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Un éternuement me réveille. Merci, Seigneur, l’économie française en a été quitte pour la peur.

Je rouvre les yeux et j’aperçois des bouilles penchées sur moi, qui me défriment en fronçant les sourcils. L’une d’elles est coiffée d’une casquette d’officier de marine.

— Il a repris conscience, fait une voix en français.

Pour le coup, ça me rassérène. Je porte la main à ma tête : elle a doublé de volume. Cette bosse carabosse, ma douleur !

— Je dois avoir un crâne à impériale, non ? demandé-je à l’assistance.

— Vous êtes français ? s’écrie l’officier de marine.

Il semble tout étonné.

— À côté de moi, Notre-Dame de Paris a l’air de s’être fait naturaliser de fraîche date, mon commandant.

Je me relève, ce qui me permet de constater que je me trouve dans le mess des officiers d’un bâtiment. L’exiguïté du mess et son absence de hublots me laissent à penser que c’est celui d’un sous-marin.

— Vous êtes le commandant de l’Impitoyable, réalisé-je.

— En effet !

Je m’abats dans un fauteuil.

— Je suis le commissaire San-Antonio.

L’officier pâlit.

— Pas possible !

Puis, se tournant vers deux types aux traits accusés, il grommelle :

— Tous mes compliments, messieurs !

Ils semblent un peu marris, les bonshommes.

— Nous ne pouvions pas savoir, bougonnent-ils, avec ce qui s’est déjà passé…

Le commandant de l’Impitoyable m’explique que, peu de temps après qu’il se soit mis au mouillage, un pseudo-pêcheur a accosté le sous-marin en barque, très discrètement. Heureusement, un homme d’équipage qui flânait sur le môle a aperçu son manège. L’homme en question a fixé après la coque du sous-marin un objet aimanté et s’est éclipsé à force de rames. Les gars du submersible se sont empressés de décoller l’objet en question qui s’est révélé être une bombe à retardement. L’artificier du bord l’a désamorcée mais depuis, deux hommes de la commission de Défense qui font partie de l’expédition montent la garde en attendant l’heure de l’appareillage. En me voyant rôdailler dans l’ombre, ils m’ont pris pour le dynamiteur et se sont assurés de ma personne dans les conditions que je vous ai relatées. Ils s’excusent.

Je leur pardonne volontiers, d’autant plus que le commandant m’offre un whisky et ordonne à l’infirmier du bord de me poser une compresse.

— Dès l’aube, annonce-t-il, nous appareillerons car nous sommes au complet, maintenant.

— Pas tout à fait, riposté-je. Il reste encore à embarquer mon adjoint, l’inspecteur principal Bérurier. Il souffre d’une petite commotion et dort dans une voiture ; si vous pouviez dépêcher vos hommes pour le récupérer et ramener notre cantine…

L’officier s’empresse d’accéder à mes désirs, ce qui est beaucoup plus facile que d’accéder au point culminant de l’Everest. Tandis qu’on s’occupe de Béru, il me présente les membres de l’expédition. Ceux-ci sont au nombre de quatre. À savoir mes deux assommeurs, Jérôme Rivoire et Albert Carret, des techniciens de la Défense, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire plus haut et comme vous le confirmerait un éléphant ; le professeur Lavoisier-Mélanie-Canot, grand spécialiste des questions polaires, un solide quinquagénaire au nez vermillon et au regard couleur de banquise, et Dominique Lancin, un frêle jeune homme blond qui me paraît efféminé malgré sa fine moustache. Lui, c’est l’Observatoire de Paris qui l’envoie.

Le commandant m’explique en outre que lui-même et son équipage, composé de douze hommes, sont des pionniers de la banquise, leur bâtiment étant spécialement conçu pour vadrouiller à travers les glaces. Ils ont subi un entraînement rationnel (les premiers exercices d’entraînement consistant en l’application de fluide glacial sur leur chaise) et rien de ce qui touche au froid ne leur est étranger. Ces mecs-là, pour ne pas perdre la main, sont contraints à passer toutes leurs vacances dans une chambre froide de boucher, c’est vous dire s’ils sont au point !

Après ces multiples présentations, l’officier me fait visiter son bâtiment.

C’est pas un gros sous-marin, l’Impitoyable. La France pourrait pas se le permettre. Elle veut pas poéter plus haut que son luth, la France. Cela dit, ce submersible n’est pas non plus un sous-marin de poche. Disons qu’il s’agit d’un sous-marin de sac, quoi ! Il est propulsé uniquement par un système de bitounage foirineux à friction, ce qui est assez révolutionnaire, je dois le reconnaître avec satisfaction. Il comporte un brise-glace pendulaire, une chambre des machines, cinq chambres à coucher, très exiguës mais meublées Louis XIII, un poste de commandement, plusieurs postes de radio, un poste d’équipage bien équipé, un périscope en matière plastique ininflammable, une soute à antigel, un réfectoire, une galerie marchande, une galerie de tableaux, un hibernatoire, un réfectoire, quatorze W.-C. et un logement à réacteurs pour le jour où nous aurons des réacteurs. Qu’on le veuille ou non, c’est une belle réalisation dont nous avons tout lieu de nous enorgueillir.

Le logement qui nous est imparti est une cabine de deux mètres sur quatre-vingts centimètres, mais pourvue de tout le confort. Deux lits à baldaquin superposés, une armure Henri II, un plan de Paris au mur, un lavabo incorporé dans les moulures du lit et une large baie vitrée donnant sur la coque du bâtiment, composent le principal de l’ameublement.

Lorsque les matelots chargés d’aller ramasser le Gros m’amènent Pépère, toujours inconscient, je plume mon pote dans la couchette inférieure et je me file dans les torchons du haut, car avec toutes ces tribulations, je commence à me sentir un peu mou des pilotis.

Un sommeil aussi bienfaisant que réparateur (je connais mes classiques) ne tarde pas d’alourdir ma paupière. Et bientôt j’unissonne avec Béru.

CHAPITRE V

J’en écrase tellement que je ne m’aperçois même pas de l’appareillage. La vibration du sous-marin, au contraire, me berce et je me paie des rêves en technicolor, un chouïa polissons aux angles. Tous se déroulent dans des alcôves où je récite plein de je vous salis, Marie ; de je vous salut, maris ; de je vous salais, morue ; de je vous marie, salope ! Plus j’avance dans la vie (ou plutôt plus je recule, car on recule dans la vie au lieu d’avancer) plus mes songes sont voluptueux. Un nœud-rologue de mes amis m’a expliqué que c’était du pareil chez tous les survoltés de la tête-chercheuse. Le seul moyen d’éviter ça, c’est de se gaver de calmants. Vous pensez si j’ai refusé !

Un bâillement intense, pas mélodieux mais claironnant, me ramène à la réalité. C’est le Mastar qui nous est restitué. La baillanche étant aussi communicative que la chaleur des banquets, je l’imite avec toutefois plus de mesure. Ayant colmaté cet orifice, je me penche hors de ma couchette.