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La voici bientôt à la caisse, le caddie plein. Elle hésite. Qu’est-ce qu’elle est en train de faire ? Elle ne voulait pourtant acheter que des tomates et des biscuits. Mais, force est de le reconnaître, tout ce qu’elle a pris pourra lui être utile.

Pensive, elle dépose ses commissions sur le tapis roulant et cherche son porte-monnaie. Les lunettes lui conseillent d’acquérir la carte de fidélité de l’enseigne et calculent combien elle économiserait.

Encore une carte ? s’interroge-t-elle en jetant un coup d’œil à son portefeuille. Elle refuse impulsivement et paye en liquide. Fini les courses avec lunettes !

« Le Président est hors de lui ! » tempête Erben. Les patrons des organismes de sécurité américains sont assemblés devant lui. Bien qu’ils soient tous coutumiers des longues réunions, leurs traits sont tirés.

« Ces types nous ont ridiculisés devant le monde entier ! Et ça aurait pu être pire encore ! Vous n’êtes pas sans savoir que les drones peuvent embarquer d’autres équipements que des caméras ! » Sa voix se fait plus cassante. « Le Président veut savoir pourquoi nous n’avons pu déjouer cette attaque. Il veut que nous les identifiions et exige que nous les attrapions le plus vite possible ! Orville ? »

Il se tourne rapidement vers le chef du FBI. Il peine à dominer sa colère envers ce nébuleux organisme. C’est le gang de la clef à molette !

« La diffusion a commencé à 10 h 13, heure de Washington », intervient Orville.

Erben est agacé à la seule pensée du visage figé et martial de ce type. Cette attaque aura eu au moins un mérite : des changements de personnel. Jusqu’aux échelons les plus hauts.

Orville passe les enregistrements du terrain de golf.

« À 10 h 16, les officiers de sécurité du Président ont été informés… »

On les voit manipuler leurs oreillettes, le Président et sa femme se baissent.

« Trois minutes, glapit Erben. Si ce truc avait été armé, on n’aurait plus de Président !

— Oui, mais pour ça, il aurait fallu qu’il soit plus gros. Et alors, on l’aurait vu arriver », répond Orville. Il lance la vidéo. « Trois minutes plus tard, les officiers de sécurité conduisent le Président dans le garage. Dans la précipitation, ils ont laissé entrer ces saloperies. »

Il met sur pause et désigne cinq ombres qui tombent des arbres derrière les véhicules.

« On a là cinq drones qui ont volé derrière la voiture jusque dans le garage.

— Sans qu’on les voie… » Erben lance un regard assassin à Orville.

« Tout est allé très vite », tente de se justifier le directeur du FBI. « Deux des drones n’ont pas fait que filmer, ils embarquaient également cinq robots chacun, équipés d’une caméra, qui se sont engouffrés dans le garage. Ils avaient la taille de mygales, ils étaient vifs comme l’éclair.

— Et si l’un d’eux avait eu du gaz de combat et qu’il l’avait répandu ? » tonne Erben. Il ignore qui, des activistes ou d’Orville, l’énervent le plus. « Ce n’est pas à exclure ! Le Président et sa famille assassinés ! Les images d’une lente agonie diffusées dans le monde entier ! Cette merde est pire que le 11-Septembre ! Elle prouve que l’homme le mieux protégé du monde n’est pas en sécurité ! Ces salopards se sont infiltrés au cœur même de notre nation ! Ils ont répandu le poison du doute et anéanti notre confiance dans les mesures de sécurité les plus extraordinaires de ces dernières années. Plus personne n’est en sûreté dans ce pays ! Et c’est pourtant votre putain de mission ! Qui a piloté ces merdes ? Et comment ?

— Jon ? » appelle Orville. C’est un assistant directeur. « Jonathan dirige l’enquête », ajoute-t-il.

Piètre manœuvre dilatoire. Orville, en se tournant vers lui, espère ainsi apaiser Erben. En vain.

Erben et Jonathan Stem sont amis depuis leurs études. Personne ne peut l’ignorer à Washington. À trente-sept ans, Jon est jeune pour le poste qu’il occupe. Ancien Navy Seal, blessé plusieurs fois et décoré à de nombreuses reprises, docteur en droit, il partage avec Erben le même goût pour l’autodiscipline qui les a conduits à ce niveau de responsabilité. Sans compter leur belle gueule.

« C’est Zero », dit Jon à voix basse. « Grâce à Internet. Les signaux de radiocommunication mobile sont passés par des systèmes d’anonymisation. Zero pouvait piloter ces choses depuis n’importe où dans le monde, grâce à un simple téléphone portable disposant d’une connexion à Internet. C’est la mauvaise nouvelle…

— Et alors ? » l’interrompt Erben, furieux. « Il est inconcevable que le Président perde la face devant le monde entier. S’il souffre d’un déficit d’image, cela affecte également ses proches collaborateurs. On espionne le monde entier et on n’entend parler ni de la planification de l’attaque ni de l’attaque elle-même ? Pour quelles raisons nos services de renseignement et les entreprises sous contrat touchent-elles des milliards tous les ans ? Pour se torcher le cul ?

— Nos investigations se concentrent sur trois aspects », tente Jon afin de ramener la conversation à un niveau plus rationnel. « Primo, les drones. Nous travaillons sur la provenance et l’acheminement de chacun de leurs composants, on fait tous les relevés classiques, ADN, empreintes, etc. On cherche également d’où viennent les cartes de téléphonie mobile et qui les a achetées. » Il s’éclaircit la gorge. « Deuzio, on travaille sur le stream vidéo. Les données ont été postées sur un compte YouTube et sur un site spécial, zerospresidentsday.com. Probablement par sécurité, au cas où YouTube aurait désactivé le compte pendant la transmission. Le site comme le compte ont bien été enregistrés au nom de quelqu’un. Les adresses e-mail liées, les IP, toutes les autres traces digitales ont été masquées, les noms sont empruntés et les adresses sont jetables. On a tout passé au crible. Tertio, Zero a publié au cours des années précédentes de nombreuses vidéos et un e-book traitant de la protection de la sphère privée, The Citizen’s Guerrilla Guide to the Surveillance Society. On est en train d’étudier tout ça, à la recherche du moindre indice.

— OK », fait simplement Erben.

Il ne peut en exiger davantage à ce stade de l’enquête. Sans compter qu’il a d’autres chats à fouetter : le Proche-Orient donne du fil à retordre, ça bouillonne en Chine, les Russes sont de nouveau menaçants, les Européens veulent échapper à l’influence américaine.

« Jon, tu me tiens au courant », dit-il, humiliant ainsi les autres hommes autour de la table. Sans même les gratifier d’un regard, il tourne les talons.

Il fait sombre dans l’étroit couloir de l’appartement. Seul un rai de lumière passe sous la porte de Viola.

« Salut ! C’est moi ! »

Cyn dépose ses achats et ses lunettes sur la table de la cuisine exiguë.

Elle prend conscience à ce moment à quel point les flux de données l’ont éreintée. Elle est partagée entre soulagement et déception. Un peu comme si elle avait souffert toute la journée dans des chaussures trop petites qu’elle venait d’ôter.

« Depuis quand tu as des lunettes ? » lui demande sa fille.

Elle lève le regard vers Viola, qui la dépasse d’une demi-tête.

« Super ! Des smartglasses ! » s’écrie Viola, euphorique, sans même les avoir touchées.