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Je me tapis dans un coin d’ombre et j’attends la suite des événements, pensant voir réapparaître un quidam affolé, ou peut-être — qui sait — déjà le shérif du patelin ?

Mais le temps passe et rien de semblable ne se produit. Cependant il y a quelqu’un à l’intérieur car je vois remuer une ombre derrière le rideau de la baie vitrée. Sont-ce messieurs les poulardins qui officient, ou bien…

Précipitamment je me blottis derrière une cabine téléphonique, car la porte de la maison vient de s’écarter. Une silhouette féminine se détache à contre-lumière. Elle traverse rapidement le jardinet et s’engouffre dans l’auto. Le véhicule démarre, tous feux éteints, et disparaît au coin de la street. Il ne m’a pas été donné de voir le visage de la visiteuse. Tout ce que je sais d’elle, c’est un imperméable noir, en matière plastique brillante, un petit chapeau forme casquette, à longue visière, surmonté d’un pompon, un sac à main style sacoche et des lunettes dont j’ignore, toujours à cause du contre-jour, si elles sont ou non à verres teintés. La dame en question est-elle une amie de Hourrou et fonce-t-elle chez les roycos pour les parfumer ? Quelque chose (mon sixième ou septième sens, je suppose) m’affirme que non. Lorsqu’on découvre un copain assassiné, on se précipite sur le téléphoné si on a du self-contrôle, ou on se met à glapir au secours si l’on n’en a pas ; mais on ne passe pas du temps à se balader autour du cadavre avant de sauter dans sa voiture ; du moins c’est mon avis à moi, et croyez-moi, il en vaut un tas d’autres.

Par mesure de sécurité, j’attends une douzaine de minutes, manière de voir ce qui va se passer. Or, rien ne se passe. Alors je me décide à coltiner ma fraise sur les lieux du crime. Le cadavre est toujours à la même place et le perroquet qui le veille patiemment m’accueille d’un allègre :

— Hello, garçon, vous prendrez bien un whisky ?

— Toi, mon pote, tu es de bon conseil, lui dis-je en raflant une bouteille de Red and Black de la distillerie Stand Hall. Je tutoie le goulot et j’ai l’impression que mon moral regrimpe. Je me dis qu’après tout la fille à l’imperméable est peut-être la meurtrière de Hourrou, revenue sur les lieux de son forfait pour récupérer quelque truc compromettant. Qu’importe ? Je ne suis pas chargé d’enquêter sur un assassinat mais sur le mystère du pôle Sud. Fort de cette évidence, je contourne la maisonnette et je trouve ce que j’espérais trouver : un garage. Et dans le garage il y a une voiture noire, plus anglaise que la Tour de Londres, haute sur pattes, rébarbative, mastoc. Admirez comme le dieu des romanciers fait bien les choses : la clé est justement au tableau de bord.

*

Il est deux plombes du matin lorsque nous débouchons sur le port d’Hobart. Béru est toujours dans le sirop, mais sa respiration régulière m’indique qu’il récupère.

Je gare ma chignole dans une zone d’ombre, entre une petite grue et une grosse bitte, et je pars à la recherche de notre valeureux submersible. Ça doit pas être fastoche à repérer un sous-marin, dans l’obscurité. Et les quais sont très mal éclairés… Je vadrouille le long de l’eau noire où d’énormes paquebots ventrus se pressent en formidables grappes. Leurs drapeaux mouillés pendent misérablement. Les drapeaux mouillés se ressemblent tous (à l’exception du drapeau japonais qui peut passer pour celui de la Croix-Rouge lorsqu’il est roulé comme un pébroque). Ils devraient tremper leurs oriflammes dans l’eau, les belliqueux, avant de belligérer, histoire de ramener leurs passions à un commun dénominateur. Alors ils pigeraient peut-être combien il est truffe de se chicorner pour un morceau d’étoffe. Les fusils n’oseraient plus parler chiffon.

Je suis le môle à petits pas. Mes yeux s’habituent à l’obscurité progressivement et enregistrent mieux les formes sombres amarrées là à marée haute[6].

J’ai beau me foutre les lampions en cornes d’escargots, je ne découvre pas le moindre Impitoyable dans la rade. Il a dû rester en rade. À moins qu’il n’ait déjà appareillé, allez savoir…

J’en suis là de mes pérégrinations portuaires lorsque j’éprouve le désagréable contact d’un truc dur et rond dans mon dos.

— Hands-up ! murmure une voix.

Pour ceux qui ne parleraient pas anglais ou qui n’auraient jamais visionné de western, je précise que ça signifie « haut-les-mains ».

Manière de parer au plus pressé, comme disait un marchand de citrons, je lève les bras. Un glissement s’opère derrière moi et je devine qu’un nouveau type vient de rejoindre le premier. L’individu en question me palpe rudement les poches et sucre délibérément mon camarade Tu-Tues.

— Qui êtes-vous ? demandé-je.

Un solide coup de battoir me répond. Comme il est carabiné et que je viens de l’effacer sur la nuque, voilà mes idées qui se mettent en tire-bouchon. J’ai beau essayer de leur conserver une certaine consistance, elles s’émiettent comme un biscuit rassis sous le sabot d’un cheval.

À dire vrai (et pourquoi ne dirais-je pas vrai de temps en temps, histoire de me reposer le mental ?) je ne perds pas absolument conscience, non. Simplement ma notion des choses est perturbée. Ça pointille sous mon crâne. Je me dis des trucs comme : « T’es marron. On te porte ! On va te buter ! Pourris sont ces sergents qui persiflent sur ma tête ! Je suis le jobard de Hobart ! T’avales la cruche à eau qu’à la fin elle s’écrase ! » Et bien d’autres trucs aussi décousus. Le balancement qu’on m’imprime s’accentue. On me lance. On me jette. La trajectoire me paraît infiniment longue. Je m’attends à tomber dans l’eau. Je me dis que je nagerai. Que la flotte me ravigotera. Oui, parfaitement, je vous jure que je gamberge tout ça.

Seulement, contre toute attente, c’est pas dans la flotte que j’atterris (comme dirait Béru), mais sur une surface plane qui n’en est pas moins dure (dirait encore Béru s’il était en état de dire quelque chose). Pour le coup mon cerveau explose dans une gerbe d’écume pourpre et j’accroche ma lucidité au vestiaire.

*

Pas de panique, mes chéries. Vous pensez bien qu’étant le narrateur de cette prodigieuse histoire, je ne vais pas rester dans le cirage longtemps, sinon mon éditeur serait obligé de laisser une flopée de pages en blanc, ce qui ne ferait pas le beurre de son imprimeur. Ce dernier devrait licencier une partie de son personnel, lequel, soudain privé de son pouvoir d’achat habituel, créerait une zone de mévente dans une foule de secteurs et il en découlerait un déséquilibre économique grave dont notre pays aurait bien du mal à se relever. Il a déjà assez de tracasseries comme ça, notre pays, mes loutes. À se demander comment la France pourrait tenir le coup si elle n’était pas immortelle. Heureusement que, fille aînée de l’Église, elle est miraculée de frais. Y’en a qui s’extasient, mais le prodige, bon Dieu, c’est pas qu’elle soit toujours sauvée, c’est qu’elle soit toujours sauvable. Ça suscite des vocations et des convocations. La brigade des secouristes est sur le kiwi (comme on dit en Australie).

Au moment même que je vous cause, y a des apprentis sauveurs qui se préparent fébrilement. C’est kif-kif le strategic-air-commund, ça ne s’arrête pas. Ils subissent un terrible entraînement, les apprentis sauveurs. Ils sont capables de préparer une valise en quarante secondes pour aller se sauver à l’étranger si besoin est. Ils citationnent pour les déclarations d’urgence. Ils s’exercent à garder les bras levés pendant des heures (des dames pas trop nesses les alimentent et leur font faire pipi) ; ils cultivent leur diction ; ils s’entraînent à crier vive dans toutes les langues ; ils sont capables de parler d’eux-mêmes à la troisième personne (c’est ce qu’il y a de plus dur, paraît) ; avec des sparring-partners, ils font des heures de poignées de main ; on les force à embrasser fougueusement des petites filles scrofuleuses, à apprendre les noms de famine des diplomate indous, à chanter la Marseillaise sans faire de fausses notes, à promettre ce qu’ils ne peuvent tenir, à donner ce qu’ils ne possèdent pas, à menacer les plus forts, à brouiller les plus faibles, à se maquiller, à farder la vérité, à nier l’évidence, à glorifier les échecs, à mystifier les maths, à mater, à colmater, à longs z’enfants de l’apatride, à tout dire, à tout faire, à gracier, à disgracier, à… atchoum !

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6

Je suis le dernier musicien de la littérature !