on se propose de balancer la personne en question ?

Tout ça s’est passé au salon. Enfin, l’Hyène passe dans sa chambre. Elle n’a plus son étole à la main, mais une bouteille de raide. Je vous dis que c’est de la tarte à la crème, cette liquidation. Je comprends pas que les collègues du F.B.I. et ceux de Scotland Yard considèrent ça comme un exploit irréalisable.

Par le mignon trou que j’ai percé dans le rideau, je la vois porter le flacon à ses lèvres et téter goulûment cette mamelle écossaise. Elle fait « aaah », comme pour un orgasme de bonne qualité, puis pose le flacon et se torche les lèvres ainsi que ferait n’importe quel maçon venant d’écluser son coup de rouge pendant la pause-casse-croûte.

Brusquement, l’Hyène se cabre. La voilà qui mate en direction de la fenêtre. Ai-je bougé ? Toujours est-il qu’elle m’a repéré. Avec une promptitude inattendue, elle bondit à sa table de chevet. Dites, il a été bien inspiré, votre San-A. bien-aimé, de retirer les balles du Colt. J’espère ne pas en avoir oublié une. Dans ce cas-là, il faut bien faire le ménage à fond si on tient à conserver la santé.

Je sors de ma planque et me précipite au moment où elle se retourne pour défourailler. Au lieu de faire « boum-boum », ça ne fait qu’un pitoyable « clic-clic ». Elle n’a pas eu le temps de revenir de sa stupeur que je lui porte une clé qui devrait être celle des songes, mais dont elle se défait aisément. Je pige que rien de ce qui touche au judo ne lui est étranger. Une fameuse commère, ce gars-là ! Mieux encore, elle profite de ma surprise pour me filer un coup de crosse sur l’os qui pue (toujours se référer à Béru).

Je suis instantanément certain que les trente-six chandelles m’ont été intégralement livrées, aussi négligé-je de les compter. Faites comme moi, les mecs : ne ratiocinez pas. Ainsi, à la banque par exemple, ne recomptez jamais les liasses devant le caissier, des fois qu’il y aurait un billet de plus vous seriez marron.

Je me prends à part pour une mise au point et je me dis très exactement ceci, sans y changer une virgule : « San-A., cette bergère est un berger, ne l’oublie pas. Un terrible qui a toujours eu gain de cause. Si tu n’entreprends pas quéque chose d’astucieux et de considérable dans le millième de seconde qui va suivre, t’as intérêt à te commander des faire-part de deuil pour être certain qu’on n’oubliera pas tes titres, grades et distinctions de tous ordres. » Voilà ce que je me bonnis, parole ! Et ça me dope, quand je me parle entre deux yeux ! Comme j’ai fléchi et que je suis à genoux, la tronche ballottante ; comme je sens que cet enfant de sagouin lève sa rapière pour le coup de grâce, je bondis en avant. Mon crâne lui cigogne l’estom’. Son bras retombe, mais mollasson. Je me relève et je lui porte à la nuque un de ces parpaings susceptible de détromper un éléphant. L’Hyène s’écroule. Moi je trouve que ce baroud d’horreur a suffisamment duré. Comme le gnace est K.O., faut en profiter pour lui faire savourer les lois de l’attraction terrestre. Ainsi il se rendra compte de rien… Je le cramponne à bras-le-corps, le charge d’un coup de reins sur mon épaule et gagne la fenêtre.